Rentrée littéraire: Il est comment le dernier Fottorino ?

© C.Helie Gallimard

Dans Le dos crawlé, l’ancien directeur du journal Le Monde se met à hauteur d’enfance. Un roman d’apprentissage où la truculence des mots ne peut cacher la mélancolie d’un temps qui finit.

Par Baudouin Galler

Avec Le dos crawlé, Eric Fottorino signe son retour au romanesque en optant pour un parti pris risqué : écrire avec les yeux d’un gamin. Risqué parce qu’il faut quelques pages pour baisser la garde et laisser le langage de nos 10 ans sonner à nouveau juste à nos oreilles. Gardez patience : une fois cette partition retrouvée, le résultat s’avère savoureux comme une madeleine moelleuse. Le narrateur s’appelle Marin, il a 13 ans, un petit duvet au-dessus de la lèvre supérieure, rêve encore d’aventures africaines mais de plus en plus au corps de Madame Contini, la mère démissionnaire de la petite Lisa, 10 ans, qui elle aussi « lui brûle le ventre ». Les deux gosses passent le torride été 1976 chez Abel, l’oncle veuf, un brocanteur « qui délivre les gens de leur passé ». On se jette à l’eau, se baigne dans la lumière charentaise, se nourrit de glaces et de complets poissons, on s’ennuie un peu aussi, on se découvre. Dans ce paysage aux couleurs Polaroid, vient se greffer une galerie de personnages attachants, du docteur Malik, mordu de Camus et nostalgique des ponts de Constantine à Monsieur Maxence, qui écoute la météo marine dans son lit, atteint d’une « longue maladie qui rend la vie trop courte ». Entre la truculence provinciale d’une BD de Rabaté, l’émotion d’un Marcel Pagnol et un amour des jeux de mots dignes de Raymond Devos, Eric Fottorino dresse le portrait d’un âge qu’on dit peut-être ingrat parce qu’il vous ôte chaque jour, avec la patience sadique d’un horloger, l’illusion que l’enfance était éternelle.

Vous êtes-vous beaucoup exercé pour retrouver la langue de votre enfance ?

J’ai écrit Le dos crawlé en trois étés, je le reprenais comme un chat joue avec sa pelote. Je n’ai cessé de le simplifier, j’ai été cherché au plus près l’expression d’un enfant. D’emblée j’ai inventé une forme de syntaxe sans négation, sans virgule, je l’ai débarrassée de tout ce qui encombrait le langage d’un gamin de 13 ans en 1976. Cela dit, globalement, c’était très instinctif. On est généralement happé par l’âge adulte mais je pense que les créateurs quels qu’ils soient, les musiciens, les écrivains, les poètes, les cinéastes, gardent en eux, très jalousement, une part de leur enfance.

Après cette expérience littéraire, voyez-vous différemment les adultes ?

A travers cette expérience d’écriture, j’ai encore mieux perçu ceux qui m’avaient vraiment aimé, ceux qui aimaient vraiment la compagnie des enfants et puis ceux pour qui ces derniers étaient lourds. Parce qu’un enfant le sait tout de suite si vous l’aimez ou pas. Il le sent. C’est au-delà des mots.

En dédicaçant ce livre à votre plus jeune fille, que lui souhaitez-vous ?

Je lui souhaite une belle enfance. Où il n’y a pas d’horizon plus lointain que la journée. C’est l’idée d’Aristote, le temps n’existe pas c’est une suite d’instants cousus les uns aux autres, qui font la flèche du temps. Je pense que j’ai commencé à penser à la mort à l’âge de Marin, vers 13-14 ans, l’idée que tout ça pouvait finir. Avoir eu cette espèce d’obsession de l’enfance à travers mes livres, c’est sans doute le seul moyen que j’ai trouvé pour qu’elle ne finisse pas. J’aimerais dire à ma fille : la vie est d’autant plus longue que l’enfance dure longtemps. ?

Le dos crawlé, par Eric Fottorino, Gallimard, 208 pages.

Retrouvez l’intégralité de l’interview d’Eric Fottorino dans Le Vif Weekend Special Kids en vente ce 19 aoùt.

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