L’euphorie du coureur

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« Tous des drogués, ironisent les non-sportifs avec dédain. Et donc à moitié fous, » ajoutent-ils. Pourtant l’exercice physique contribue au développement du cerveau. Hé oui !

« Tous des drogués, ironisent les non-sportifs avec dédain. Et donc à moitié fous, » ajoutent-ils. Pourtant l’exercice physique contribue au développement du cerveau. Hé oui !

L’euphorie ressentie par les sportifs d’endurance, cet état particulier où tout mouvement semble couler de source, et où le monde apparaît beau et harmonieux, a longtemps été considérée comme le fruit de l’imagination d’esprits illuminés. Une opinion compréhensible dans le chef des scientifiques qui veulent tout étayer par des preuves irréfutables et surtout reproductibles. Mais le phénomène a été tellement souvent décrit, même par des scientifiques sportifs qui ne mettraient pas leur réputation en jeu dans des considérations nébuleuses, qu’il devient difficile de mettre son existence en doute.

Pourtant, il est resté longtemps inexpliqué, aucune théorie ne semblant résister à la critique scientifique. Il a notamment été question d’une augmentation (jusqu’à cinq fois) des taux sanguins de β-endorphines, cousines de la morphine. Mais le cerveau est entouré de sa barrière hémato-encéphalique, une sorte de rideau de fer qui n’accorde le passage que de manière très sélective et qui protège le cerveau de toutes les intrusions. Les β-endorphines y reçoivent rarement le permis d’entrée.

Le cerveau se dévoile

« L’augmentation d’endorphines dans le sang circulant ne nous apprend rien sur ce qui se passe dans le cerveau, » explique le Pr Romain Meeusen, qui enseigne la physiologie humaine à la VUB. Depuis le début de sa carrière, il s’intéresse aux effets du sport sur le cerveau, et bien sur à ce phénomène étrange qu’est ‘l’euphorie du coureur’. « Jusqu’il y a peu, on ne pouvait déterminer ce qui se passait dans le cerveau durant la pratique sportive qu’en y plantant une électrode. Ce qui bien entendu est impossible chez l’homme, parce que trop dangereux. » Pour la première fois, une équipe allemande a réussi à surmonter cet obstacle et a pu démontrer que les enképhalines et les dynorphines, elles aussi parentes de la morphine, jouent un rôle dans l’euphorie du coureur (1). L’activité de ces substances augmente considérablement après un effort intense, comme le montrent des images du cerveau obtenues grâce au pet-scan. Cette augmentation de leur activité semble proportionnelle aux sentiments d’euphorie et de bien-être ressentis par les sportifs. De plus, cette activité est surtout marquée dans les zones cérébrales où sont traitées les émotions. Mais d’après le Pr Meeusen, cette expérimentation, qui répond à des critères scientifiques stricts, comporte cependant un point faible : elle a été effectuée chez des coureurs qui éprouvent cette euphorie. Il s’agit donc d’un groupe sélectionné. Meeusen se demande ce que donnerait la même expérience chez des coureurs qui ne ressentent pas ce sentiment de bien-être quand ils courent. En attendant, on ne peut raisonnablement plus nier qu’il existe bien un rapport entre les endorphines, enképhalines & co et le « runner’s high ».

Les neurones de l’hippocampe

Mais il pourrait y avoir bien plus ! Il semble que les β-endorphines produites par l’exercice physique pourraient contribuer au développement de nouvelles cellules nerveuses (neurones) dans l’hippocampe, une structure cérébrale qui joue un rôle dans les processus d’apprentissage et de mémoire spatio-temporelle. C’est ce qu’a établi une autre étude récente, portant, elle, sur une éventuelle action anti-dépressive du sport sur le cerveau (2). Romain Meeusen reste cependant sceptique : pour lui, si l’effet antidépresseur du sport est établi, il n’est pas prouvé que cela soit via un effet des endorphines.

Que dit cette étude ? Elle part de l’hypothèse que les dépressions graves seraient dues à une diminution du renouvellement des cellules nerveuses de l’hippocampe. Une hypothèse élaborée quand on a découvert que les médicaments antidépresseurs augmentaient la synthèse de nouveaux neurones dans le cerveau, et que ces antidépresseurs produisaient leurs effets à peu près dans le même temps que ce que prenaient les nouveaux neurones pour devenir fonctionnels.

Or l’exercice physique, tout comme les antidépresseurs, augmente la synthèse de nouveaux neurones dans un cerveau adulte. Cela, on le sait parce qu’on a observé un renouvellement des neurones de l’hippocampe multiplié par 2 ou 3 chez des rats qui avaient accès à une roue par rapport à des animaux sédentaires. On a donc supposé que l’exercice devrait atténuer les symptômes de la dépression grave mais on ne sait pas encore très bien par quels mécanismes.

Comme l’explique Romain Meeusen: « Nous disposons depuis quelques années de techniques permettant, chez l’animal, de suivre l’évolution de cellules cérébrales individuelles. Nous pouvons voir comment, après le démarrage d’un traitement antidépresseur, elles se mettent à migrer vers leur lieu de « travail » dans le tissu cérébral, comment elles établissent des connections avec d’autres neurones, bref, on voit qu’elles s’intègrent parfaitement dans la structure cérébrale globale. Tout cela prend entre 4 et 5 semaines et c’est précisément le délai nécessaire pour percevoir les premiers effets tangibles d’un traitement antidépresseur. On peut donc sérieusement penser que l’un est en rapport de cause à effet avec l’autre. »
D’autres chercheurs établissent un lien entre la diminution du renouvellement cellulaire dans l’hippocampe et la détérioration de la mémoire au fil des ans. Ce qui leur a fait penser que ce processus pourrait être impliqué dans la maladie d’Alzheimer. Les neurones perdus ne seraient plus remplacés, et cela expliquerait l’accélération de la perte de mémoire et d’orientation spatiale.

Plus grand ne veut pas dire plus malin

Des expérimentations menées sur des rats ont montré que cette fabrication de nouveaux neurones dans l’hippocampe se produit surtout dans trois circonstances précises : lorsque l’animal est placé dans un milieu de vie stimulant, avec des tunnels et tourniquets, lors de tests en labyrinthe où il doit apprendre de nouvelles choses, et lorsqu’il a la possibilité de courir autant qu’il veut dans une roue. Ce dernier constat semble bizarre puisque l’hippocampe ne joue pas un rôle essentiel dans l’exécution des mouvements. Il y a pourtant un lien logique. Certaines espèces animales, dont l’homme, ont appris au cours de leur évolution à parcourir de grandes distances pour trouver de la nourriture sans perdre leur chemin. Cela demandait un sens de l’orientation – et donc un hippocampe- très développé, un effet qui a perduré jusqu’à présent. Chez les chauffeurs de taxi londoniens par exemple, qui doivent connaître par coeur l’immense carte de la capitale britannique, l’hippocampe est nettement plus étendu que chez le Londonien moyen (4). Un entraînement tel que l’exercice physique pourrait donc rendre l’hippocampe plus performant ? Le Pr Meeusen nous ramène immédiatement les deux pieds sur terre. « L’exercice physique est sain pour le cerveau. Les preuves ne cessent de s’accumuler. Mais cela ne veut pas dire que nous deviendrons plus malins pour la cause. Imaginez le QI que finiraient par avoir les marathoniens ou les cyclistes (rires) ! Il y a un effet, mais il reste limité. Une étude sur des rats, dans laquelle les meilleurs coureurs étaient systématiquement sélectionnés et croisés entre eux, a donné après 27 générations des rats qui couraient 16 kilomètres par nuit. De vrais petits marathoniens donc ! Et bien, ces rats ne fabriquaient pas plus de neurones que les rats ordinaires qui ne parcouraient que 6 kilomètres par nuit. L’effet sur l’apprentissage avait atteint un plafond. La conclusion de tout ceci, c’est que le cerveau est un organe qu’il faut entretenir, tout comme le coeur, les muscles, les poumons, les os, etc. Courir ne génère pas seulement une certaine euphorie, cela entretient aussi le cerveau. »

Jan Etienne
Références 1. Cerebral Cortex. Epub voor print op 21 februari 2008. http://cercor.oxfordjournals.org/cgi/content/full/bhn013v1 2. Journal of Psychiatry & Neuroscience. 2006; 31: 84-92. 4. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America. 2000; 97: 4398-4403.

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