Jonas Gerckens, skipper liégeois: « En mer, on ne peut pas tricher »
Alors qu’il s’apprête à se lancer pour la deuxième fois dans l’aventure de la Route du Rhum, le skipper liégeois Jonas Gerckens, Breton d’adoption depuis quelques années, rappelle les leçons que nous apprend l’océan – qu’on ait ou non le pied marin.
Comment passe-t-on des rues de Liège aux mers internationales?
Le virus de la navigation est arrivé très tôt. Quand j’avais 2 ans, mes parents ont emmené la famille pour un tour d’Europe en bateau qui a duré quatre ans. L’année de mes 6 ans, on a fait escale à Saint-Malo, où on est finalement restés trois ans et demi et où j’ai appris la voile. J’y ai découvert la Route du Rhum et je me suis juré de faire ça un jour. Entre-temps, on est rentrés en Belgique, où j’ai poursuivi ma scolarité en m’adonnant… au judo. Mais l’appel du large a été plus fort et je suis retourné en Bretagne pour tenter de faire de la voile mon métier. Aujourd’hui, j’en vis, mais j’ai dû traverser beaucoup d’années de vaches maigres. Malgré tout, je n’ai jamais envisagé de laisser tomber: je suis Liégeois, et on a tendance à être assez têtus, mais surtout, je ne voulais pas renier mon rêve de gosse.
‘Je n’ai jamais envisagé de laisser tomber. Je ne voulais pas renier mon rêve de gosse.’
Désormais réalisé, ce rêve est-il à la hauteur de vos attentes? Que vous apporte l’océan?
La mer nous apprend à voir le monde autrement. En passant ne fût-ce que quelques jours au large ensemble, on connaît mieux les gens que si on passait des mois sur terre avec eux. En mer, on ne peut pas tricher, les masques tombent vite, et même si le rythme y est plus lent que sur la terre ferme, elle dévoile bien plus de choses.
Votre métier vous a poussé à déménager en Bretagne. Comment vivez-vous ce déracinement?
C’est facile pour un Belge de s’installer en France. Culturellement, nos deux pays sont proches, mais dès que je dis «septante» ou «nonante», on ne manque jamais de se moquer gentiment de moi. Si ça les fait sourire, tant mieux. Quand je suis arrivé ici, les gens se demandaient ce que je faisais là. Puis, au vu de mes résultats sur l’eau, ils ont commencé à me prendre au sérieux. La Bretagne est incroyable, c’est un endroit magique en termes de couleurs, de paysages… Navré pour la côte belge, mais c’est un peu plus sexy quand même.
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Quel est le plus grand défi de votre métier?
Concilier la vie de marin et celle de papa n’est pas simple. Mes enfants ont 12 et 14 ans, c’est une période dans laquelle ils ont très fort besoin de leurs parents. J’essaie d’être le plus présent possible. La voile est mon gagne-pain, je ne peux pas tout lâcher du jour au lendemain, mais être père est une excellente motivation à naviguer le plus vite possible pour être de retour auprès des miens. Malgré tout, il m’est arrivé de ne pas faire une course car je sentais qu’ils avaient besoin de moi.
Comment se prépare-t-on à une course au large?
En voile, c’est normal que les classements hommes et femmes se mélangent. C’est un des seuls sports qui ne joue pas que sur le physique: le mental compte énormément. Une course au large est une expérience extrême, durant laquelle on ne dort que 5 heures par jour, entrecoupées en tranches de 20, 30 ou 40 minutes. J’ai suivi un entraînement en sophrologie, comme les para-commandos, pour apprendre à vite sombrer dans un sommeil profond et réparateur. Il faut éviter toute tension musculaire puis se concentrer sur un objet ou écouter une musique relaxante. Cette technique est tout à fait adaptable à la terre ferme.
Mais quid des spécificités de l’océan?
Il ne faut jamais oublier que c’est la mer la patronne. Si une tempête se présente, c’est important de savoir rester humble, parce que l’océan sera toujours le plus fort. En cas de pépin en plein milieu de l’Atlantique, les pompiers ne vont pas arriver dans l’heure pour vous sauver. Le risque zéro n’existe jamais, mais le sens marin implique aussi de savoir mettre la compétition entre parenthèses et de dévier sa route si une tempête s’annonce.
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Que vous reste-t-il de votre enfance à Liège?
Pour moi, la gourmandise est tout sauf un vilain défaut. J’adore aller au restaurant, je savoure le partage et les découvertes que ça représente. Lionel Rigolet est l’un des parrains de mon bateau: grâce à lui, je mange très bien les premiers jours des courses, car il me prépare deux plats à emporter. La gastronomie ressemble au sport de haut niveau: cela demande de la passion, de la coordination, et des sacrifices. J’aime beaucoup cuisiner, et même s’il y a plein de produits de qualité en Bretagne, pour moi, rien ne vaut la cuisine belge. Boulets frites, chicons au gratin, waterzooi… J’adore faire découvrir nos spécialités à mes amis français et les aider à réaliser qu’il n’y a pas que leur gastronomie dans la vie.
Qu’aimeriez-vous partager de votre métier?
Sur l’eau, on est confrontés en permanence à ce qu’on fait subir à la planète. Les courants amènent les déchets au large, et parfois, on tombe nez-à-nez avec un monticule de plastique, voire même des frigos ou des containers. On constate aussi l’impact du réchauffement climatique avec la prolifération de la sargasse, une algue invasive qui se répand à une vitesse dramatique. Il ne faut jamais oublier que tous les changements, petits ou grands, partent des individus. Les petites bourrasques peuvent donner naissance à de grandes tempêtes.
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