Entre coraux et forêts, une épopée aux confins de l’Australie
Alors que les forêts tropicales et les récifs coralliens disparaissent à une vitesse effrayante, l’extrême nord du Queensland espère encore inverser la tendance. Car sans ses deux plus grands atouts – la Grande Barrière de corail et la forêt tropicale de Daintree – le tourisme s’éteint lui aussi peu à peu.
Comment diable avons-nous atterri ici? De temps en temps, on se réveille désorientés dans un pays lointain, dans un lit étranger, assommés par un décalage horaire aliénant, et cette question qui résonne dans nos têtes. Cette fois-ci, nous flottons vers la mer de Corail, un tuba dans la bouche, des palmes aux pieds et des requins affamés qui nous tournent autour. La panique s’installe, on est à deux doigts de boire la tasse. La fin est proche, c’est sûr.
«Ce sont des requins gris de récif», s’amuse Le’a Dawes, biologiste pour Passions of Paradise, une entreprise familiale locale qui organise des écotours dans la Grande Barrière de corail depuis trente ans. «Pas d’inquiétude! Ils sont très curieux mais inoffensifs. Et ils sont menacés à l’échelle mondiale… ce qui concerne hélas un grand nombre d’espèces ici. Le récif lui-même n’est pas en très bon état, même si, près du Hastings Reef (un morceau de récif de 10 kilomètres carrés situé à l’extrémité de la Grande Barrière de corail), on ne le voit pas vraiment. Tout semble encore sain et coloré, mais pour l’ensemble de la Grande Barrière – qui a la taille de l’Italie et s’étend le long de la côte du Queensland du Nord – nous sommes confrontés au cinquième blanchissement de masse en huit ans. L’avenir du récif n’est donc pas radieux, mais il est encore temps d’agir.»
Le tourisme de la dernière chance
Un voyage dans le Tropical North Queensland, le nom touristique du nord de l’Etat australien du Queensland (un Etat à peu près aussi grand que tous les pays prisés pour les vacances en Europe réunis) pourrait être qualifié par un amateur de cynisme d’ode au «tourisme de la dernière chance». Une ultime opportunité d’explorer la Grande Barrière de corail, l’une des sept merveilles naturelles du monde, dans toute sa splendeur.
Il en va de même, dans une moindre mesure, pour la forêt tropicale de Daintree, la plus ancienne du monde, protégée par l’Unesco depuis 1988. Cette étendue est vieille de plus de 180 millions d’années, mais l’homme a réussi à la mettre en danger en un rien de temps. Jusqu’à ce que l’Unesco intervienne. En outre, il y a trois ans, la gestion de Daintree a été rendue aux Aborigènes locaux, la tribu Kuku Yalanji.
Pourquoi les poissons blanchissent-ils?
En pleine plongée dans la mer de Corail, on baigne dans un monde hétéroclite de coraux, de poissons, d’éponges et de crustacés. On observe des plantes sous-marines luxuriantes où de minuscules vertébrés jouent à cache-cache. Le’a nous montre un banc de poissons docteur Picasso, qu’elle nomme Dory. Les poissons-clowns, eux, s’appellent apparemment tous Nemo. La disneyfication du monde sous-marin est une réalité, avec l’humanité dans le rôle d’Ursula.
«Les taches incolores que vous voyez ici et là sont le résultat du ‘blanchissement’, qui est lui-même causé par le stress ou l’acidité excessive de l’eau. Le blanchissement de masse, qui touche les récifs du monde entier, est le résultat d’un stress global, dont la cause est l’augmentation des températures. Quand celles-ci sont trop élevées, les plantes des polypes coralliens ne produisent pas de nourriture, comme elles le font normalement, mais du poison. Pour se protéger, le polype recrache la plante, qui perd alors sa couleur. En d’autres termes, nous devons veiller à ce que le réchauffement climatique n’empire pas.»
Et soudain, une île paradisiaque
Un peu plus près de la côte, sur la magnifique île de Fitzroy, nous nous retrouvons à nouveau dans l’eau bleue et limpide en compagnie d’une biologiste. Edona Berisha, originaire de Suède, a été embauchée il y a deux ans par le Fitzroy Island Resort, un impressionnant éco-resort qui est le seul hébergement de l’île et qui attire des voyageurs du monde entier avec la promesse de palmiers, de soleil, de plage, de récifs coralliens et de forêt tropicale. Edona est une photographe de talent, qui a parfaitement capturé la tortue de mer posée juste devant nous, alors qu’une méduse semait la panique à quelques pas de là. La faune australienne n’est pas de tout repos. «En général, le récif au large de l’île Fitzroy est encore en assez bon état. Je n’ai pas vu beaucoup de blanchissement ici. Mais le récif a subi un violent typhon récemment et il doit se rétablir.»
L’île s’avère rapidement être un petit paradis, tant pour les touristes d’un jour arrivant par ferry du continent (de Cairns, pour être précis) que pour les vacanciers souhaitant profiter du lieu un peu plus longtemps. «Une activité populaire ici est la randonnée vers Nudey Beach, l’une plus belles plages d’Australie. Notre Centre de réhabilitation des tortues vaut également le détour: les clients peuvent nous y aider à nous occuper des tortues de mer blessées.»
Au cœur des territoires protégés
Le lendemain matin, nous entamons la partie continentale de notre voyage. A Cairns, où nous avons atterri quelques jours plus tôt, une ville calme qui vit du tourisme, nous récupérons notre voiture de location. Puis nous empruntons la célèbre Captain Cook Highway – souvent citée parmi les plus belles routes d’Australie – jusqu’à Port Douglas, où le tourisme n’est apparu que dans les années 80, après l’ouverture d’un hôtel Sheraton. Un lieu très prisé, situé à deux pas de la Grande Barrière de corail et à proximité de Mossman Gorge, la spectaculaire porte d’entrée de la forêt tropicale de Daintree.
Avant d’explorer la nature, nous avons rendez-vous avec notre guide Kudisha Pierce, une jeune femme de la tribu Kuku Yalanji, qui nous emmène à travers ses terres pour nous présenter la faune et la flore locales (apparemment, la tortue de mer est délicate en bouche, bien que seuls les membres de la tribu soient autorisés à en attraper et à en manger), les coutumes locales (la pêche au harpon) et nous parle de la misère que la tribu indigène a dû endurer sous le joug de «l’homme blanc».
Nous nous frayons un chemin à travers la jungle avec un autre membre de la tribu, en passant devant des araignées géantes et des lézards colorés, et au plus profond de la forêt, nous nous baignons dans une rivière émeraude… sans crocodiles. Nous flottons là dans l’eau d’une forêt tropicale vieille de plusieurs millions d’années, en réalisant à quel point les Kuku Yalanji – peuple de la forêt et de l’eau – vivent dans un endroit fantastique…
La cascade la plus photographiée du pays
Après une semaine dans le Tropical North Queensland, on se souvient à quel point notre image de l’Australie était plutôt unilatérale: un soap opera des années 80, l’outback, le désert, la plage de Bondi et les kangourous. L’extrême nord du Queensland s’avère beaucoup plus riche, et les premiers kangourous que nous apercevons sont en chemin vers des cascades. Après une heure et demie de route depuis Port Douglas, nous nous retrouvons soudain sur le Waterfall Circuit dans les Atherton Tablelands, une route qui serpente sur 100 kilomètres à travers des forêts, des collines et des lacs, pour finalement arriver à Millaa Millaa, la chute d’eau la plus photographiée d’Australie.
Nous ne pouvons que contempler en silence cette eau qui jaillit de la nature sauvage. Mais nous n’en profitons guère très longtemps, car notre destination est encore à deux heures de route, au fin fond de l’outback australien. En chemin, le paysage passe lentement du vert au rouge. Ici, plus de jungle, seulement une savane emplie d’eucalyptus et de chemins de terre poussiéreux. Des wallabies et des kangourous font leur apparition, nous obligeant à une conduite prudente.
Dans le village d’Undara, nous posons nos bagages dans un petit hôtel composé de wagons de train transformés en chambres. Puis nous partons pour notre Lava Tube Tour, une excursion à travers d’anciennes veines de lave creuses qui marquent le paysage de la région. La beauté de l’Australie est décidément sans limites: parmi les merveilles qu’elle abrite, on trouve même des volcans. Le soleil se couche une dernière fois, embrasant la savane. Face à l’horizon, on se dit que c’est inouï, tant de beauté dans une seule contrée…
EN PRATIQUE
Y aller. Le moyen le plus rapide et le plus confortable de se rendre dans le Tropical North Queensland est de choisir Singapore Airlines, l’une des rares compagnies internationales à desservir Cairns. Elle relie Bruxelles à Singapour les lundis, mercredis, vendredis et dimanches. Comptez 12 heures de vol jusqu’à Singapour, un transfert d’environ 3 heures et un autre vol de 6 heures jusqu’à Cairns. Le voyage est donc très long, mais Singapore Airlines est la compagnie aérienne la plus récompensée au monde. singaporeair.com
Formalités. Les voyageurs belges ont besoin d’un visa (eVisitor, sous-classe 651) à demander sur online.immi.gov.au/lusc/login
Climat. Le Tropical North Queensland, comme son nom l’indique, a un climat tropical en été et un climat subtropical doux en hiver. La région connaît une saison des pluies (normalement de novembre à mars) et une saison sèche (d’avril à octobre). Les mois d’été – c’est-à-dire l’hiver en Australie – constituent la haute saison.
Se loger. Les hôtels ne manquent pas dans cette partie de l’Australie, mais voici une sélection d’établissements à la fois insolites et approuvés: Undara Experience (discoveryholidayparks.com.au/undara), Sheraton Grand Mirage Resort (marriott.com), Fitzroy Island Resort (fitzroyisland.com).
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