Chine: au Xinjiang, le tourisme fait sa révolution malgré les camps de Ouïghours

Les membres d'un ensemble local de chant et de danse se produisent pour accueillir les touristes devant le centre de service client de la zone touristique du Pamir, dans le comté autonome tadjik de Taxkorgan, dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang, le 6 septembre 2023. © Belga

Tenues folkloriques, photos-souvenirs et brochettes de mouton: dans un décor de carte postale sur la mythique ancienne route de la Soie, les touristes chinois affluent au Xinjiang à l’écart des centres d’internement controversés pour musulmans.

Malgré les camps, le tourisme fait sa révolution au Xinjiang

Dans la vieille ville de Kachgar (nord-ouest de la Chine), capitale culturelle des Ouïghours, de souriants vendeurs font griller de goûteuses brochettes d’agneau, une spécialité locale, tandis que des enfants jouent dans les ruelles. « Avec sa longue histoire, sa riche culture et son architecture unique, la vieille ville est le coeur et l’âme de Kachgar », s’enthousiasme une guide ouïghoure devant un groupe de touristes visiblement conquis. 

La majorité sont des Chinois hans, le groupe ethnique majoritaire en Chine. Certaines organisations de défense des droits humains accusent les autorités de réprimer la minorité autochtone ouïghoure au Xinjiang. Après une série d’attentats sanglants attribués par Pékin à certains Ouïghours dans ce vaste territoire frontalier de l’Asie centrale, les autorités y imposent depuis plus d’une décennie des mesures draconiennes au nom de l’anti-terrorisme.

La Chine est soupçonnée d’y avoir interné dans des « camps de rééducation » au moins un million de personnes, surtout musulmanes, selon des organisations. Pékin dément ce chiffre et parle de « centres de formation professionnelle » destinés à lutter contre la radicalisation islamiste. Ce qui n’empêche pas le Xinjiang, terre de brassage de populations et réputé pour son patrimoine et ses espaces naturels, de vouloir attirer les touristes, à la faveur d’une nette amélioration des conditions sécuritaires.

« Une grande famille »

A Kachgar, dépaysement garanti. Des dizaines de boutiques proposent aux touristes d’immortaliser leur séjour avec des photos en tenue traditionnelle locale. Nombre d’agences de voyage offrent également des spectacles de danse et chants traditionnels, un grand classique des circuits touristiques. « De nombreux touristes se plaisent tellement ici qu’ils reviennent, montent des entreprises […] et s’installent auprès des autres minorités telle une grande famille », insiste la guide, usant d’une expression régulièrement employée par les autorités pour vanter le multiculturalisme de la région.

Des propos qui tranchent avec le terrain: voilà plusieurs années, les autorités locales y ont interdit aux femmes ouïghoures de porter le voile islamique et aux hommes de se laisser pousser la barbe. Quant au Grand Bazar de Kachgar, où des milliers de commerçants vendaient autrefois des tissus, des épices et d’autres marchandises dans une ambiance typique de l’Asie centrale, il a été rasé l’année dernière.

Défense de prier

Le pouvoir considère depuis longtemps le tourisme comme un moyen de développer le Xinjiang, une région riche en ressources mais historiquement moins avancée que le reste de la Chine en raison notamment de sa situation géographique. Le Bureau du tourisme local prévoit cette année d’investir plus de 700 millions de yuans (89,2 millions d’euros), pour faire venir des touristes. Soit plus du double par rapport à 2019. 

Dans tout le Xinjiang, de nouveaux projets sont en cours que ce soit pour des hôtels de luxe, des campings ou des parcs. Selon le Quotidien du Peuple, un journal étatique, 12,6 milliards de yuans (1,6 milliard d’euros) d’accords ont été signés par de grandes enseignes hôtelières occidentales, telles que Hilton, Sheraton et InterContinental.

Le tourisme permet aussi à Pékin de répondre aux critiques sur ses entraves supposées aux droits humains au Xinjiang. « Est-ce que les gens ont l’air opprimés? La ville ressemble-t-elle à une prison à ciel ouvert comme l’affirment les Etats-Unis? », a feint de s’interroger en juillet sur X (ex-Twitter) une journaliste d’un média d’Etat chinois, filmée avec des habitants de Kachgar en train de danser.

« Pas de photos! »

A l’écart des circuits touristiques cependant, une équipe de l’AFP a vu en juillet dans un cimetière à Yengisar un panneau interdisant de mener des « activités religieuses » dans l’enceinte. S’agenouiller, se prosterner ou prier à genoux avec les paumes tournées vers le ciel font partie des gestes prohibés, selon des dessins qui détaillent les interdictions visant les pratiques musulmanes.

Certaines restrictions sont également décrétées pour les adeptes de la religion traditionnelle chinoise, mais les offrandes et les cérémonies discrètes restent possibles. Dans les environs de Kachgar, une dizaine de mosquées visitées par l’AFP étaient quant à elles fermées ou en état d’abandon. Certaines semblent avoir été débarrassées de leurs minarets. Beaucoup arborent en revanche des banderoles avec le slogan « aimez le pays, aimez le Parti » communiste chinois.

Un vendredi, jour sacré dans le monde musulman, pas plus d’une vingtaine de Ouïghours, pour la plupart âgés, sont aperçus dans l’emblématique mosquée Id Kah de Kachgar, la plus grande de Chine, où les touristes sont bien plus nombreux. Ce jour-là, trois autres mosquées situées à proximité étaient fermées. Les fermetures de lieux de culte au Xinjiang étaient « inutiles jusqu’à la récente vague de répression » qui a débuté en 2017, indique à l’AFP l’historien Rian Thum, de l’Université de Manchester (Royaume-Uni).

Dorénavant, « la destruction des sites religieux […] fait partie d’un ensemble plus large de politiques qui transforment le paysage et déconnectent la culture ouïghoure » du Xinjiang, affirme cet expert des Ouïghours. C’est dans la périphérie de Kachgar, où se trouvent la plupart des camps d’internement présumés, que l’on trouve les traces les plus nettes de la politique de Pékin.

Si certains semblent abandonnés ou reconvertis, d’autres semblent toujours opérationnels. Et ils mettent les autorités dans l’embarras lorsqu’ils sont découverts. « Ne prenez pas de photos! », s’époumone dans une voiture banalisée qui suit l’AFP une femme non identifiée. « Ici ce n’est pas autorisé. »

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