L’histoire d’amour entre la K-pop et le bistouri

Les filles du groupe Sixbomb après être passées sur le billard. © AFP
Aurélie Wehrlin Journaliste

Des yeux plus ronds, des visages plus fins, des seins plus gros: un girls band a fait honneur à l’obsession de la Corée du Sud envers la beauté sculptée au bistouri en passant sur le billard pour son dernier single.

Afin de mieux incarner « Devenir jolies » avant la sortie du titre jeudi, les quatre membres de SixBomb, obscur groupe de K-pop, la pop sud-coréenne, ont subi des opérations chirurgicales en cascade.

Dans une série de vidéos, on voit les jeunes femmes se rendre à la clinique, s’allonger sur le billard. Puis s’entraîner à danser, des pansements sur la figure et les yeux cachés par des lunettes noires.

« Tout le monde me suit, ils savent que je suis jolie », chantent-elles en coréen dans « Devenir jolies », morceau de dance electro qui rappelle Gangnam Style, le hit planétaire de Psy.

La chanson semble être l’antithèse parfaite du « Born this way » (« Née comme ça ») de Lady Gaga, dans lequel elle explique qu’elle est « belle à sa façon car Dieu ne fait pas d’erreurs ».

En tout cas, le titre interpelle dans une société ultra-concurrentielle, obsédée par l’apparence physique. Celle-ci peut rehausser la place des gens dans l’échelle sociale. Nombre d’offres d’emploi exigent des candidats qu’ils aient une « apparence nette » et qu’ils joignent une photo à leur curriculum vitae.

La Corée du Sud ne compte que 50 millions d’habitants mais c’est le troisième marché au monde pour la chirurgie esthétique. Environ 1,3 million d’opérations y sont effectuées chaque année.

Avant-après
Avant-après© AFP

Les publicités vantant ses mérites, photos avant et après à l’appui, sont omniprésentes dans la rue, les rames de métro et les toilettes publiques. Elles enjoignent aux femmes de « changer leur vie » avec cet argument: « Tout le monde l’a fait sauf toi. »

Au grand jour

Dain, principale chanteuse de SixBomb, a subi des opérations pour renforcer sa poitrine et réduire ses pommettes, afin de rendre son visage plus petit.

« On voulait toutes être opérées pour être plus jolies. On s’est dit, +Pourquoi ne pas en faire une chanson au lieu d’essayer de le cacher+? », explique-t-elle à l’AFP. « De toute façon, les gens vont le remarquer. Alors, on voulait être franches sur la réalité, le fait que de nombreuses femmes veulent être jolies ».

SixBomb, créé en 2012, a sorti cinq albums. Mais ses membres sont loin du panthéon des grandes stars. Et dans un marché obsédé par la jeunesse, le temps presse pour ces artistes âgées de 25 ans environ.

C’est leur management qui a financé la chirurgie pour environ 100 millions de wons (82.000 euros). Elles ont « eu quasiment tous les types d’opérations qui existent pour le visage » et des implants mammaires, dit leur manager Kim Il-Woong.

« On n’a commis aucun crime. Notre seul crime serait d’en parler aussi franchement », ajoute-t-il, expliquant que de nombreuses célébrités passent sur le billard « sans sortir du placard ».

La K-pop, qui a conquis une grande partie de l’Asie, s’est aussi répandue au-delà grâce à la « vague coréenne » et à ses groupes immensément populaires de jeunes filles et de jeunes gens à la beauté parfaite, qui exécutent des chorégraphies avec une précision toute militaire.

La plupart sont étroitement contrôlés par leur management, qui leur dit quoi chanter, quoi manger pour conserver une minceur extrême et quelles opérations chirurgicales entreprendre.

La beauté sacralisée

La popularité même de tels groupes de musique alimente l’industrie de la chirurgie esthétique. De nombreux fans, y compris étrangers et en particulier chinois, se soumettent au bistouri pour ressembler à leurs idoles.

Avant-après
Avant-après© AFP

Une grande clinique de Séoul confirme que les membres de SixBomb ont subi moult opérations, « toutes au-dessus de la taille ». Et aucune n’a été forcée d’y aller, même si la rappeuse Soa a bien réfléchi avant de se faire opérer des paupières afin d’agrandir et d’arrondir ses yeux.

« J’étais vraiment satisfaite de mes yeux d’origine alors j’ai dû y réfléchir à deux fois avant de participer au concept », raconte Soa.

Le coup fait en tout cas jaser. « Je comprends que vous ayez absolument besoin de publicité mais aviez-vous vraiment besoin d’aller aussi loin? », demande un internaute. « Carrément bizarre », renchérissait un autre.

Cette affaire est l’illustration parfaite de la « culture de la chirurgie esthétique » prégnante dans une société qui arrive en dernière place pour l’égalité entre les sexes dans les classements OCDE, commente Jung Seul-Ah, chargée de suivre les médias pour le compte de l’association militante Korea Womenlink.

L’aspect physique joue un rôle essentiel dans la « survie sociale » des Sud-Coréennes et dans leurs perspectives d’embauche, souligne-t-elle. « La chirurgie esthétique est primordiale pour de nombreuses femmes qui ne sont pas considérées comme suffisamment jolies. C’est une nécessité absolue pour les stars féminines dont le physique, un capital, est vénéré et consommé ».

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