Du mont Toubkal – plus haut sommet d’Afrique du Nord – aux villages berbères, notre journaliste a marché parmi les reliefs du Haut Atlas marocain durant six journées. Au programme: paysages inoubliables, gorges creusées par les oueds, plateaux arides et vallées verdoyantes. Récit d’une aventure au cœur d’une montagne vivante.
Jour 1De Marrakech à Ait Aissa
Réveil à 9 heures, à Marrakech, après avoir pris l’avion la veille depuis la Belgique. Douche. Petit déjeuner vite fait: thé menthe sans sucre, eau et jus d’orange en boîte. Je me mets en route avec mon guide Hassan, ainsi que Lahssen, qui sera notre cuisinier et le muletier. Une mule pour nous trois, elle ne porte pas de nom. Nous traversons des villages de Berbères… qui se nomment en fait Amazighs – les «gens libres». Le nom «Berbères» leur a un jour été donné par un Français qui les prenait pour des «Barbares», c’est-à-dire des «étrangers dont on ne comprend pas la langue».
Nous avons 11 kilomètres à parcourir aujourd’hui. Il y a énormément de noyers, pommiers, cerisiers et genévriers thurifères sur les chemins, qui dégagent une agréable odeur dans mes narines. Les villages sont très endommagés en raison du tremblement de terre qui a eu lieu en septembre 2023. Nous longeons le hameau de Matate et sa vallée. C’est le village de Lahssen. La région est connue pour la richesse de ses mines de fer, mais aussi ses sangliers, ses écureuils, ses mouflons, ses renards et ses loups. En hiver, tout est recouvert de neige.
Il est 14 heures. Lahssen a pris de l’avance pour installer ses affaires pour le repas du midi, un peu avant le col. Le vent se déchaîne. L’orage approche. Il fait lourd. Un peu de pluie nous rafraîchit. Au menu: riz blanc, légumes, lentilles, bananes et le traditionnel thé vert à la menthe, sans sucre pour moi – eux jettent un maximum de sucre blanc dans la théière.
Nous reprenons assez vite les chemins sauvages de la montagne. Hassan me partage sa culture. Les maisons typiques sont en pisé, un mélange de terre et de paille. Nous nous arrêtons avant la pluie à 16h30 dans le village d’Ait Aissa chez Mohamed, un Amazigh.
Nous parcourons 700 mètres de dénivelé positif et 600 mètres de dénivelé négatif. Nous croisons beaucoup de chèvreries, même si les chèvres paissent encore dans les montagnes et ne rentrent au bercail qu’en toute fin de journée. Hassan me dit avoir gravi le Toubkal environ 1.500 fois. Il a grandi dans le village d’Armed, au pied du mont. C’est un homme de la montagne.
La journée a été facile en termes de marche aujourd’hui pour moi, même si mon genou gauche, opéré il y a presque trente ans, a tendance à gonfler avec les efforts et les dénivelés. Mes chaussures de marche sont rouges, colorées par la couleur de la terre. Après une courte douche froide, les villageois m’offrent des pommes qu’ils viennent de récolter.
Nous rentrons à 20 heures après un tour du village. Il fait déjà noir. Au menu ce soir: soupe de maïs, tajine de légumes, une pêche et deux prunes. Lahssen cuisine bien. Il est tard. Je n’ai pas très faim, mais ici, refuser de manger de la nourriture n’est pas poli. Infusion à la verveine pour digérer. Dodo vers 22 heures.
Jour 2D’Ait Aissa à Azib Tamsoult
Nuit d’insomnies. Entre l’âne, les coqs et le muezzin, pas facile de dormir. Malgré mon insistance pour ne pas manger au petit déjeuner, je reçois une grande assiette de fruits avec un thé à la menthe. On annonce du mauvais temps. Il est donc décidé de prendre un itinéraire bis pour se protéger en cas d’orage. La marche est intense, et vers 11h10, on arrive à Azib Tamsoult, situé à 2.250 mètres d’altitude, où l’on va passer la nuit. Mais on montera jusqu’à 3.000 mètres pour l’acclimatation et pour découvrir un chouette endroit recommandé par Hassan. Direction le refuge de Tazarart. Pause à la cascade d’Imi nogharghiz, puis il commence à pleuvoir.
On attaque la descente, malgré les gouttes. 750 mètres de dénivelé négatif en 45 minutes en courant, en mode trail. Au refuge, je suis dans une chambre seule avec ma salle de bains, au premier étage. Le luxe! Mais pour une douche chaude, ce seront les douches communes au rez-de-chaussée. Je change de tee-shirt pour ne pas attraper froid car la transpiration me glace la peau. Après le fracas des éclairs et le grondement du tonnerre, c’est le refuge qui se montre bruyant. Il y a beaucoup de groupes et ça résonne. J’entends parler français, anglais, suédois, italien, espagnol et allemand. Les boules Quies seront nécessaires cette nuit. Du calme, enfin. Puis Hassan vient frapper à ma porte car les bergers rentrent avec leurs troupeaux. Chaque soir, après le repas du soir, il vient aussi me voir avec sa carte pour faire le point sur la journée du lendemain…
Jour 3D’Azib Tamsoult à Armed
Une bonne nuit de 10 heures, ça fait du bien. Aujourd’hui, c’est une plus petite journée avant d’attaquer le gros morceau. Il est 7h30, c’est reparti. Je marche en pantacourt et tee-shirt. Parfois, je mets un léger pull. Mais globalement, il ne fait pas froid. A priori, le mauvais temps est derrière nous. Je n’ai pas de sac photo mais un sac de trek avec mon appareil autour du cou.
Il n’y a pas de déchets sur les chemins. L’amende est de 50 euros si les gens laissent un détritus. J’ai d’ailleurs un briquet avec moi pour brûler le papier toilette. Nous sommes dans la vallée d’Azzaden. Nous quittons le refuge et nous marchons avec Ibrahim, le monsieur que je viens de prendre en photo. Je marche derrière lui en le laissant prendre de l’avance. Il parle avec Hassan. Notre mule file à toute vitesse. Elle n’aime pas être seule et essaie de rattraper ses congénères. C’est mignon. Lahssen la retient en la tirant par la queue. Je tente de suivre Ibrahim et Hassan en montée. Ils sont rapides, ce sont des montagnards chevronnés. Mon corps, mes muscles, mon estomac prennent du temps à se réveiller. Mes yeux pleurent. J’aime les premiers rayons du soleil sur ma peau. On ne croise presque pas de touristes sur les chemins. Seulment des lièvres, des perdrix, des aigles royaux.
Il est 11 heures quand nous arrivons au col. Je rencontre deux Français des Sables-d’Olonne, Axel, 50 ans et son gendre Esteban qui font 5 jours de trekking mais pas l’ascension du Toubkal. Du col, on voit la vallée d’Imlil. La vue est belle. Hassan fume une cigarette. Il s’écarte poliment pour ne pas m’empester. Il me dit que j’avance à un très bon rythme, en me précisant que 30% de ses clients n’arrivent pas au sommet du Toubkal. L’ascension est technique, précise-t-il. Ce n’est pas ce que j’ai lu sur Internet avant de partir, mais on verra.
Vers midi, il fait chaud. On arrive au village d’Armed, via une route goudronnée pour le dernier quart d’heure. Il y a de la truite dans la vallée d’Imlil et beaucoup de noyers aussi. On aperçoit le mont Toubkal, ce géant.
Arrivée à l’auberge à 13 heures. J’enlève mes chaussures. Ça fait du bien aux pieds. Un couple de Britanniques vient d’arriver. Repas, douche, profiter de la connexion pour sauver mes notes dans mes mails, et repos.
Hassan est allé faire quelques courses et voir sa famille. J’aime les repas du matin (des fruits) et du midi (des légumes crus et du riz). Le soir, j’aime moins: tajine avec légumes chauds, pommes de terre et souvent beaucoup d’huile. Je n’arrive pas à manger toutes les pommes de terre: trop lourd pour moi avant de dormir. J’essaie de ne boire du thé que le matin pour pouvoir dormir le soir. J’entends le souffle du vent. Je donne quelques nouvelles à mes parents, et j’en profite pour télécharger des podcasts. Les journées sont intenses. Je commence à avoir des traces de frottements sur la peau à cause des chaussures. Je vais mettre du tape pour demain, avant d’avoir des ampoules. Direction la terrasse au soleil, sur le toit.
Jour 4 D’Armed au refuge du Toubkal
Des Américains sont arrivés à l’auberge hier. Des Californiens de San Francisco qui voyagent depuis deux ans et se définissent comme des «digital nomads». On se retrouvera ce soir à Toubkal, au «refuge des mouflons». Au programme de cette nouvelle journée: on quitte Armed à 8h30, avec l’objectif de monter jusqu’au refuge situé à 3.207 mètres d’altitude… dont 1.307 mètres de dénivelé positif. Hassan estime 4 à 5 heures de marche.
J’ai désormais la sensation d’être à ma place ici, dans les montagnes, sur les chemins du monde. Et ce malgré une petite allergie qui me pique les yeux. Je vais grimper avec mes lunettes de soleil aujourd’hui. Il fait plus froid qu’hier. Avant l’ascension, on contrôle nos passeports et on compte le nombre de personnes s’en allant vers le Toubkal. Question de sécurité.
En chemin, on croise beaucoup de mules et de muletiers qui redescendent. Certains touristes passent deux nuits au refuge car le dénivelé négatif est trop difficile pour enchaîner directement la montée et la descente. Il y a du monde, ce qui ôte un peu de charme aux lieux. Mais le point commun entre tous ces gens, c’est l’amour de la montagne et de la nature.
J’avance en silence. C’est ma façon d’épargner mon énergie. Je me concentre sur mes pas et mon souffle. Je suis dans le moment présent. Le fait de s’arrêter tout le temps, parfois, ça coupe mon élan, mais Hassan adore papoter, c’est sa façon à lui d’avancer.
On atteint le refuge vers 12h40, après 4 heures et des poussières de marche. Mon genou gauche est un peu gonflé. Je vais me reposer dans une tente cet après-midi. Je me lave avec des lingettes pour bébés. J’écris, je lis. Je suis au calme, seule, et en m’allongeant, je pense déjà au sommet que j’espère atteindre le lendemain.
Vers 16h30, le soleil se cache derrière la montagne.
Après le repas, je prends deux gélules de menthe poivrée pour la digestion. Une migraine m’assaille. Les effets de l’altitude et des efforts accumulés, je suppose. Mon téléphone est sur mode avion. Pas de recharge possible. J’ai une batterie externe avec moi. J’ai besoin de prendre des notes pour mon reportage. J’entends de la musique, au loin. Et le pas des mules qui passent à côté de ma tente. Pas de douche ce soir.
Je me rends dans la salle à manger avec tout le monde. Lahssen prévient qu’on partira à 5 heures du matin, demain. J’observe les gens. Un grand groupe d’Allemands me fait me sentir un peu seule, ça arrive. Mais j’aime l’ambiance des refuges, les cuisiniers qui apportent le thé, des biscuits ou des pop-corns. Je vais essayer de manger léger: tajine de légumes et fruits. A 19h20, je suis sur mon lit, cette fois dans un dortoir où il fait 19 degrés. C’est plus raisonnable que la tente, car il y a des toilettes juste à côté.
Jour 5 Refuge au sommet du Toubkal
C’est le grand jour, celui de l’ascension du Djebel Toubkal à 4.167 mètres. C’est le plus haut sommet d’Afrique du Nord. Le mal de tête va mieux ce matin. La digestion aussi, même si ça reste fragile. Je n’ai pas beaucoup dormi. Tard hier soir, un papa avec ses deux enfants sont arrivés dans le dortoir et ils ont dormi près de moi. La petite fille a été malade. Je lui ai donné des médicaments.
L’objectif est d’arriver au sommet pour le lever de soleil de 7h27. Nous entamons l’ascension. Il ne fait pas très froid. Devant moi, je vois plein de lumières dans la montagne. Chacun avance avec sa lampe frontale. On dirait une chenille lumineuse. C’est beau. Magnifique, même, avec le ciel étoilé. Je me dis que tout va bien se passer. Un pas après l’autre, avec le bruit des bâtons de marche en guise de rythme.
Je croise des gens qui font demi-tour, éreintés ou démotivés. Le papa et ses deux enfants, aussi, que je ne verrai pas au sommet. Il ne faut pas jouer avec l’altitude et la montagne quand on ne le sent pas.
Hassan m’encourage: «Aywa Pascale!» – «allez Pascale» en amazigh. Au milieu de la montée, il me dit de continuer seule car c’est l’heure de la prière pour lui. Nous arrivons au sommet à 7h28 précises. C’est spectaculaire. Le lever de soleil est juste grandiose. Il n’y a pas grand monde. Je suis tellement heureuse d’avoir relevé ce défi. Une vraie victoire contre moi-même.
Nous restons 30 minutes au sommet, le temps de prendre des photos, de profiter et d’admirer les paysages et les changements de couleurs. Manger quelques dattes et des pommes séchées. Et bien s’hydrater pour la descente, déjà.
Hassan me convainc de prendre un autre chemin qu’à l’aller, que nous serons les seuls à emprunter. C’est raide, très pentu et mes genoux encaissent le dénivelé. J’ai encore un fond de migraine mais je tiens le coup. A 3.800 mètres, sommeille l’épave d’un petit avion américain qui s’est écrasé à la fin des années 60 et qui a tué ses sept passagers.
Nous arrivons à une rivière, le plus dur est fait. Hassan me félicite, il n’en revient pas comme je suis rapide et forte. Je ne sais pas s’il dit ça pour me flatter. J’en profite pour enlever des couches de vêtements et mes chaussures pour soulager mes pieds.
Certaines personnes que je croise me posent des questions sur l’ascension. Nous croisons un des frères de Hassan, qui est également guide. Au lieu-dit Le Marabout, on s’arrête pour le repas de midi. Une grosse assiette de légumes avec du riz et des olives. Je dévore après l’effort. Je m’offre même un jus d’oranges pressées à 15 dirhams (1,5 euro) et un foulard comme souvenir. Nous reprenons la descente.
Hassan papote avec les amis qu’il croise. Il me dit que le vendredi, c’est un jour très important pour les musulmans. On s’approche de son village et on entend le muezzin qui chante. Plus nous nous approchons de la fin, plus je sens mes jambes fragiles, mais je peux être fière de moi. Hassan me propose de passer par sa maison pour que je rencontre sa femme. On ne restera pas longtemps. J’accepte. Elle s’appelle Sana et elle a un sourire lumineux. Elle est originaire de Marrakech mais elle vit ici depuis quatre mois.
Jour 6 Col d’Isq et retour vers Marrakech
Réveil à 10 heures. Traduction: grasse matinée! Le programme du jour: regagner Marrakech. Fin du trekking. Ne pas oublier les pourboires à Hassan et Lahssen qui ont vraiment été aux petits soins avec moi. Mon bilan personnel? C’était très physique. Technique, je ne sais pas. L’altitude rend toujours les choses plus difficiles. Et on ne sait jamais comment le corps va réagir. Le mien souffre aujourd’hui, comme un contrecoup. C’est sans doute normal.
Hassan me propose de faire un ultime col à 2.700 mètres: celui d’Isq. C’est la région des glaciers, même s’il n’y a plus de glaciers à cause du réchauffement climatique. La vue est belle au sommet, sur la vallée d’Imlil. Des efforts, encore. Mais je grimpe bien. Hassan me dit que je suis une vraie chèvre des montagnes. Il me fait rire. Nous prenons le repas de midi à l’abri des noyers, avec du melon comme dessert.
Vers 14 heures, j’attends le chauffeur qui me ramènera à Marrakech. Dans ma tête, se bousculent les images d’une expérience hors du commun et de rencontres incroyables. Le retour à la civilisation, après des jours de nature, de montagnes et de marche, sera forcément difficile. Hassan me dit que je vais lui manquer. Mohamed me propose de rester et de travailler avec lui comme chauffeur de taxi. Plus on descend vers Marrakech et plus la température augmente. De retour au riad, ma chambre me tend les bras et mes affaires sont là. Repos plus que mérité.
«Il ne faut pas jouer avec la montagne et l’altitude quand on ne le sent pas.»
EN PRATIQUE
Plusieurs agences organisent ce genre de périple. Nous recommandons Pathfinders Trek ou Aztat Treks. Il est possible de faire uniquement l’ascension du Toubkal, en 3 jours. Bien sûr, il faut être en bonne condition physique et bien noter tout le matériel nécessaire à emporter: bonnes chaussures, pantalons légers, bâtons de marche, sac à dos, lampe de poche, pharmacie personnelle… entre autres.
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