Visite d’une maison contemporaine aux accents seventies, conçue par Marc Corbiau

Un joyeux mélange règne dans le salon, entre objets chinés, touches design et souvenirs personnels. Posé derrière deux tables noires signées RED Edition, un canapé Knoll attend de trouver refuge dans la première boutique Bettina Vermillon. © FRÉDÉRIC RAEVENS
Catherine Pleeck

Encadrée de bambous, l’une des premières maisons imaginées par l’architecte belge Marc Corbiau accueille, pour l’instant, la créatrice des chaussures Bettina Vermillon et sa famille. Un vaste espace au parfum seventies, qui a su conserver son charme d’antan.

Sur le principe, jamais Lorraine Archambeaud ne se serait vue occuper un projet du Belge Marc Corbiau. « Ses constructions sont magnifiques, mais quand on vit dans ce genre de bâtisse, on se demande toujours un peu si on ne loge pas dans un musée d’art contemporain », confesse la fondatrice de la griffe de chaussures Bettina Vermillon. C’est la pierre au sol qui a fait fondre la jeune quadra, lorsqu’elle visita l’adresse pour la première fois. « Certains m’ont dit que c’était son point faible. Mais, au contraire, c’est ce côté vintage et désuet qui lui donne un cachet incroyable et l’empêche de ressembler à une maison lambda d’architecte, pure et dure. Je suis une fille d’expatriés, qui n’a jamais vécu plus de deux ou trois ans au même endroit. Par conséquent, j’ai la nostalgie de certains lieux, de ce qui s’y est passé. Et ce type de matériau me rappelle des souvenirs incroyables. »

Les suspensions Bolle de Giopato & Coombes.
Les suspensions Bolle de Giopato & Coombes.© FRÉDÉRIC RAEVENS

Cette demeure logée derrière le quartier de Fort-Jaco, à Uccle, est l’une des toutes premières du concepteur qui, en cinquante ans, s’est forgé une belle réputation pour la pureté de ses lignes, que ce soit chez nous ou à Genève. « Même si elle date de 1974, sa structure reste d’actualité, fait observer la maîtresse des lieux. Marc Corbiau a parfaitement compris et répondu aux besoins que rencontrent encore les ménages d’aujourd’hui. » De grands espaces à vivre, une cuisine au centre, de la lumière qui pénètre par tous les côtés… De la rue, rien ne laisse pourtant présager de la grandeur du bien. Les volumes s’imbriquent les uns dans les autres, et s’intègrent parfaitement au paysage, sans rien d’ostentatoire, une caractéristique tout autant appréciée par le créateur que par celle qui occupe l’endroit actuellement.

Le plan, lui, est organisé sur plusieurs demi-niveaux, afin d’épouser au mieux les courbes du terrain. Une légère impression de labyrinthe, des jeux de quelques marches, qui assurent une structure d’ensemble et lui confèrent une belle dynamique. « Ces entresols permettent beaucoup d’accidents et de perspectives. J’aime être surprise au quotidien par ma propre habitation », confie celle dont le regard part de la table de sa cuisine, pour se lever et traverser de coin en coin sa salle à manger, avant d’atterrir sur un bout de son salon. Et que dire de l’une des douches, située à l’étage? Complètement modernisée, celle-ci est installée en contre-bas de trois marches. Une large baie dévoile toute activité à l’extérieur, tandis que la vitre a été remplacée par un miroir sans teint, pour garantir l’intimité indispensable de ses occupants.

Les volumes s'imbriquent les uns dans les autres, dans cette maison construite en 1974 par l'architecte Marc Corbiau.
Les volumes s’imbriquent les uns dans les autres, dans cette maison construite en 1974 par l’architecte Marc Corbiau.© FRÉDÉRIC RAEVENS

Le bambou dans le coup

L'impression de vivre au-dessus des cimes, avec cette végétation en bambou.
L’impression de vivre au-dessus des cimes, avec cette végétation en bambou.© FRÉDÉRIC RAEVENS

Mais pas question que ce type d’agencement n’isole les personnes entre elles. Le week-end, Lorraine, son époux et leurs trois enfants aiment se rassembler au salon, allumer un grand feu de bois et se laisser porter par leurs envies du moment, qu’il s’agisse d’écouter de la musique ou de commencer un jeu de société – « Le besoin d’être tout près les uns des autres, de les voir vivre, de construire une vie de famille. » Dans chaque pièce, on apprécie les ouvertures et autres fenêtres qui donnent vers le jardin, où débattent régulièrement Max l’écureuil équilibriste et un renard peu farouche. « Plutôt que d’avoir vue sur un mur blanc, ce sont toutes les saisons qui défilent sous nos yeux. La maison nous connecte à l’extérieur, vers ce jardin. Pour un peu, cet arbre pousserait à l’intérieur de nos murs. » Pensée par l’architecte au moment de la construction, la végétation fait la part belle au bambou, qui forme une haie d’honneur pour tout qui contourne le logis. « On le retrouve partout, il nous protège des regards, crée des jeux d’ombre et de lumière sur les parois. A l’étage, on a l’impression de vivre au-dessus des cimes. On se croirait dans une contrée située à mille lieues de Bruxelles. » Un dépaysement total, pour ce ménage parisien, habitué à loger dans un quartier minéral et venu s’installer en Belgique en 2013, pour des raisons professionnelles. « On aurait pu trouver refuge dans le centre de la capitale, mais cela valait le coup de tester quelque chose de différent. C’est un instant unique dans une vie, nous sommes conscients qu’il s’agit d’une parenthèse, qui peut disparaître quand nous rentrerons en France. »

L’objet du plaisir

Les sérigraphies de Floriane de Lassée.
Les sérigraphies de Floriane de Lassée.© FRÉDÉRIC RAEVENS

Histoire de ne pas s’attacher plus qu’il ne faut, Lorraine et les siens se sont contentés de poser leurs valises, ou presque. Vivre des émotions spontanées, se laisser porter par les lieux, sans chercher à changer certains de ses défauts. « Je me suis fait happer par cette bâtisse. Elle a suffisamment d’âme que pour ne pas la dénaturer », insiste la Bruxelloise d’adoption. Plutôt que d’y accumuler les meubles ultracontemporains, tellement cliché dans ce type de projet, la créatrice a préféré compiler les souvenirs, dans une composition toute personnelle. « J’éprouve une affection pour les objets. Même s’ils ne servent à rien, j’ai du mal à m’en séparer, quand ils évoquent un moment passé ou un être cher. C’est la nourriture du coeur, je ne les vois pas comme un investissement. »

Un robot eighties chiné en brocante.
Un robot eighties chiné en brocante.© FRÉDÉRIC RAEVENS

En vrac et sans exhaustivité, il y a cette armoire datant des années 30, rachetée à une petite dame attristée qu’aucun de ses petits-enfants ne soient sensibles à ses charmes. Ces théières en émail rouge et ce robot eighties et clinquant, dégotés dans une brocante. Ces beaux livres consacrés à Dior ou Jean Prouvé. Ces flacons imaginés par Lalique, ornés de picots noirs et hérités de sa grand-mère. Ces luminaires, shoppés chez Patterns, boutique bruxelloise de mobilier vintage et contemporain. Ces photos, format poster, qui lui rappellent ses années d’expat en Argentine et ses voyages à Tokyo, avec hôtel lorgnant sur le mont Fuji, où elle se rendait longuement plusieurs fois par an, en tant que directrice des collections d’accessoires de Courrèges. Deux tables de salon signées RED Edition. Des oeuvres d’artistes aussi. La sienne notamment, une statue qu’elle a réalisée pendant ses études adorées, aux Arts décoratifs, à Paris. Les sérigraphies de Floriane de Lassée ou les objets détournés de son amie designer Rebecca Vallée Selosse, qui a imaginé ces bougies-chandeliers ou ce casque transformé en seau à champagne, pour l’éditeur Bienvenue 21.

Une armoire datant des années 30, un tapis acheté chez Didden & Co et des chaises trouvées chez Troc International.
Une armoire datant des années 30, un tapis acheté chez Didden & Co et des chaises trouvées chez Troc International.© FRÉDÉRIC RAEVENS

« En tant que créatrice, je suis sensible aux objets. Je m’inspire de ce qui me touche. Mais plus que la beauté des lignes, c’est leur fonction, leur utilisation au quotidien qui m’intéresse. Ce n’est pas à nous de nous adapter à l’objet. Il doit rester accessible, ne pas être hautain. » Pas question dès lors d’interdire aux enfants de toucher une pièce ou de s’asseoir dans certains fauteuils, comme ce canapé Knoll, qui rejoindra la première boutique parisienne Bettina Vermillon, dès qu’un emplacement idéal aura été trouvé.

Une maison contemporaine aux accents seventies
© FRÉDÉRIC RAEVENS

En attendant, l’expatriée traverse sa cuisine pour ouvrir une porte massive, derrière laquelle se cache son atelier dédié à sa griffe de chaussures. « Les espaces sont clairement distincts et me permettent de ne pas mêler vies privée et professionnelle. » Dans une bibliothèque qui semble avoir été construite juste pour elle, trônent les prototypes de la prochaine saison. « Jamais on ne pourrait imaginer qu’une griffe de luxe parisienne se construit ainsi, coupée du monde », s’étonne encore celle qui se rend toutefois deux fois par semaine dans la Ville lumière pour les besoins de son projet. « Cette ville m’apporte une frénésie… Mais je suis, ici, dans une bulle. Le temps s’arrête. C’est un beau cadeau de la vie, même s’il faut rester vigilante et ne pas se laisser endormir par ce rythme doux. »

Pieds design

L’originalité des chaussures Bettina Vermillon? Un talon en aluminium, incassable et léger, fabriqué par un sous-traitant de Dassault, davantage habitué de l’aviation et de la Formule 1 que des accessoires de luxe. Il se veut pur et graphique de par ses angles et constitue la signature de ce label parisien, fondé en 2015 par Lorraine Archambeaud, ancienne de la maison Courrèges et designer de meubles à l’origine. Chaque saison, on retrouve une série de pièces iconiques – des boots, escarpins et sandales – déclinés autour d’une inspiration spécifique. Celle de ce printemps-été n’est autre que le travail de Patricia Urquiola, architecte et designer espagnole contemporaine.

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