Carnet de route: 4 jours en solo en Patagonie
La Patagonie est un lieu mythique pour le trekking grâce à son climat austral, ses paysages grandioses et sa nature préservée. Notre journaliste a arpenté le parc national Torres del Paine durant quatre jours, en solitaire. Carnet de route.
Le parc national Torres del Paine, situé dans la région de Magallanes et de l’Antarctique chilien, se déploie sur 200 000 hectares. Classé «réserve de la biosphère» par l’Unesco depuis 1978, il est réputé pour ses montagnes immenses, ses icebergs bleu clair et ses pampas dorées abritant notamment des guanacos (sortes de lamas). Je dépose mes bagages dans la petite ville de Puerto Natales, à 150 km au sud de l’entrée du parc. Veronica loue un Airbnb, où je vais me poser une quinzaine de jours. Marcher dans cette contrée est un vieux rêve. J’y avais mis les pieds pour une seule journée en 2006, mais je m’en souviens très bien: à la radio, on annonçait la mort de Pinochet.
En ce mois d’octobre 2022, je me réjouis de faire plus ample connaissance avec ce lieu majestueux. J’ai réservé mon trekking à l’avance via une agence locale. Logement, repas, transports, entrée du parc… Tout est compris. Un fameux budget: 820 euros, soit le prix à payer pour profiter plus sereinement de 4 jours et 3 nuits «into the wild». J’ai opté pour le W Express, un itinéraire de 75,5 km qui démarre aux Tours, mais il est possible de faire le circuit dans l’autre sens.
Veronica m’a prêté un sac de 40 litres et des bâtons de marche. Je transporte environ 8 kilos. Ayant un régime alimentaire végétalien et sans gluten, j’ai emporté un peu de nourriture: fruits secs, barres de céréales, pommes ou carottes. Le parc accueille des visiteurs de septembre à avril. Je suis en début de saison, il ne devrait pas y avoir trop de monde sur les chemins…
Jour 1 – Torres del Paine
Le réveil sonne à 5 heures. Je m’active. A 6 heures, je quitte l’Airbnb pour marcher vers la station de bus de Rodoviario, à 30 minutes à pied du logement. Il y a déjà du monde. Des randonneurs de toutes nationalités. A 7 heures, le bus quitte la bourgade de Puerto Natales, qui me fait penser à Ushuaia pour son côté «bout du monde». Quelque 150 kilomètres séparent Puerto Natales de l’entrée du parc national. Deux à trois heures de bus dans de magnifiques paysages. Direction le nord.
J’arrive à 9 heures à la Laguna Amarga. Je scrute l’heure, car l’agence avait conseillé de commencer à marcher avant 10 heures. Après le check-in au camping, il faut réceptionner ses tickets-repas, sa box lunch et trier son sac. C’est un peu la course. Probablement la raison pour laquelle beaucoup de gens préfèrent réaliser le circuit en cinq jours plutôt que quatre.
Il est 9 h 45 quand je prends la route. Il fait assez beau. En tout cas, peu de pluie, pas trop de vent. De temps en temps, des rafales ou même de la neige: c’est la Patagonie. Avant d’atteindre les fameuses Tours, il faut traverser Ascencio, seconde vallée d’importance du massif.
Je marche dans le secteur Central. 19,4 km à parcourir. Le refuge et le camping Chileno sont à 2 heures de marche. J’y prévois ma pause de midi pour être au chaud. La Guardería de Las Torres se situe encore 2 heures plus loin. Puis il reste 45 minutes de montée pour arriver au «lookout» des Tours. Presque 1 000 mètres de dénivelé positif sur une seule journée. Avec un chronomètre dans les pieds car le dernier tronçon ferme à 14 heures… et il faudra faire le retour. Partout sur mon passage, des gens m’encouragent: «You are very close», «you can do it!»
Et soudainement, ça y est: le spectacle est grandiose. Les tours se dressent devant moi, tandis qu’un lac s’étend en dessous des Tours. Nichées au cœur du parc, les Torres del Paine sont alignées entre les vallées Ascencio et Bader. La formation de ces beaux obélisques de granite date d’environ 12 millions d’années, en raison d’une intrusion de magma ayant créé un soulèvement des sédiments en surface. Au cours de la dernière période glaciaire, la glace a recouvert de nombreuses montagnes, les érodant pour donner naissance aux cimes qui se dressent devant moi.
Je passe un long moment à les contempler. Mais il faut redescendre… et c’est là que je comprends que les «tours de la Douleur» portent bien leur nom! Je mets néanmoins 6 heures au lieu des 8 annoncées. C’est le premier jour et j’ai les jambes pour grimper. Arrivée au camping, une bonne douche. L’eau chaude est disponible de 17 heures à minuit. Lors du souper au refuge, je fais la connaissance d’Américains et de Chiliens. Mon espagnol est assez bon pour avoir une conversation. Je me couche avec le soleil, à 21 heures. Le ciel est rempli d’étoiles, c’est magique. Mais malgré un épais duvet et le fait que je dorme tout habillée, je suis littéralement gelée.
Jour 2 – Cuernos
6 h 30. J’ai les yeux tout gonflés. J’ai mal au cou, au dos. Le sol est dur. Il fait froid. Je suis réveillée par le chant des oiseaux et le bruit du vent dans les arbres. C’est l’avantage de dormir en tente: ne pas entendre le ronflement des voisins ou, en tout cas, de loin. Mais le gros désavantage est le manque de chauffage. A 7 heures, je me dirige vers le refuge proche du camping pour prendre le petit-déjeuner. Je suis attablée avec un couple de Norvégiens d’une cinquantaine d’années, deux Colombiens de Bogotá et un Australien de Melbourne. Après un thé, je démarre assez vite pour ne pas perdre de temps: j’ai 19 km à parcourir aujourd’hui. L’itinéraire: rallier le camping Francés, en traversant le secteur Cuernos.
«Cuernos» signifie «cornes» et tire son nom de la forme des roches et des montagnes qui se déploient autour de moi. Je passe sur des ponts suspendus, sur la rive du lac Nordenskjöld avec en fond les imposants Cuernos del Paine. Ces trois sommets en forme de cornes sont composés d’une couleur foncée au sommet et à la base et de granite au milieu. Il fait nuageux et couvert mais pas de vent et surtout, pas de pluie. Le temps idéal pour marcher. Sur les chemins, je rencontre quelques visages familiers. Une fois de plus, les mots d’encouragement permettent de se donner un peu de force quand c’est nécessaire. Le décor, toujours aussi beau, se charge du reste. Le relief est relativement plat. La journée de marche – environ 6 heures – me paraît assez paisible.
Arriver tôt – il n’est que 14 heures – me permet de me reposer, de prendre une douche chaude dans les premières, et de grignoter avant le souper. Le camping Francés est situé en pleine forêt. Ma tente est protégée par les arbres et j’espère donc avoir moins froid que la nuit précédente. J’attends l’eau chaude, disponible entre 16 et 21 heures. J’observe les marcheurs exténués arriver au compte-gouttes. Pas de réseau téléphonique, et Wi-Fi payant. La déconnexion fait un bien fou. Ce soir-là, je dîne en compagnie de deux amies chiliennes de Santiago et cinq Brésiliens. Je m’éteins à nouveau vers 21 heures, le corps un peu douloureux. Il fait plus doux que la vieille. Mon sommeil sera calme et bienfaisant.
Jour 3 – La vallée del Francés
Je suis réveillée par mes voisins de camping à 6 h 30. Petit-déjeuner et thé bien chaud. Programme du jour: 18 km, pour environ 8 à 9 heures de marche. On annonce de la pluie et du vent à partir de midi. Vivre les quatre saisons en une seule journée, ici, n’est pas rare. C’est une donnée à prendre en compte. Mais comme me l’a dit un jour un ami: «Il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que des mauvais équipements.»
Mon objectif du jour: la vallée del Francés et le lookout Británico. D’après les échos, c’est l’une des parties préférées des marcheurs. A nouveau, 1 000 mètres de dénivelé positif. Le vent se lève assez vite. Mais je sais que je peux prendre mon temps, car deux nuits sont prévues au camping Francés. Mon sac est plus léger, je porte uniquement l’essentiel, même si l’appareil photo est lourd.
Mes yeux sont ébahis face aux forêts, ponts suspendus, glaciers, pics rocheux et lacs colorés. Au lookout du glacier Francés, une tempête de vent et de pluie se déchaîne. Pourtant, le spectacle est dingue, surtout quand se dessine une soudaine avalanche. Le soleil apparaît une fraction de seconde à travers les nuages, je frissonne. Un moment inoubliable.
Courte pause, et j’entame l’ascension vers le panorama du Británico. Au sommet, il neige, le ciel est nuageux et le brouillard enveloppe le décor. Je ne vois strictement rien. Mais l’effort en vaut la peine, ne fût-ce que pour le plaisir de marcher. Et d’être surprise, à nouveau, par cette contrée décidément unique. De retour au camping à une heure raisonnable, j’ai le plaisir de participer à la vie du campement et du refuge. Les jambes et le dos souffrent, mais qu’importe. La nuit, il pleut durant des heures, et toutes mes affaires sont victimes de l’humidité. Dur, dur…
Jour 4 – Paine Grande et Grey
La mise en route est difficile, mais une fois les yeux bien ouverts et les muscles chauffés, tout va bien. Dernier jour de marche, déjà. Je m’accorde un bon petit-déjeuner. La faim est là, alors que j’ai la sensation de grignoter souvent. A 7 h 30, je suis sur les chemins. Je ne croise quasiment personne, à part quelques couples. Peu de gens – même s’il y en a – se la jouent «en solitaire». L’itinéraire du jour consiste à rejoindre le camping-refuge de Paine Grande. De là, monter au premier lookout du glacier Grey, à 19,1 km.
Une fois n’est pas coutume, malgré la météo, les récompenses ne manquent pas. Quand apparaît Paine Grande, je ne peux que m’incliner devant ces quatre pics bien alignés. Le sommet principal est incroyable, arborant une tour de roche aux dimensions majestueuses, qui surpasse les autres de 300 mètres environ. Couverte de blocs de glace qui surplombent la cime, cette «cumbre principal» déploie des formes vertigineuses face auxquelles on se sent minuscule. Les autres pics, du sud au nord, s’appellent Punta Bariloche (2 660 mètres), Central (2 730 mètres) et Norte (2 760 mètres), et leur carrure n’est pas moins affolante…
Il pleut non-stop sur ces paysages qui me font penser parfois à la Nouvelle-Zélande, avec ses lacs et montagnes qui ne peuvent laisser aucun regard indifférent. Mon corps est fatigué, mais je fais un pas après l’autre. On est tous dans la même galère, assumant ce plaisir un peu masochiste de la randonnée dans des contrées reculées.
Je finis de marcher vers 15 h 30. J’apprécie durant un long moment l’image qui m’est offerte. Le glacier est resplendissant, malgré les nuages. Quelques icebergs flottent sur le lac Grey. Tout autour, le champ de glace est immense. A contre-cœur, je redescends au refuge Paine Grande, lieu de rendez-vous pour le ferry sur le lac Pehoé. Trois heures d’attente. Dehors, les éléments sont déchaînés.
Il est 18 h 35 quand j’embarque. De l’autre côté du lac, à Pudeto, un bus m’attend pour rentrer à Puerto Natales. Sur la route, beaucoup de neige, et un puma qui dort paisiblement le long du bitume. Le froid est tenace, d’autant que la tempête des deux derniers jours ne m’a pas permis de sécher mes affaires. Le bus arrive à 22 heures à la station Rodoviario de Puerto Natales, même endroit qu’il y a quatre jours. On se dit au revoir. On s’échange les adresses. On se reverra peut-être ailleurs, un jour, qui sait.
EN PRATIQUE
– Plusieurs agences proposent des voyages en Patagonie sur mesure, comme Les Maisons du Voyage, Terres Lointaines, Voyageurs du Monde ou Evaneos.
– Si vous organisez votre voyage vous-même, sur place, l’agence à laquelle nous avons fait confiance pour cette randonnée est Fantástico Sur, spécialiste de la région: fantasticosur.com
– La meilleure période pour arpenter la Patagonie va d’octobre à avril.
A lire aussi: Notre article sur les voyages en solo.
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