Physique, fair play, utopique: l’Ultimate Frisbee, un sport parfait

© Pierre-Yves Jortay

C’est un sport collectif qui ne ressemble à aucun autre. Fair-play, mixité et auto-arbitrage en sont les règles de base. S’il est un parfait défouloir, il est aussi un modèle d’équité. Pas étonnant qu’il fasse des émules. Suivez l’exemple.

Il a déployé dans sa chambre d’athlète un drapeau qui marie le vert, le noir et le blanc, avec en son milieu un fier oiseau de la famille des Alcidés, deux ailes et un nom qui promet, en majuscules et en anglais, The Flying Penguins. Alignés au mur, comme des trophées-souvenirs, une collection de disques estampillés qui ne pèsent pas lourd, jugez plutôt, 175 grammes pour 270 millimètres de diamètre. Leurs logos disent d’où ils viennent, pour ceux qui savent: Wolves UC Louvain, The Invicibles et LAFF pour Love At First Flight. Non loin, une coupe que l’on pourrait croire en or – une victoire méritée, ça se savoure, longtemps.

Sûr que la nuit, Simon Mazy rêve de flow, de passes, de hammer, de revers, de coups droits et d’envols élégants. Il a 22 ans, est éducateur spécialisé en activités socio-sportives, étudiant en éducation physique, forcément sportif et joueur d’Ultimate Frisbee, aussi appelé disque volant. Depuis quatre ans, il est joliment mordu. Comment ne pas l’être? Cette discipline intense et collective coche toutes les cases – physiques, démocratiques, pédagogiques, utopiques. N’allez surtout pas croire que c’est un passe-temps juste parfait pour plagistes nonchalants, vous risqueriez de le chiffonner.

Physique, fair play, utopique: l'Ultimate Frisbee, un sport parfait
© Pierre-Yves Jortay

Les règles du jeu

Plantons le décor, en extérieur, dans le cas qui nous occupe: un terrain de foot légèrement raccourci sur sa largeur, de 100 mètres par 37, deux équipes de sept joueurs et joueuses mélangés, peu importe le genre, deux end-zones de 18 mètres où inscrire le point, comme au foot américain, et un disque ou frisbee, dans la langue vernaculaire. Ce sport sans contact a pour lui d’être placé sous la règle du fair-play: il se joue sans arbitres, ou plutôt en auto-arbitrage, ce qui sous-tend que chacun est responsable du bon déroulement du jeu. En gros, si un joueur estime avoir commis une faute ou en être victime, il le signale haut et fort en prononçant le mot « Faute ». Tous s’arrêtent alors et la partie est stoppée. S’ensuit un court débat entre les protagonistes afin de résoudre la faute. Et s’ils ne peuvent se mettre d’accord, le disque retourne au dernier lanceur et le jeu reprend là. Avec toujours l’interdiction de faire écran ou obstruction.

Physique, fair play, utopique: l'Ultimate Frisbee, un sport parfait
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« A la fin d’un match, en plus du score, on accorde un prix du fair-play, chaque équipe vote alors sur une échelle de 1 à 20 à quel niveau de loyauté et de franchise se situe le club rencontré »

Dans la même veine, quand on attrape l’objet volant identifié, on peut le jouer dans n’importe quelle direction, avec pied pivot, mais dans les dix secondes. C’est alors au défenseur adverse qui vous tient de compter clairement, lentement jusqu’à 10, dans la langue de Shakespeare. « Tout cela implique d’être exemplaire, précise Simon. Si on n’entre pas dans cette dynamique, on ne trouve pas sa place… A la fin d’un match, en plus du score, on accorde un prix du fair-play, chaque équipe vote alors sur une échelle de 1 à 20 à quel niveau de loyauté et de franchise se situe le club rencontré. » Sûr que son amour de l’Ultimate vient de là, de cet esprit d’équité et de droiture plutôt rare en la matière. Auparavant, Simon avait testé le foot et sa cohorte de coups plus ou moins tordus, il en était revenu. Le premier entraînement d’Ultimate bouclé, il avait compris qu’il avait trouvé sa voie.

L'Ultimate, un condensé de flow, de passes, de hammer, de revers, de coups droits et d'envols élégants. Sans oublier l'intelligence de jeu et la
L’Ultimate, un condensé de flow, de passes, de hammer, de revers, de coups droits et d’envols élégants. Sans oublier l’intelligence de jeu et la « bonne camaraderie ».© Pierre-Yves Jortay

D’autant que la particularité de ce sport ne tient pas seulement à sa dimension franc-jeu, ce qui serait pourtant déjà amplement suffisant. Et Simon achève son énumération épatante: « L’Ultimate n’exclut personne: on ne sépare pas les garçons et les filles puisqu’il se joue aussi en mixte – il existe trois catégories de championnats mondiaux, open, féminin et mixte qui a une grande importance. Forcément, il y a de la place pour tout le monde. Et pour tous les niveaux puisqu’il y a deux genres de postes: les handlers, qui doivent être précis et faire de longues passes, les cutters, qui courent et font des feintes… »

Dit comme ça, on pourrait presque penser que c’est facile. Néanmoins je vous mets au défi de galoper à en perdre haleine, s’arrêter net et repartir, viser parfaitement en un lancer foudroyant et sauter façon Tia Hellebaut ou Thomas Carmoy pour rattraper d’une main une chose qui fend l’air à la vitesse grand V au bout d’un vol impeccable qui atteint parfois les 70 mètres…

Ici, il y a de la place pour chacun, pour chacune. Le disque volant a la particularité d'aligner sur le terrain des filles et des garçons - l'égalité est en marche.
Ici, il y a de la place pour chacun, pour chacune. Le disque volant a la particularité d’aligner sur le terrain des filles et des garçons – l’égalité est en marche.© Pierre-Yves Jortay

« Allez, Simon »

C’est dimanche et The Flying Penguins ont programmé un entraînement dans le soir qui s’installe doucement. Ils viennent du Brabant wallon, de Bruxelles, en vélo parfois, les crampons dans le sac. Le terrain de foot de Rosières, recadré pour l’occasion, fait l’affaire car pour l’heure, leur club de Rixensart ne sait les accueillir, faute d’infrastructure au top. L’air est saturé de pollen et de musique, un baffle nomade diffuse une playlist maison destinée à pulser les deux heures d’exercice, échauffements et match compris.

Ils sont une petite vingtaine, le plus jeune a 17 ans, le plus âgé, 35, c’est le président. D’ordinaire, il y a parmi eux deux coachs mais l’un s’est blessé, chacun.e dans l’équipe prendra le relais « pour apprendre aux nouveaux ». Certains en effet sont là depuis le début, il y a quatre ans. D’autres viennent seulement de rejoindre ce club qui en veut, s’est offert la Division 1, compte en ses rangs des joueurs de l’équipe nationale et entend assurer la relève en créant une team de jeunes, de 12 à 16 ans, histoire de partager leur flamme. Laquelle pourrait bien finir un jour par être Olympique.

Physique, fair play, utopique: l'Ultimate Frisbee, un sport parfait
© Pierre-Yves Jortay

Car très officiellement, depuis 2015 et sa 128e session à Kuala Lumpur, Malaisie, le Comité international Olympique a fait entrer l’Ultimate dans le saint des saints. Si on n’en a pas vu cet été au Japon, c’est parce que ce modèle d’auto-arbitrage ne colle pas tout à fait aux JO et à leur cohorte d’intérêts, pour faire court, financiers et télégéniques. Cela dit, leur antichambre, les World Games, ouvre grand ses bras à ce sport unique, les six nations les plus puissantes s’affrontent, mais est-ce le terme, pour la beauté du geste.

Aujourd’hui, dans le monde, on compte une poignée de millions de joueurs, en Belgique, ils sont quelque 3 000, dont 907 affilié.es à la Fédération Belge Francophone de Disque Volant, avec 40% de femmes. La mixité n’est pas un vain mot dans le monde de l’Ultimate Frisbee. Avaient-ils imaginé, ces étudiants plutôt cool de l’université de Yale, USA, qu’un jour, leur lancer de moule à tartes, avec en apothéose un premier match inter-lycée en 1970, aurait ses championnats, ses fédérations, ses codes et ses adeptes qui n’ont en rien renié leurs valeurs initiales, au contraire. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que les Flying Penguins se sont ainsi nommés en l’honneur de l’organisation sociale intègre et collaborative des colonies de pingouins qui peuplent cette terre…

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© Pierre-Yves Jortay

Il faut les regarder parcourir les 100 mètres de terrain avec allégresse, se faire des passes, fractionner, affiner leur lancer, avec conseils bienveillants de l’un à l’une, et vice-versa, sans ego surdimensionné. Ça va vite, ça s’encourage, ça s’époumone, ça plonge avec ardeur, ça rattrape en crêpe, ça se râpe la peau des genoux sur le sol en synthétique, ça fait preuve d’une admirable explosivité, c’est physique, stratégique et joyeux à la fois. Time-out, turnover, offside, goal, match point. Le premier à 15, avec 2 points d’écart, a gagné. Applaudissements.

Les Flying Penguins ont fait fort à l’entraînement, malgré cette année covidée qui a tout fracassé. Les maillots sont trempés, l’ombre de la nuit s’est intensifiée, il n’y aura pas de troisième mi-temps, ils se réservent pour le tournoi organisé par le Diabolic Heaven de Hasselt, division Still in Love, sans limite d’expérience, où chacun est le bienvenu, chacune la bienvenue. Ils le remporteront. Avant de jouer comme des dieux et de (presque) tutoyer la victoire lors de la Belgian Ultimate League de la fin de l’été. What a game.

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© Pierre-Yves Jortay

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