Amsterdam met Vermeer à l’honneur
Lui-même n’avait jamais vu autant de ses tableaux rassemblés : 28 toiles du peintre néerlandais Johannes Vermeer, soit la plupart de ses oeuvres, seront exposées à partir de vendredi au Rijksmuseum d’Amsterdam, un événement inédit.
L’artiste, auteur de toiles mondialement connues dont La Laitière et La Jeune Fille à la perle, n’a pas peint beaucoup de tableaux, environ 35, et peu de choses sont connues sur sa courte vie (1632-1675).
Le musée a réussi à rassembler plus de trois quarts de son œuvre, faisant de l’exposition la plus grande rétrospective jamais dédiée au peintre du siècle d’or néerlandais.
« Jamais dans l’histoire 28 tableaux de Vermeer n’ont été rassemblés », déclare à l’AFP Taco Dibbits, directeur général du Rijksmuseum, lors d’une visite en avant-première.
« Il n’en a même pas vu autant ensemble lui-même », ajoute-t-il.
Célèbres pour leur luminosité, les 28 toiles brilleront sur les murs sombres des galeries du Rijksmuseum le temps de l’exposition, du 10 février au 4 juin, prêtées par des musées et collections à travers le monde.
« Ce sont des retrouvailles très heureuses », note M. Dibbits, dont le musée a déjà vendu 200.000 billets, du jamais-vu pour une seule exposition.
Merveilleux
Une partie de la fascination pour Vermeer provient du mystère qui entoure le peintre, surnommé le « Sphinx de Delft ».
L’artiste est né dans une famille de commerçants calvinistes avant de se convertir au catholicisme après son union avec une femme aisée avec laquelle il a eu onze enfants.
Mais on connaît finalement assez peu de choses sur sa vie et son travail a longtemps langui dans l’obscurité par rapport à d’autres maîtres du siècle d’or néerlandais comme Rembrandt, avant d’être véritablement révélé au XIXème siècle.
L’accession de Vermeer au statut de mégastar coïncide avec la publication en 1999 du roman historique La Jeune Fille à la perle de Tracy Chevalier, inspiré du tableau prêté pour l’exposition par le musée Mauritshuis de La Haye.
Le livre a également donné naissance à un film hollywoodien en 2003 avec à l’affiche Scarlett Johansson et Colin Firth.
« Merveilleux, c’est merveilleux », déclare Mme Chevalier à l’AFP après avoir vu l’exposition.
« Je suis tellement contente que les gens voient ces peintures rassemblées et se fassent une idée de ce qu’était Vermeer », confie-t-elle.
La plupart de ses œuvres représentent des femmes qu’il « présentait sous leur meilleur jour, au sens propre et figuré », observe l’écrivaine.
Il peint des femmes dans des contextes domestiques, en train de lire, d’écrire une lettre d’amour ou de jouer un instrument de musique.
L’artiste montre « ce que c’est d’être une femme », ajoute Mme Chevalier, particulièrement séduite par « La Dentellière », œuvre d’une grande délicatesse prêtée par le Louvre.
Le temps s’arrête
L’authenticité d’une des œuvres exposées – « La Jeune Fille à la flûte » – est remise en cause par la galerie qui l’a prêtée, la National Gallery of Art de Washington, selon laquelle le tableau a été « plus probablement peint par un associé de l’atelier de Vermeer ».
Le Rijksmuseum affirme cependant être parvenu à une conclusion différente sur la base d’informations partagées.
« Je pense que pour la science et pour la connaissance de Vermeer, il est très important d’avoir ces discussions », affirme M. Dibbits.
Il estime que l’attrait de Vermeer réside notamment dans sa création de mondes silencieux si réalistes que le spectateur a l’impression de s’y perdre.
« Nous vivons dans un monde tellement mouvementé », observe M. Dibbits, « et puis nous nous tenons devant Vermeer, et le temps s’arrête ».
Plus d’infos sur l’expo www.rijksmuseum.nl/nl
Cinq choses à savoir sur Vermeer
Le « Sphinx de Delft »
On connaît finalement assez peu de choses sur la -courte- vie du Néerlandais. D’où son surnom de « Sphinx de Delft ». Né en 1632 dans cette cité hollandaise proche de La Haye, il meurt à 43 ans.
Il grandit dans une famille calviniste de commerçants moyens, avec un père instable et farfelu qui mène parallèlement une carrière de marchand d’art.
Converti au catholicisme, il épouse Catharina, une femme aisée dont il a onze enfants.
Comme son père, c’est aussi un marchand d’art et un expert réputé et, comme son père, il meurt criblé de dettes. Sa veuve donnera en gage au boulanger deux de ses toiles pour garantir une énorme dette de 726 florins. L’équivalent de deux à trois ans de pain…
Longtemps (relativement) oublié
Il jouit de son vivant d’une réputation d’artiste novateur et de la protection de riches commanditaires. Mais, hormis auprès de quelques collectionneurs éclairés, l’essentiel de son oeuvre tombe vite dans l’oubli après sa mort.
Il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour qu’il soit redécouvert. Grâce au critique d’art et journaliste français Théophile Thoré-Burger.
On assiste dès lors à une véritable chasse aux -rares- oeuvres de l’artiste, qui s’impose au XXe siècle comme l’un des peintres majeurs de l’histoire de l’art.
Vermeer: le vrai du faux
Attirés par cette nouvelle célébrité, les faussaires s’en donnent à coeur joie. Les « faux Vermeer » se multiplient…
D’autant que plusieurs de ses toiles ont disparu au cours des siècles et qu’on manque de connaissances sur cet artiste qui, fait rare, n’a laissé aucun croquis ni esquisse.
Aujourd’hui, seule une bonne trentaine de tableaux lui sont attribués avec certitude. Et les débats font rage sur certains.
C’est le cas de « La Jeune fille à la flûte », exposée à Amsterdam. Elle a été prêtée par la National Gallery of Art de Washington mais le musée a récemment conclu, après expertise, que l’oeuvre n’est pas du maître mais probablement d’un élève.
Le Rijksmuseum a choisi de la laisser attribuée à Vermeer et de la maintenir dans sa rétrospective.
Recours à la « chambre noire »
On reconnaît les toiles de Vermeer à leur perspectives sans défaut, d’autant plus étonnantes que l’artiste ne s’aidait d’aucune ligne guide ni d’étude préparatoire.
Selon une biographie récente, l’ex-protestant est formé à cette technique de la « camera obscura » -permettant de projeter la lumière reflétée par des objets sur une surface plane- par des prêtres jésuites dont l’église clandestine jouxte sa maison.
La chambre noire, considérée par les jésuites comme un outil d’observation de la lumière divine, lui permet cette mise au point sur un élément essentiel du tableau, comme le fil de « La Dentellière » par exemple, alors que d’autres zones sont volontairement floues.
Vermeer l’inspirateur
En conquérant la célébrité au tournant du XXe siècle, Vermeer fait aussi l’unanimité auprès des artistes, dans la littérature comme dans la peinture, puis le cinéma.
Renoir se pâme devant « La Dentellière », dont Dali propose sa propre version. Van Gogh loue « la palette de cet étrange peintre ». Et « Vue de Delft », décrit par Proust comme « le plus beau tableau du monde » est, à en croire Pissarro, « un chef d’oeuvre qui se rapproche des impressionnistes ».
Un tableau du maître hollandais est le mobile du crime dans l’un des romans d’Agatha Christie tandis qu’un épisode de la série « Sherlock » a comme sujet la découverte d’une de ses toiles inconnues.
Vermeer a également inspiré un livre pour enfants, une marque française de produits laitiers ou encore un roman à succès de l’Américaine Tracy Chevalier, transposé au cinéma avec la même réussite.