Au coeur du jardin secret des Alpes
Protégée comme un château fort par ses frontières naturelles, cette belle vallée française blottie contre l’Italie a su préserver aussi bien sa quiétude que ses trésors humains.
Dans les Hautes-Alpes françaises, le contraste est parfois saisissant : d’un côté, ces villages bétonnés dont la vie économique est entièrement tournée vers le tourisme d’hiver. De l’autre, des recoins encore sauvages, comme cette vallée perdue dans le sud du massif alpin, pétrie de traditions, dont les chalets de bois se serrent autour des églises. Enchâssé entre sommets et frontière italienne, le Queyras n’a rien à voir avec les usines à ski que l’on peut rencontrer ailleurs dans la région. Ici vit une population attachée à sa terre d’altitude et qui, il y a trente ans encore, vivait repliée sur elle-même.
Si l’on remonte dans le temps, on s’étonne de découvrir que le Queyrassin a goûté très tôt à une liberté négociée dès la fin du Moyen Age. Naquit alors une forme de pouvoir révolutionnaire pour l’époque, qui resta indépendante jusqu’en 1789 : la République des Escartons. Celle-ci était composée de cinq provinces (dénommées » escartons « ) : deux en France (Briançonnais et Queyras) et trois en Italie. Le système, démocratique, incluait aussi bien les hommes que les femmes dans la vie publique. Témoin étonnant de cette époque, une armoire à huit serrures conservée à Château-Ville-Vieille, l’ancienne capitale. Ce meuble d’un genre particulier servait à entreposer les documents de l’escarton du Queyras : huit clés étaient nécessaires pour l’ouvrir, une pour chacun des sept responsables de communes, la huitième restant en possession du secrétaire général. Une manière efficace et élégante de préserver la démocratie.
Si le Queyrassin était épris de liberté, il avait aussi l’esprit frondeur, comme le montrent les plus de 1 500 pierres écrites, cachées au détour des sentiers ou posées en plein coeur des villages (à Abriès, notamment), gravées par des contestataires et des anarchistes. Tout au long des siècles, la vallée est restée très isolée. Les habitants vivaient de peu, cultivaient le seigle, l’orge et l’avoine, un peu de lin et de chanvre au fond des vallons, et élevaient quelques animaux. Jusque dans les années 50, les familles y subsistaient dans des conditions rustiques, hommes et bêtes partageant la même pièce pour se tenir chaud.
à fleur de ciel
Abriès, Aiguilles, Arvieux, Ceillac, Château-Ville-Vieille, Molines, Ristolas et Saint-Véran. Huit villages et 2 400 habitants répartis sur des milliers de kilomètres carrés, on pourrait presque parler de désert humain. Perché à 2 040 mètres d’altitude, Saint-Véran revendique avec fierté le titre de plus haute commune d’Europe. Plus près du ciel, ses 290 âmes profitent, comme le reste du Queyras, d’un ensoleillement intense dû à la proximité de la Méditerranée. Joseph Brunet, figure emblématique de Saint-Véran, adore guider les visiteurs dans son hameau. Du haut de ses près de 80 ans, il conte comme personne et avec beaucoup d’humour cette rude vie montagnarde qu’il a encore connue tout petit. Plusieurs maisons de ce village n’ont d’ailleurs pas changé, y compris à l’intérieur. Il faut visiter le musée du Soum, installé dans une bâtisse du xviie siècle, pour mieux visualiser les objets qui ont peuplé l’enfance de Joseph. Ou la vieille église gardée par deux lions de pierres. A l’intérieur, une crèche dont les personnages ont été sculptés par les habitants dans les années 50. Qui a fait quoi ? Facile. Joseph a sculpté la statue du père de Jésus, tandis que son épouse, Marie (ça ne s’invente pas ! ), a modelé la Vierge.
Au temps des cadrans
Peut-être l’homme vous proposera-t-il une petite goutte de génépi avant de vous emmener à la découverte des quartiers aux chalets patinés ou des fontaines qui chantent. Mais aussi des nombreux cadrans solaires éparpillés dans la région. Et il y a une raison à cela. Jadis, ce sont des artistes italiens qui franchissaient les Alpes pour venir proposer leurs talents dans le Queyras avant que les locaux ne s’y mettent à leur tour. Rémi Potey est l’un de leurs héritiers. L’homme fut berger mais aussi maçon et forestier avant de se lancer dans l’activité de cadranier. Lorsqu’il démarre, il achète de la peinture acrylique, ignorant encore la technique » a fresco « , sur de la chaux et du sable. C’est la méthode la plus résistante et la plus ancienne, qu’il pratique avec une impressionnante habileté. Lorsque la chaux est encore fraîche et humide, il appose des pigments en provenance de Roussillon. Rémi a déjà façonné une bonne cinquantaine de cadrans, tous personnalisés. Un art qui renoue avec une tradition en voie de disparition depuis la fin du xixe siècle, lorsqu’il ne restait qu’une soixantaine d’horloges solaires dans le Queyras. Etrangement, la fonction horaire a toujours été secondaire, le but était surtout d’afficher le statut social du propriétaire. Aujourd’hui encore, chaque oeuvre laisse transpirer l’âme et la personnalité de son commanditaire.
L’art du bois
Le climat méditerranéen assez sec qui caractérise la région favorise le mélèze plutôt que les pins ou les sapins. Dès lors, chaque hiver, les versants sont livrés au regard qui arrive à percer à travers les branches dénudées des forêts. Comme jadis, le mélèze couvre encore bien des toitures d’églises et de chalets. Il sert aussi de bois de charpente et de construction, notamment pour les fustes, les granges locales. Imputrescible et résistant aux attaques des parasites, il se patine avec le temps pour prendre des couleurs minérales. On l’utilise également pour fabriquer des meubles. Pour les jouets, les artisans préfèrent une autre spécialité de la vallée : le pin cembro. Autrefois, cette activité occupait les hommes durant les mois d’hiver. L’histoire raconte qu’un pasteur venu d’Alsace dans les années 20 aurait suggéré aux habitants de sculpter pour améliorer leur ordinaire. A l’origine, les personnages étaient inspirés des récits religieux, comme l’Arche de Noé. Ensuite, ils se mirent à façonner des ustensiles de cuisine, des boîtes, des coffrets… A l’époque, plus de 150 familles en vivaient. Aujourd’hui, ils ne sont plus que quelques-uns à perpétuer cet artisanat si raffiné.
Loup, y es-tu ?
Avec tant d’espaces encore vierges, le Queyras abrite une flore riche et une faune unique bien préservée. Rien d’étonnant, dès lors, que les chamois, les bouquetins, les mouflons, les tétras-lyres et les hiboux grand-duc y soient omniprésents. Depuis 1997, même le loup est revenu hanter les forêts. Pour l’heure, les spécialistes dénombrent en moyenne une à deux meutes. Pour protéger son biotope et ses hôtes, un parc naturel régional a été créé en 1977, dominé par la stature massive du mont Viso, le » mont Blanc des Alpes du Sud « , qui dépasse de 800 mètres ses proches voisins.
Même si l’on vient ici avant tout pour se poser et prendre le temps, le Queyras est aussi un magnifique terrain de jeu. Ski de fond, raquettes, traîneau à chiens, ski de randonnée, escalade sur glace ou ski alpin : tout (ou presque) est possible. Toujours avec cet accent très nature qui donne tant envie d’y revenir. Ainsi, les domaines skiables sont équipés d’un minimum de remontées dites » stratégiques » qui offrent pour chacune des possibilités de descentes multiples, tracées ou hors piste. De la plus haute piste (2 867 m) qui mène bien au-dessus de Saint-Véran et de la limite de la forêt, on profite d’une vue imprenable sur le mont Viso, là où le Guil prend sa source avant de venir arroser toute la vallée. Grand souci pour tant de régions, l’enneigement est souvent exceptionnel grâce aux » retours d’est » pouvant déposer un mètre de poudreuse sur une journée. Ces épisodes météo, rares sur la saison, permettent au Queyras de bénéficier à la fois d’un temps généralement ensoleillé et de beaux reliefs blancs. Un régal pour les yeux, cela va sans dire…
En pratique
Se renseigner
www.queyras-montagne.com
Se loger
Chalets du Queyras. Philippe et Geneviève, dont les ancêtres se sont installés dans le Queyras il y a plus de 400 ans, accueillent les voyageurs dans de beaux chalets ou appartements couleur locale. www.leschaletsduqueyras.com La Ferme de l’Izoard. Au pied des pistes, ce Logis de France se révèle idéal pour héberger les familles. www.laferme.fr La Maison de Gaudissard. Une ancienne ferme queyrassine au-dessus du village de Molines où l’on vit presque en dehors du temps. Dix-sept chambres simples mais confortables, ainsi que quelques appartements, un gîte et un restaurant où les plats régionaux sont à l’honneur. www.gaudissard.com
A faire aussi
? Outre le ski alpin, bien sûr, le Queyras est le premier site nordique des Alpes du Sud (200 km de pistes) et le 3e plus grand de France. Un must : La Haute Trace des Escartons, soit 100 km en 4 jours, de gîte en gîte, entre France et Italie.
? Traîneau à chiens, ruisseling, escalade sur glace, raquettes, parapente, patinage sur site naturel, luge, randonnée, visite de fermes et d’ateliers (coutellerie, jouets en bois…).
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici