Antoine, chanteur et navigateur: “Je suis un solitaire qui aime rendre les autres heureux”
Il y a cinquante ans, il prenait le large pour son premier tour du monde à la voile en solitaire. Le chanteur aux chemises bariolées prépare pour l’automne une série de conférences sur ses plus belles escales. Oh yeah!
A l’occasion de la sortie d’une version actualisée de son célèbre guide de navigation, Antoine (80 ans) dresse pour nous le bilan d’une vie nomade.
L’envie de voyager
Je suis né à Madagascar. Ma famille a suivi mon père aux quatre coins du monde. Il travaillait pour les services publics de ce que l’on appelait alors la France d’outre-mer. J’ai traversé quatre fois l’Atlantique avant d’avoir 15 ans. Dès que j’en ai eu l’âge, j’ai pris la route, avec peu de moyens, pour traverser les Etats-Unis, l’Europe. Il vous suffisait de lever le pouce pour aller où vous vouliez. La chanson n’est arrivée finalement que pour me permettre de voyager. Comme tout ce qui a suivi.
Le diplôme d’ingénieur
Je suis entré à Centrale pour suivre les traces de mon père. C’est ce que l’on attendait de moi. J’ai eu la chance d’intégrer, comme Boris Vian avant moi, l’une des meilleures écoles d’ingénieur de France. Et d’en sortir diplômé. A quelques mois près, la chanson m’aurait happé. Les derniers mois, je filais à moto à la sortie des examens pour donner des concerts. Je dis souvent que j’y ai appris à apprendre. Cela m’a servi lors de mon tour du monde en solitaire pendant lequel j’ai dû maîtriser tellement de choses – l’usage du sextant, la mécanique, l’électronique… – en très peu de temps.
Les pieds sur terre
J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie, notamment celle d’échapper au précipice de la drogue. Mais aussi de rencontrer des gens passionnants. J’ai connu assez d’échecs en marge des succès pour garder les pieds sur terre. Les échecs d’ailleurs peuvent être formateurs. Si c’était à refaire, je ne changerais rien, même pas les arnaques dont j’ai pu être victime au début de ma carrière. Je ne me suis jamais retrouvé fauché mais je n’ai rien accumulé. Mes chansons, mes films, mes livres m’ont permis de vivre libre. De dire merde à tous ceux qui voulaient me faire faire des choses dont je n’avais pas envie.
Le pouvoir des objets
Je pense bien sûr à la guitare que j’ai achetée lorsque j’avais 20 ans. Au bateau qui se trouvait par hasard dans cette maison de vacances et qui m’a donné le goût de la voile. A ma toute première chemise à fleurs – c’était une blouse pour femme repérée par ma compagne de l’époque qui m’a mis au défit de la porter – devenue mon look attitré. J’en ai partout où je vis, j’ai cessé de les compter.
La mer
Elle rend humble et orgueilleux tout à la fois. Sur un voilier, on a toujours un peu la trouille. On comprend vite que toute mécanique a un état stable et normal, qui est l’état de panne. C’est ce que j’appelle dans mon livre le «principe d’Antoine». Une seconde sans pépin, sans frayeur, et c’est l’exaltation. On devient le maître du monde. Chaque traversée est faite de tous ces moments. Mais à l’arrivée, on ne se rappelle que des bons souvenirs, jamais des emmerdements.
La maison en Auvergne
Elle est un peu comme une île. J’y vis quand je ne navigue pas, entouré de verdure à plus d’un kilomètre à la ronde. Mon Catamaran, le Banana Split, m’attend en Australie. Lio est sa marraine même si elle n’a encore jamais mis les pieds dessus! J’ai compris très vite que la vraie vie se passait ailleurs que dans les studios de télévision, les aéroports et les hôtels de luxe. Au fond je suis un solitaire qui aime rendre les gens heureux en faisant ce qui lui plait.
La planète
Lorsque j’écris en 1987 la chanson Touchez pas à la mer, c’était déjà un cri d’alarme. Aujourd’hui, j’évite autant que possible les endroits les plus pollués. Ces spots en Indonésie ou en Méditerranée où les fleuves déchargent leurs tonnes de plastique. Même dans les lieux préservés, les forêts de corail se détériorent. Les glaciers disparaissent. Un peu comme le canari dans la mine à charbon, ce sont des signes qui devraient nous alerter.
La paix
Naître deux jours avant le débarquement de 44 est une chance inouïe. J’ai connu ce qu’aucune génération n’avait vécu jusque-là: quatre-vingts années de paix relative, sans guerre mondiale en tout cas. Quand j’y pense, 1944, c’était un sacré millésime, avec Michel Polnareff, Dave, Sylvie Vartan et bien sûr Françoise Hardy. Elle ne nous quittera jamais vraiment: ses chansons l’ont rendue éternelle. Lorsque ce sera mon tour de partir, j’aimerais que l’on se souvienne de moi comme un courant d’air. Le souffle frais d’une journée d’été au-dessus d’un lagon bleu.
Guide pratique pour mettre les voiles avec Antoine, Voiles Gallimard, 336 pages.
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