Direction Noirmoutier, aux sources de la fleur de sel
C’est une île d’à peine 50 km², qui jouit d’un microclimat. Outre les huîtres, elle produit aussi la précieuse fleur de sel. Nest est parti à la rencontre des saliculteurs de l’île de Noirmoutier et a quitté les lieux à contrecoeur…
En arrivant au passage du Gois, à midi, nous hésitons un instant: la chaussée devant nous est submergée. Même notre GPS français est désemparé. Heureusement, les tenanciers du Relais du Gois, le restaurant qui donne sur cette vaste étendue d’eau de quatre kilomètres, ont l’habitude d’éclairer la lanterne des touristes égarés. Nous apprenons ainsi que nous ne pouvons entamer la traversée qu’à marée descendante, lorsque le passage commence à réapparaître progressivement. Les voyageurs trop téméraires devront chercher leur salut auprès d’une des balises qui jalonnent le parcours et y attendre les secours. « Curieusement, ce sont surtout les gens du cru qui s’y laissent prendre. Tout le monde a une table des marées dans sa voiture, mais on se croit toujours plus fort que la mer. »
Sauvée par les pièces rapportées
L’Ile de Noirmoutier, qui compte 10.000 habitants, fait officiellement partie de la Vendée, mais mène sa vie en toute indépendance. Ici, la France est désignée en toute logique comme « le continent ». Noirmoutier a beau être relié à la métropole par un pont depuis 1971, rien n’y fait. Tout insulaire qui se respecte emprunte de préférence le passage du Gois, et ce depuis 1701. Un dicton local affirme que quiconque naît sur l’île y est pour toujours attaché par un élastique. Ses habitants essaiment au loin mais finissent par revenir. Force est de reconnaître que Noirmoutier n’a pas vraiment besoin de la mère-patrie: l’océan Atlantique lui fournit poisson et huîtres en abondance, les meilleures pommes de terre du pays sont cultivées sur ses champs tandis que le reste de l’île produit du sel.
Le moine Philibert avait commencé à endiguer les marais dès 674. Aujourd’hui, un tiers de l’île est recouvert de zones humides. Trois bras de mer s’avancent dans les terres saumâtres. D’innombrables canaux naturels plus petits distribuent cette eau salée, créant un réseau organique de ruisselets qui semble fait pour la saliculture.
Dans les années 1980, les fils des saliculteurs ont soudain estimé que le dur labeur de leurs ancêtres ne leur convenait plus. Mais les « pièces rapportées » sont venues imprimer un nouvel élan à l’île. Hervé en fait partie. « J’habitais à Paris et je venais faire les récoltes sur l’île depuis quelques années déjà. Un beau jour, j’ai décidé d’y rester. Ce fut le début d’une nouvelle vie. »
Ermites solidaires
Si les nouveaux venus ont apporté un sang neuf, ils n’ont rien changé aux méthodes séculaires. « Cela fait mille ans que les saliculteurs travaillent de cette façon. Quelques innovations ont certes été introduites, mais les dernières remontent à plus de trois cents ans », explique Hervé. Aujourd’hui, l’île compte à nouveau cent trente sauniers (ou saliculteurs). Cent d’entre eux se sont constitués en coopérative pour distribuer leur sel, reconnaissable à son couvercle frappé d’un phare rouge, dans presque tous les grands magasins. « Le saliculteur travaille seul, avec la nature et contre les éléments. Il doit prendre lui-même toutes les décisions. Personne ne vous dira ses secrets. Mais dans le même temps, nous formons une véritable communauté. » La majorité des sauniers prend à ferme les marais à la commune pour une somme modique. « Il n’existe pas de mauvais marais », soutient Hervé, « mais seulement de mauvais sauniers. »
Les saliculteurs de Noirmoutier se livrent à un perpétuel exercice d’équilibrisme: quelques millimètres d’eau de plus ou de moins font toute la différence entre une bonne et une mauvaise récolte de sel. L’eau de mer pénètre dans leurs marais via les bras de mer et les canaux, puis emprunte un circuit qui la fait passer d’un bassin à l’autre. Ce parcours est effectué à quatre reprises en 48h. Le niveau de l’eau diffère de deux à trois millimètres entre les bassins. Chacun d’eux a besoin d’eau: ni trop, ni trop peu. Au départ, la salinité de l’eau s’élève à 30 grammes par litre, mais en modulant l’évaporation d’une main de maître, les sauniers arrivent à obtenir 300 grammes de sel par litre dans le dernier bassin, qui contient encore un à deux centimètres d’eau. C’est là que le sel se cristallise. Il peut ensuite être récolté soigneusement. Chaque sac de gros sel que le saliculteur livre à la coopérative ne peut contenir plus de dix-sept impuretés.
Or blanc
La fleur de sel, l’orgueil de tout saliculteur, est récoltée par vent d’est soutenu, au plus chaud de l’été. Elle demande encore plus de travail, mais sa pureté est inégalée. Ces cristaux de sel fins, d’un blanc éclatant, se forment à la surface de l’eau sans toucher le fond. Le saunier collecte la fleur de sel à l’aide d’une sorte de louche. Le sel est ensuite mis à sécher au soleil sur une longue table, de juin à fin septembre.
« En été, ma journée de travail commence à cinq heures et ne finit qu’à dix heures du soir », confie Hervé. « Le gros sel ordinaire est cultivé quotidiennement ou tous les deux jours, le matin ou le soir. La fleur de sel est recueillie quant à elle chaque jour entre 15 et 16h. » Le gros sel est entassé. La fleur de sel séchée est conservée dans une caisse étanche pour être ensuite stockée à la coopérative, dans un entrepôt sous surveillance. Dire qu’elle est coûteuse est un euphémisme. Quoique le saunier récolte beaucoup plus de sel ordinaire, il gagne bien mieux sa vie avec la fleur de sel. « La coopérative écoule 1.700.000 tonnes de sel par an et seulement 70.000 tonnes de fleur de sel. Un kilo de gros sel se vend un peu moins de 2€, alors que 125 grammes de fleur de sel coûtent un peu plus de 3€ », précise Hervé.
« Le vent et la pluie sont nos pires ennemis. Quand deux sauniers se rencontrent, vous pouvez être sûrs qu’ils parleront du temps. » Mais la force et la direction du vent déterminent aussi la quantité d’eau que les bassins peuvent accueillir. Certains tiennent à jour tous ces paramètres dans des tableurs Excel compliqués, tandis qu’Hervé les connaît de mémoire.
Enfin l’hiver
Pour la fin septembre, tout le sel doit avoir été prélevé. Il est alors temps de préparer le marais pour l’hiver. « La coopérative entretient les trois bras de mer. Nous sommes nous-mêmes responsables des petits canaux, et nous vérifions bien sûr nos propres circuits. » Ces opérations terminées, les saliculteurs inondent leurs marais pour ne pas donner libre cours au vent, qui pourrait emporter les bords des bassins. L’hiver s’installe enfin. « Fini de consulter sans arrêt le bulletin météorologique. Je ne veux même plus savoir quel temps il fera. »
En février, les marais sont vidangés et préparés à nouveau pour la saison. Cet éternel recommencement a fait de Noirmoutier un endroit agréable à vie, où l’on laisse derrière soi les soucis du monde: pistes cyclables sinueuses, plages silencieuses, baies isolées, villages pittoresques et produits du terroir fantastiques. Hervé nous avait prévenus: « Attention, quiconque met pied sur l’île en tombe amoureux. »
A ne pas manquer
Sur la Place de la République (1) de Noirmoutier-en-l’Ile, l’une des quatre agglomérations de l’île, on trouvera un grand magasin d’alimentation proposant une foule de délicieux produits du terroir. Ouvert le mardi, le vendredi et le dimanche.
L’île est plate et compte de nombreux circuits cyclistes: non pas des pistes le long des routes, mais un réseau qui révèle les plus beaux endroits de l’île.
En plein port se trouve La Marine (2) (www.alexandrecouillon.com), qui affiche deux étoiles et bénéficie d’une vue privilégiée. Si vous aimez les choses un peu plus simples, il y a aussi moyen de bien manger sur l’île. Le Rafio (3) (place Saint-Louis 12) n’attire que les habitués. Avec sa terrasse sur le port, Le Transat (4)(Port de l’Herbaudière) propose une cuisine honnête. L‘Etier (5)(www.restaurant-letier.fr) impressionne par ses plats de poisson extra-frais.
Deux pâtisseries sortent du lot. Chez Giraudet (6)(Grande Rue 28 à Noirmoutier), on confectionne depuis des générations la fameuse galette Saint-Philibert, un sablé au beurre salé. La biscuiterie Les Petits Cagniotes (7)(www.lespetitscagniotes.com) vend un caramel crémeux à la fleur de sel exquis et tartinable.
Noirmoutier compte d’innombrables plages paradisiaques. Souvent, elles ne sont accessibles qu’à vélo ou à pied. Il faut donc partir à la découverte.
INFOS
Vous trouverez toutes les informations touristiques sur les sites www.vendeetourisme.com et www.ile-noirmoutier.com.
Texte Sophie Allegaert – Photos Heikki Verdurme
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