On a testé: « le bateau de croisière le plus écolo du monde »
Navigue-t-on vers une ère de bateaux de croisière moins polluants permettant de voyager la conscience tranquille ? Notre journaliste a embarqué à Zeebruges sur « le navire le plus respectueux de l’environnement du monde ».
« Qui n’a jamais pensé à partir en croisière ? Chaque matin, le paysage est différent. Vous découvrez des fjords impressionnants et des villes animées. A bord, profitez de restaurants variés, de divertissements surprenants et d’un service personnalisé sans précédent. » Tel est le résumé d’un spot publicitaire de la Holland America Line (HAL), dont la voix off veloutée s’accompagne d’images séduisantes de hautes chutes d’eau dans le Geirangerfjord et d’une vue parfaite de la ville de Bergen, en Norvège. On y aperçoit un couple profitant d’une excursion en canoë palpitante, d’un bon verre de vin, d’un excellent repas et d’un spectacle de claquettes, avant de s’asseoir sur un lit king-size dans une luxueuse cabine avec vue sur l’océan. « Les vacances idéales », conclut le spot.
Comment ne pas se laisser tenter ? Nous filons donc à Zeebruges. L’AIDAnova est peut-être un peu moins exclusif que la moyenne des bateaux de la HAL, mais il offre un monde de possibilités. Depuis le quai, nous contemplons, à la limite du torticolis, ce navire gigantesque : 337 mètres de longueur, 20 ponts de haut, 2 600 cabines pouvant accueillir 5 400 passagers, voire 6 600 si de nombreuses familles avec enfants voyagent. Ajoutez 1 500 membres du personnel et vous arrivez à 8 100 personnes à bord. Comme si toute la ville belge de Neufchâteau s’entassait dans un immeuble flottant.
L’AIDAnova est un méga-navire à l’offre de divertissement vertigineuse : théâtre, cinéma, casino, boîte de nuit, bibliothèque, boutiques, salon de beauté, centre de fitness et de bien-être, atelier de cuisine et galerie d’art. Sans oublier un paradis aquatique subtropical avec des palmiers, une fausse plage, un bar Tiki, des chaises longues avec vue sur la mer, des bains à remous et des toboggans. Son immense verrière coulissante garantit un climat doux toute l’année. Et on peut y dîner dans un restaurant différent tous les soirs.
Le technologie la plus propre du moment?
Les croisières n’ont pas bonne réputation en raison de l’énorme pollution qu’elles génèrent. Mais les passagers de l’AIDAnova ne semblent pas inquiets. « C’est le navire le plus écologique du monde », affirme un passager allemand sur le quai de Zeebruges, avant de monter dans un bus d’excursion. « Il fonctionne au carburant durable, n’est-ce pas ? Regardez, c’est écrit ici. » Sur les flancs du navire, on peut lire en lettres vertes de plusieurs mètres de haut : « Green Cruising ». En 2017, l’AIDAnova a été le premier navire de croisière à naviguer au gaz naturel liquéfié (GNL). Selon la compagnie maritime, c’est la promesse d’un avenir vert.
« C’est actuellement la technologie la plus propre dont nous disposons, déclare Abdelhak El Hajoui, ingénieur GNL de l’AIDAnova. Nous avons pratiquement supprimé nos émissions de dioxyde de carbone, et réduit considérablement celles d’oxydes de soufre et d’azote. » Dans la salle de contrôle, il nous montre un écran LED : « Regardez, vous pouvez voir comment cela fonctionne. Nous avons trois réservoirs de gaz liquide. Grâce à un système d’évaporation, celui-ci est chauffé de -160 à +34 degrés. Sous forme gazeuse, il est ensuite acheminé vers les moteurs, qui l’utilisent pour produire de l’énergie. Actuellement, lorsque nous sommes au port, nous consommons 9 mégawatts par heure. Autant qu’une petite ville. »
La compagnie maritime allemande AIDA est un précurseur dans le domaine des croisières durables, et cela ne se limite pas au carburant. Petar Becic, responsable environnement, nous emmène sur les ponts inférieurs, interdits aux passagers. Dans le centre de recyclage, les cartons sont déchiquetés, les bouteilles en PET compressées et les déchets alimentaires pulvérisés. Dans la salle des machines, des installations transforment l’eau de mer en eau potable et purifient les eaux usées pour qu’elles puissent être rejetées. « Ces eaux sont plus pures que l’eau de mer après traitement, explique-t-il. En fait, nous rendons même la mer un peu plus propre. »
Le secteur connaît une croissance explosive
La croisière est la forme de tourisme qui connaît la plus forte croissance. Neuf nouveaux navires de croisière seront baptisés cette année, ce qui portera leur nombre total à 322. Selon les quatre principaux conglomérats de croisières, les escapades prévues pour le reste de l’année sont déjà presque toutes complètes. D’ici à 2024, 36 millions de personnes devraient embarquer, soit deux fois plus qu’en 2009. Une semaine sur l’AIDAnova coûte moins de 500 euros par personne et les compagnies discount comme MSC et Costa proposent des tarifs encore plus avantageux. Rester chez soi coûte plus cher.
Ce succès fou s’accompagne d’une opposition croissante de la part de la population et des gouvernements. A Venise, les paquebots sont interdits d’accès au centre historique. A Amsterdam, on veut fermer le terminal de croisière situé près du centre-ville, et des manifestations ont également lieu à Barcelone. Les partisans des bateaux de croisière affirment que ces derniers apportent aux destinations beaucoup de revenus et d’emplois, mais une étude récente de l’Office de tourisme de Flandre montre que ce n’est pas le cas. Le passager moyen d’un navire de croisière accosté à Zeebruges ou dans un autre port belge dépense environ 50 euros par jour, soit bien moins que les touristes d’un jour ou d’une nuit.
« De plus en plus de destinations se demandent s’il est encore judicieux d’investir dans l’accueil de navires de croisière, explique Jan van der Borg, professeur de géographie et de tourisme à Louvain. Le problème est que les différentes autorités ont souvent des intérêts contradictoires. Alors que la ville de Bruges ne veut plus de touristes de croisière, un navire s’amarre à Zeebruges presque tous les jours, car les droits de port y sont très élevés. » Et ces croisiéristes sont tous amenés à Bruges en autocar. Anvers aussi préfèrerait voir disparaitre les bateaux de croisière, mais une passerelle a récemment été construite pour eux au cœur de la ville, près du Steen.
La réalité? Ce serait deux fois plus polluant
Par ailleurs, l’impact écologique est encore plus problématique que les aspects sociaux et économiques. Un navire de croisière maritime consomme un million de litres de carburant par semaine, et la plupart d’entre eux fonctionnent encore au fioul, avec toutes les émissions que cela implique. « Nous savons tous que l’avion est mauvais pour l’environnement, mais les bateaux de croisière sont plus néfastes, explique Eke Eijgelaar, chercheur en tourisme durable à la Breda University of Applied Sciences. Un voyage moyen d’une semaine en avion génère des émissions de CO2 par passager de 1 100 kilogrammes, contre 2 200 kilogrammes pour des vacances en croisière classique. La croisière est donc deux fois plus polluante que l’avion. »
Cependant, un navire fonctionnant au GNL, comme l’AIDAnova, n’émet pratiquement pas de CO2. Une amélioration considérable, si l’on en croit les compagnies maritimes. « C’est absurde, affirme Constance Dijkstra, chargée de campagne sur le transport maritime pour le bureau bruxellois Transport & Environment, qui regroupe 51 organisations européennes de protection de l’environnement. Le GNL est un combustible fossile. Il produit peut-être moins d’émissions de CO2, mais il est, par exemple, responsable d’émissions de méthane, un gaz à effet de serre qui est en fait plus nocif que le CO2. Finalement, le GNL n’est pas meilleur, mais tout aussi mauvais, voire pire, pour le climat. Le GNL n’a rien de durable, c’est du greenwashing. »
Une innovation prometteuse est l’alimentation à quai : lorsqu’un navire de croisière est connecté au réseau électrique continental dans le port, les moteurs peuvent être arrêtés. « Cette technologie nécessite un investissement de 9 millions d’euros, explique Piet Vandenkerkhove, responsable du terminal de croisière de Zeebruges. Des réunions interminables ont eu lieu à ce sujet, car nous pensons que les compagnies maritimes devaient payer, et elles sont persuadées que le port devait s’en charger. » Récemment, l’Union européenne a tranché : d’ici 2030, tous les ports de croisière européens devront être équipés d’installations électriques à quai. Aujourd’hui, les moteurs tournent toujours, mais dans quelques années, l’AIDAnova pourra également se brancher sur le courant de Zeebruges.
… mais avec moins de déchets à bord
Notre ressenti ? Comme la voix douce de la publicité de la HAL, nous pensons qu’il n’y a rien de plus agréable qu’une croisière. Nous avons navigué le long de la côte de Floride sur l’Oasis of the Seas, le plus grand navire de croisière du monde à l’époque. Nous avons vogué autour de la péninsule arabique sur le navire de croisière le moins cher, le Costa Victoria. Nous avons traversé des superbes villes et vu des plages tropicales sur le navire de croisière le plus luxueux du monde, l’Europa 2. Partout, nous avons adoré nous faire dorloter, manger de la nourriture d’exception et nous réveiller chaque matin avec une vue différente.
Toutefois, l’impact de ces mesures est contrebalancé par la croissance explosive de l’industrie des croisières. Petar Becic, responsable environnement, ajoute également que la durabilité est une question à long terme. « Le GNL est une étape intermédiaire. Nous finirons probablement par naviguer au méthanol ou à l’hydrogène, mais ces carburants ne sont pas suffisamment disponibles à l’heure actuelle. L’objectif de la compagnie maritime est de faire en sorte que les navires n’émettent aucune émission d’ici 2050. » Avant que les choses ne s’améliorent, elles empirent. Conclusion inéluctable : en attendant une vraie transformation du secteur, mieux vaut s’abstenir.
Quelques “green tips” pour naviguer avec conscience
1. Partez de votre propre pays. Au lieu de prendre l’avion jusqu’au port de départ, prenez le train jusqu’à Zeebruges, Anvers ou Ostende, d’où partent les navires d’AIDA, Costa, Holland America Line, MSC, Norwegian, P&O, TUI et Viking… entre autres.
2. Optez pour un navire plus petit.
Cette règle connaît des
exceptions, car même les petits navires peuvent être polluants, mais en règle générale, plus le navire est petit, plus l’empreinte carbone est réduite. Hélas, c’est souvent plus cher. Notons qu’il existe aussi quelques voiliers de croisière.
3. N’oubliez pas l’environnement.
Certaines compagnies maritimes ne se soucient pas de leur impact environnemental et ne s’améliorent que lorsqu’elles reçoivent une amende. D’autres, en revanche, prennent le
développement durable au sérieux. Consultez le rapport de Friends of the Earth sur les navires de croisière, par exemple.
4. Partez à l’assaut des fleuves.
Les bateaux de croisière fluviale doivent pouvoir passer sous les ponts et sont donc plus petits. Et les distances entre les ports d’escale sont plus courtes, l’électrification est donc plus rapide à mettre en œuvre.
5. Ne vivez pas d’excès à bord.
Donnez un coup de main à la compagnie maritime :
au buffet, ne prenez que ce que vous mangerez, ne gaspillez pas, faites
plusieurs jours avec votre serviette et votre literie, et éteignez l’air conditionné lorsque la porte du balcon est ouverte.
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