La Californie retrouve ses fleurs

Suspendue dans son harnais à 50 mètres du sol, Triana Montserrat dévale une tyrolienne au-dessus d’un éclatant parterre de fleurs sauvages: orange, jaune, violet, blanc… les montagnes du Skull Canyon de Corona, dans l’arrière-pays de Los Angeles, lui en mettent plein la vue.

« On dirait presque un tableau, avec toutes ces couleurs différentes », souffle la jeune femme de 29 ans, époustouflée par l’intensité du « Super Bloom », une floraison exceptionnelle qui touche actuellement la Californie après plusieurs printemps d’absence.

« C’est tellement complexe et magnifique », s’extasie-t-elle, après avoir survolé les motifs sculptés le long des pentes par les pavots de Californie, les « encelia farinosa » et les lupins. « Mon esprit n’aurait pas pu imaginer ça de lui-même. »

La côte Ouest américaine n’avait plus connu de « super floraison » depuis 2019. 

Rare, ce phénomène se manifeste uniquement lorsque des pluies abondantes surviennent après plusieurs années de sécheresse. La terre aride, débarrassée des mauvaises herbes d’habitude si promptes à absorber les nutriments disponibles, accouche alors de fleurs sauvages par milliers, dont les germes luttaient pour se faire une place.

L’hiver particulièrement chagrin qui a frappé la Californie, avec ses tempêtes en série et ses précipitations quasi-record, a permis cette année d’atteindre cette délicate alchimie. 

Résultat, les collines du « Golden State » et certains de ses déserts sont recouverts d’un océan de couleurs visible depuis l’espace. 

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« Cauchemar » du sur-tourisme –

Mais le retour de cette nature impressionniste, qui a longtemps fasciné missionnaires espagnols et grandes plumes de la littérature américaine, résonne différemment dans un monde dominé par Instagram et TikTok. 

A trois kilomètres des pentes où plane Triana, un sentier de randonnée est fermé au public à cause du sur-tourisme: la ville voisine de Lake Elsinore barre l’accès du Walker Canyon avec des grilles, surveillées par une voiture de patrouille.

Les autorités refusent de revivre « l’apocalypse » de 2019. Des dizaines de milliers de visiteurs avaient alors envahi ce chemin et créé des bouchons monstres paralysant la région. Digne de Disneyland, la foule d’influenceurs et de touristes obsédés par les selfies n’hésitait pas à se garer sur le bord de l’autoroute, pour aller décrocher son cliché au milieu des fleurs sauvages. 

« C’était un cauchemar, (…) ils ont tout piétiné et écrasé une grande partie des fleurs », raconte à l’AFP Pete Liston, le propriétaire de la tyrolienne de Skull Canyon. Quatre ans plus tard, « rien n’a repoussé » sur les traces anarchiques laissées par les vandales.

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Face à la fermeture du sentier public, son parc d’aventures voit sa clientèle augmenter ce printemps. De nombreux amoureux de nature utilisent sa tyrolienne pour admirer le cru 2023 du « Super Bloom », sans abimer l’environnement.

Amatrice de randonnée, Triana souhaitait être aux premières loges tout en minimisant son impact sur la reproduction des fleurs. 

« Je voulais m’assurer que les générations futures puissent en profiter », explique cette cuisinière, qui approuve la fermeture du canyon voisin comme une mesure « nécessaire ».

« Sensibilisation »

En guise d’alternative, la ville de Lake Elsinore propose aux visiteurs d’observer les fleurs du Walker Canyon sur son site internet, grâce à une caméra en direct. Une intransigeance loin de faire l’unanimité, même parmi les défenseurs de la flore.

Chaque « Super Bloom » est un « moment de sensibilisation qui permet au public d’établir des liens avec la nature et de susciter l’enthousiasme pour la biodiversité », souligne Evan Meyer, directeur de la Theodore Payne Foundation, une organisation qui tente de répartir les foules avec un numéro vert informant sur les dernières floraisons. « En fermant le Walker Canyon, Lake Elsinore envoie le message exactement inverse. »

Plus inquiet face au développement immobilier dans les collines de la région qu’à l’irresponsabilité d’une minorité d’instagrameurs, ce spécialiste appelle à « développer une éthique pour apprécier la nature ».

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Un effort soutenu par les guides du Skull Canyon. Entre deux longueurs de tyrolienne, ils rappellent aux visiteurs qu’il est interdit de cueillir le pavot de Californie, dont l’orange éclatant a inspiré le surnom du « Golden State ». Tout comme les autres fleurs sauvages.

Les amateurs de photo comme Lisa Mayer sont en revanche les bienvenus. Après avoir raté le « Super Bloom » de 2019, cette commerçante de Los Angeles mitraille les montagnes sous tous les angles avec son smartphone.

Les clichés finiront sur Instagram, reconnaît la quadragénaire. Mais elle les accompagnera de légendes rappelant de « protéger les fleurs, ne pas les écraser et faire attention où on l’on marche. »

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