Escapade exclusive au Bhoutan, un pays heureux mais en pleine mutation
Dans cet étonnant Bhoutan isolé du reste du monde pendant des siècles, le roi a inventé le « bonheur national brut » et les châteaux monastiques surplombent de vastes vallées émeraude. Mais à côté du peu que l’on sait déjà, le « pays du dragon » réserve beaucoup d’autres surprises…
Une nonne et une influenceuse sont assises dans un bar. Ce qui ressemble au début d’une blague est en fait une scène de notre dernière soirée au Bhoutan. Il y a une semaine, on n’aurait pas pu l’imaginer. Aujourd’hui, on trouve cela amusant, mais pas surprenant. Le contraste entre tradition et modernité est précisément l’un des nombreux aspects fascinants de ce pays. Avant de partir, nous savions très peu de choses sur cette petite nation perdue dans l’Himalaya. Juste que le bonheur national brut y avait été inventé, qu’aucun touriste n’a été autorisé à s’y rendre avant les années 70, et qu’y voyager n’est ni abordable ni évident – nous en avons d’ailleurs fait l’expérience dès notre arrivée.
La piste de Paro étant entourée de pics montagneux de plusieurs milliers de mètres entre lesquels le vent virevolte, seuls quelques pilotes au monde sont habilités à y atterrir. L’avion plonge. Lorsque nous nous arrêtons sur le tarmac, c’est un grand soulagement. Le bâtiment qui jouxte la piste ressemble plus à un petit temple qu’à un aéroport international. Pas d’escalators, ni de tapis roulants : quelques minutes après l’atterrissage, nous sommes déjà sur le parking, accueillis par notre guide Kinza et notre chauffeur Suman. Direction Thimphu, la capitale. La route serpente entre les rizières verdoyantes et les vergers de pommiers, le long de la rivière glaciale Pachu. Dans ce paysage montagneux, les tronçons rectilignes sont l’exception plutôt que la règle. A déconseiller à ceux qui souffrent du mal des transports.
Une contrée où le bouddhisme est roi
Le Bhoutan est l’un des derniers royaumes bouddhistes au monde. Le pouvoir religieux et le pouvoir séculier y sont étroitement liés. Que ce soit dans la pensée, la vie quotidienne ou le paysage, sous la forme de temples, de monastères, de drapeaux de prière et de stupas, le bouddhisme est omniprésent. Après le petit-déjeuner, avec Suman et Kinza, nous gagnons un temple situé au sommet d’une colline près de Thimphu. Le Dordenma, un bouddha géant doré, surplombe la vallée, orné de 125.000 statuettes identiques d’or fin.
Alors que nous traversons le temple, Kinza nous raconte l’histoire du Bhoutan. Si la région est habitée depuis la préhistoire, le territoire lui-même n’a été créé qu’au XVIIe siècle, lorsqu’un certain Ngawang Namgyal est parvenu à unir les habitants. Il a ensuite divisé le nouveau pays en vingt districts et fait construire un dzong dans chacun d’eux : un monastère-forteresse fortifié qui constitue aujourd’hui encore le centre religieux et administratif de chaque district. Il a également introduit le dzongkha, la langue officielle enseignée à tous les enfants bhoutanais à l’école – même si la plupart des matières sont aujourd’hui enseignées en anglais.
En 1907, Ugyen Wangchuck monte sur le trône, devenant le premier roi de la dynastie Wangchuck, qui règne toujours sur le Bhoutan. Bien que le pays soit devenu une monarchie constitutionnelle, le monarque continue de définir les grandes orientations. Les Bhoutanais sont particulièrement fiers de leur famille royale. Le charme du roi actuel ne laisse pas de marbre, et l’élégante reine est décrite dans la presse comme « la Kate Middleton de l’Himalaya ».
Pour le bien-être de tous
Le tourisme n’en étant littéralement qu’à ses balbutiements, les attractions touristiques sont rares. Même à Thimphu, la capitale, on ne trouve qu’un petit zoo avec des takins (l’animal national du Bhoutan, une sorte de chèvre de montagne taille XL) et un musée du patrimoine où des jeunes montrent comment les Bhoutanais vivaient – et vivent encore – à la campagne. Nous participons (maladroitement) à la mouture du grain, au barattage du beurre, à la danse et au tir à l’arc. Puis nous retournons à l’hôtel pour y rencontrer Khenpo Phuntshok Tashi, un moine réputé qui nous en dit plus sur le fameux « bonheur national brut ». Le concept vient du fait que le quatrième roi du Bhoutan a estimé qu’un PNB devait non seulement tenir compte du progrès économique, mais aussi – et surtout – du bien-être de la population.
La vie communautaire, ici, est essentielle, il ne s’agit pas d’affaiblir les autres pour son propre bénéfice. La santé et l’éducation sont cruciales, raison pour laquelle les soins de santé de base sont gratuits et le gouvernement construit des écoles. Bien sûr, si l’essor socio-économique est important, il ne doit pas se faire au détriment de la nature ou de la culture locale. Ainsi, au Bhoutan, les nouveaux bâtiments doivent toujours contenir certains éléments traditionnels, les hommes doivent porter le gho au travail et les femmes doivent enfiler la kira, un vêtement traditionnel coloré. Le concept de BNG s’inspire de principes bouddhistes, tels que l’impermanence, c’est-à-dire la prise de conscience que tout est temporaire dans la vie. Le bonheur est considéré comme quelque chose que l’on trouve en soi, en se contentant de ce que l’on a.
Richesses naturelles
Le lendemain, nous nous rendons à Phojika. En de nombreux endroits, la nationale n’est rien d’autre qu’une route de montagne étroite et sinueuse. Au volant, l’imperturbable Suman nous permet de profiter sereinement du paysage. Les montagnes s’élèvent comme des plis dans un tissu de velours vert. Des rivières sillonnent des vallées bordées de rizières, de bananiers et autres plantes tropicales. Plus haut, les fougères et les conifères couverts de mousse et de guirlandes de nuages prennent le dessus.
Des drapeaux de prière colorés flottent partout. Les carrefours sont souvent ornés de stupas, petites tours renfermant la relique d’un saint et autour desquelles les croyants marchent en priant. Au col de Dochu La, à 3.140 mètres d’altitude, on en retrouve pas moins de 109, avec une vue imprenable sur l’Himalaya. Après une brève visite, nous redescendons vers Phojika. Des centaines de grues à cou noir s’envolent du Tibet vers cette vallée marécageuse pour y passer l’hiver en octobre et novembre. Leur habitat étant menacé par l’expansion du secteur agricole, un projet a été lancé pour sensibiliser les agriculteurs et compenser les dommages causés par les oiseaux.
Les Bhoutanais sont très conscients de la richesse naturelle de leur pays. Une convention royale stipule par exemple qu’au moins 60 % du territoire doit rester forestier. Aussi, 40 % du pays est protégé en tant que parc national. Grâce à cette immense surface forestière et à une industrie qui n’en est qu’à ses premiers pas, le Bhoutan absorbe trois fois plus de CO2 qu’il n’en produit. Ici ou là, nous constatons toutefois qu’il n’est pas toujours évident de maintenir l’équilibre entre le progrès et la protection de la nature. Bien que le gouvernement ait installé partout des panneaux « Ne pas jeter de détritus », les tas d’ordures ne manquent pas. La faute à une calamiteuse collecte des déchets…
Des heureux élus
Après une nuit dans la maison d’hôtes d’une ancienne enseignante, nous marchons avec Kinza le long d’un sentier en bois à travers la vallée de Phojika, puis dans les collines. Des brins de mousse verte sur les branches d’immenses sapins se balancent dans le vent. Tout autour de nous, le silence… ou presque. Des touristes occidentaux surgissent pour la première fois depuis notre arrivée : deux Américaines en tenue de randonnée, suivies par un employé de leur hôtel qui porte de l’eau et des parapluies. Encore une illustration de la quête d’équilibre entre développement économique et protection de la culture et de la nature. Pour éviter le tourisme de masse, les voyageurs ne sont pas autorisés à se déplacer ici sans un guide et un chauffeur, et chaque touriste doit payer une taxe de 100 dollars par jour.
Bien sûr, on pourrait s’interroger sur l’équité d’un tel système, mais pour quelques heureux élus, il garantit un voyage sans pareil. Lorsque nous arrivons à un monastère situé un peu plus loin, nous observons la vie quotidienne des moines. Des petits garçons vêtus de robes rouge vif étendent du linge mouillé. Un autre groupe de moines prie dans le temple. Nous nous sentons incroyablement privilégiés d’être les témoins de ces routines qui existent depuis des siècles.
TikTok et compagnie
Les journées s’enchaînent. Nous visitons l’impressionnant dzong de Punakha et d’anciens monastères parfaitement préservés. L’avant-dernier jour, nous rencontrons Denkar, l’une des premières influenceuses bhoutanaises dans le domaine du voyage, pleine de charme, d’énergie et d’amour pour le Bhoutan. Comme elle loge dans le même hôtel que nous, elle nous invite à dîner ensemble. Au restaurant, Denkar et Kinza parlent d’hommes, de cocktails et de CrossFit aussi légèrement qu’elles ne parlaient de bouddhisme quelques heures auparavant.
Fascinant : bien que la télévision et Internet aient été interdits jusqu’en 1999, TikTok, YouTube et Instagram sont aussi présents dans la vie des jeunes Bhoutanais d’aujourd’hui que dans la nôtre. Depuis que le Bhoutan a ouvert ses frontières, et surtout depuis l’essor des réseaux sociaux, le consumérisme s’est infiltré dans le pays. Les jeunes veulent des Nike et une voiture. La fille de Kinza, âgée de 9 ans, se demande quel est le goût d’un hamburger du McDonald’s et rêve de visiter Disneyland.
Le Bhoutan reste cependant un pays pauvre, où les matières premières sont rares et l’industrie anecdotique. Plus de la moitié des Bhoutanais vivent de l’agriculture et de l’élevage. Mais les adolescents ne souhaitent plus devenir éleveurs de yacks. Le pays est donc confronté à une migration sans précédent. D’abord de la campagne vers la ville, puis de plus en plus vers l’étranger. Pas évident de se contenter de peu quand on sait qu’ailleurs, d’autres ont beaucoup plus.
L’antre du Tigre
Nous atteignons Taktsang, célèbre complexe monastique situé sur une falaise de 900 mètres de hauteur. Première image qui apparaît en tapant « Bhoutan » dans Google, c’est aussi l’un des lieux les plus sacrés de l’Himalaya. Des bouddhistes du monde entier viennent ici pour le voir, parfois même pour le contempler simplement depuis le pied de la montagne. Visiter le monastère en lui-même est un défi : on n’y accède que par un sentier de montagne qui serpente le long d’une paroi rocheuse abrupte. Selon la légende, Guru Rinpoché est arrivé ici au VIIIe siècle, assis sur le dos d’un tigre volant – d’où le nom de l’endroit : « Tanière du tigre ». Il s’est retiré dans une grotte pendant trois mois où, avec son esprit pour seule arme, il a réussi à éloigner les mauvais esprits. Il a ainsi convaincu les habitants de se convertir au bouddhisme. Des siècles plus tard, un monastère a été construit pour commémorer cet évènement.
En 1998, un accident impliquant une lampe à beurre a provoqué l’incendie d’une grande partie de l’ensemble, mais en 2005, le complexe a pu être réinauguré. Kinza et Denkar gambadent vers le sommet, sans effort. Nous ressemblons plutôt aux pèlerins plus âgés rencontrés en chemin : nous soufflons, tout en remerciant Bouddha pour les bâtons de marche qu’on nous a permis d’emprunter. L’expérience est néanmoins saisissante. Chaque goutte de transpiration en vaut la peine.
Le dernier soir, nous nous retrouvons dans un bar. A notre gauche, Denkar. A droite, une amie à elle, une nonne à la robe rouge et aux cheveux rasés. Denkar nous demande ce que nous retiendrons de ce voyage. Notre réponse fuse : la nature. Les nuages. Le silence dans notre chambre à Phobjika. Les monastères. L’ascension de Taktsang. Mais surtout les Bhoutanais eux-mêmes.
En pratique
Vous l’aurez compris : toute visite du Bhoutan est très encadrée. Les touristes sont triés sur le volet, ils doivent être accompagnés d’un guide et respecter beaucoup de règles sur place. Pour s’y rendre, il faut donc faire appel à des agences sur mesure comme Voyageurs du Monde, Evaneos, ou une agence locale comme Exquisite Bhutan dont voici le site Web en français : voyagebhoutan.com
Ce voyage a été réalisé en collaboration avec MyHimalaya: myhimalaya.be
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