Voyage en Patagonie chilienne, merveille du bout du monde

Patagonie chilienne
Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

Un territoire sauvage où les glaciers infranchissables, les fjords inhospitaliers, les sommets enneigés et les forêts primaires composent des paysages époustouflants… En Patagonie chilienne, la nature se défriche encore tous les jours.

La Patagonie. Une contrée du bout du monde qui a fait rêver des générations d’explorateurs, d’aventuriers ou de simples voyageurs. Elle évoque les étendues sauvages, les sommets enneigés en été, les glaciers millénaires, les volcans actifs, les fjords escarpés, les eaux cristallines, les toundras colorées, les troupeaux de bétail, de chevaux, de lamas et leurs gauchos mal dégrossis.

Qui dit Patagonie pense d’abord à 
l’Argentine, à Ushuaïa, au glacier Perito Moreno. Cet immense territoire couvre aussi la moitié du Chili, pays andin long comme un monde sans fin qui partage avec son voisin le tiers méridional du continent sud-américain. C’est cette Patagonie-là que nous avons choisi d’explorer. Ses paysages dantesques sont parfois plus difficiles d’accès sans être impénétrables et, corollaire, moins envahis par les touristes à la belle saison. A savoir l’été austral, qui correspond à notre hiver à nous.

Long couloir étroit, coincé entre la cordillère des Andes et l’Océan Pacifique sur plus de 4.200 kilomètres, le Chili cultive les contrastes aussi bien culturels que 
climatiques et naturels. Au nord, culmine l’Atacama, désert d’altitude considéré comme le plus aride du monde et paradis des astronomes, tant son ciel est préservé de toute pollution lumineuse. Au centre, une immense région de lacs, de fleuves et de montagnes où trônent les plus grandes villes, de la capitale Santiago à la mythique Valparaiso, et où sont produits la plupart des vins chiliens. Au sud, la Patagonie. A la différence de sa sœur argentine, elle est en partie constituée d’un immense entrelacs de fjords inhabités, que l’on ne traverse qu’en bateau. Jusqu’à la Terre de Feu.

Le Chili est aussi le pays qui compte le plus d’aires protégées – dont 36 parcs nationaux – de la planète. Beaucoup sont en Patagonie, mosaïque de paysages époustouflants, paradis des randonneurs et des amoureux de nature préservée. C’est le territoire du puma qui y a fait son grand retour et règne en maître au sommet de la faune sauvage, sous l’œil aussi perçant qu’envieux des condors qui guettent les restes du festin. Nous aurons la chance de les rencontrer pendant notre périple qui nous conduit du nord au sud, avec en point de mire le Graal que constitue une incursion au cap Horn. Le point le plus austral des cinq continents, là où le vent rugit plus qu’il ne souffle. Les marins appellent ces latitudes les «quarantièmes rugissants».

Etape 1 – Les Palafitos 
de Chiloé

Nous démarrons par une perle méconnue, antichambre de la Patagonie à son extrémité nord. A portée de bac du continent, l’archipel de Chiloé déploie une quarantaine d’îles et îlots dont la nature, la culture, l’architecture, la mythologie et les populations ont cultivé leur isolement durant des siècles. On y admire les fameux palafitos, ces maisonnettes multicolores bâties sur pilotis en longues rangées alignées au bord de l’eau. Certaines accueillent des commerces, des restaurants ou des chambres d’hôtes, la plupart sont toujours habitées par les autochtones.

L’une d’eux, guide naturaliste et descendante des nomades marins Chonos qui peuplaient les îles avant l’arrivée des Espagnols, nous invite à la promenade méditative à travers une forêt luxuriante aux nombreuses espèces endémiques. 
Une des dernières forêts primaires d’Amérique du Sud.

«Saviez-vous que Darwin est venu à Chiloé en 1834?, questionne Ana Maria. Il y a même découvert un renard qui porte toujours son nom. Mais ce qui l’a le plus frappé, ce sont les arbres immenses que vous voyez partout et dont les plus grands ont des centaines d’années.» Ces colosses tourmentés, enlacés de lianes et de fougères géantes, donnent à la forêt une atmosphère presque surnaturelle. Par un étrange contraste, ils parsèment le territoire du mystérieux pudu, le plus petit des cervidés, à peine plus grand qu’un lièvre. Lui aussi endémique. Et particulièrement difficile à apercevoir…

On parcourt l’archipel sur une coque de noix, surpris par des bancs espiègles de dauphins noirs (encore une espèce locale) pour accoster dans de pittoresques villages de pêcheurs. La plupart sont bâtis autour de grandes églises colorées en bois, uniques en leur genre sur tout le continent et inscrites à ce titre au patrimoine mondial de l’Unesco. «Les Chilotes sont fiers de partager leur histoire et leur culture», affirme Ana Maria en nous invitant à un atelier de cuisine où nous apprendrons à préparer le curanto, un plat traditionnel de fruits de mer, de pommes de terre et de légumes cuits lentement dans un trou creusé dans le sol. La patate est l’une des richesses de Chiloé, où l’on en cultive plus de 400 variétés, de toutes les tailles et de toutes les couleurs.

Etape 2 – Les pics de Dante de la carretera austral

Cap sur la ville de Coyhaique, camp de base des passionnés de montagne et de nature sauvage. La carretera austral (route nationale 7), tracée sur près de 1.500 km du temps du dictateur Pinochet pour relier les régions les plus reculées du Chili, nous conduit jusqu’au Parc National de Patagonie, l’un des plus isolés du pays. La destination se mérite mais elle vaut largement les longues heures d’inconfort. Nous traversons des paysages extrêmes sur une gravel road cabossée, entre précipices bordant des rivières tumultueuses et canyons séparant des pics déchiquetés. C’est d’une beauté à vouloir s’arrêter toutes les dix minutes pour reprendre son souffle.

Fondateur de la marque The North Face, l’Américain Douglas Tompkins et son épouse Kristine, devenus philanthropes, sont à l’origine de la création de ce parc dont les forêts et les steppes abritent l’une des plus riches biodiversités du pays. Il y a vingt ans, ils y ont acheté un ranch. Après une décennie de réensauvagement, la surface protégée atteignait 300.000 ha lorsque Douglas est décédé d’un accident de kayak sur un lac voisin – là où nous irons nous-mêmes pagayer puis randonner une journée, dans un décor surnaturel. Kristine a alors cédé ses terres à l’Etat à condition qu’il en assure la sauvegarde et l’accès au public. Un ravissant petit musée témoigne des défis surhumains qu’ont dû affronter les premiers habitants de la région, des colons éleveurs de bétail, pour s’établir dans ces contrées inhospitalières.

De la terrasse du seul hôtel du parc (en dehors d’un camping), le luxueux écolodge Explora Carretera Austral, on déjeune entourés de guanacos. Ce cousin du lama resté sauvage, qui pullule en Patagonie, constitue l’ordinaire du puma. Ici, on ne craint pas ce magnifique félin qu’il n’est plus rare d’apercevoir depuis qu’il est protégé: n’ayant pas à lutter pour sa survie avec d’autres prédateurs, il mange à sa faim et ne s’attaque pas aux humains. La traque d’une famille de pumas au lever du soleil, à pied, sans guide ni arme ni protection à travers la steppe, restera l’un de nos plus marquants souvenirs.

Etape 3 – Les condors du Torres del Paine

Nouveau saut de puce en avion, un mode de déplacement commun et bon marché pour les Chiliens. Destination Puerto Natales, étape emblématique marquant le début de la célèbre «Route de la Fin du Monde», que nous emprunterons quelques jours plus tard pour rallier Punta Arenas et embarquer vers la Terre de Feu. Un village tranquille perdu dans les confins, au cœur d’un relief aussi accidenté qu’ensorcelant. Et ce n’est qu’un début.

Deux heures suffisent pour atteindre l’un des parcs les plus mythiques et fascinants de la planète. Le Torres del Paine porte le nom des trois gigantesques pitons rocheux (torres = tours en espagnol) qui culminent à près de 3.000 mètres au cœur de cette étendue de steppes, de lacs et de glaciers. La toundra est rouge en cette fin de printemps austral, d’innombrables guanacos broutent paisiblement tandis que certains mâles, perchés sur les hauteurs, guettent l’approche d’éventuels pumas en chasse. Dans le ciel, d’immenses condors dessinent un ballet obsédant.

Chaque randonnée permet de découvrir une richesse différente de ce panorama qui cumule tous les superlatifs. Le sentier du chasseur (Hunter’s Trail), emprunté au petit matin, nous offre la chance d’observer l’un de ces magnifiques félins en plein festin, totalement indifférent à notre présence. Un autre itinéraire nous conduit au pied des tours de granit géantes, au cœur du massif du Paine, digne des plus impressionnants décors du Seigneur des Anneaux. Formidable terrain de jeu pour les alpinistes aguerris.

Un troisième nous emmène jusqu’au glacier Grey voir d’immenses blocs de glace tomber pour flotter lascivement sur le lac bleu turquoise dans lequel il se jette. On suivra encore des rivières, admirera des cascades, traversera des forêts calcinées, pistera des nandous, ces cousins locaux de l’autruche, avant de terminer par un coup de cœur : les colonies de thrombolites qui tapissent les rives du lac Sarmiento. Ces dentelles de fossiles vivants formées par des bactéries remontent aux origines de la Terre, comme un genre de corail terrestre. C’est l’un des rares endroits de la planète où on peut les admirer.

Dernière étape – La glace de la Terre de Feu

Petit frère chilien d’Ushuaïa, Punta Arenas est le port important le plus austral du pays. Il borde le légendaire Détroit de Magellan, emprunté en 1520 par le navigateur portugais pour passer de l’Atlantique au Pacifique, entre le continent et l’île de la Terre de Feu. Nous embarquons sur le Stella Australis pour un périple de quatre jours à travers les fjords de Patagonie, inaccessibles autrement qu’en bateau. Le clou de notre voyage, avec en point d’orgue un débarquement possible au cap Horn – si les vents rugissants nous offrent assez de répit. «Une chance sur deux», nous prévient d’emblée l’un des naturalistes qui nous accompagnent. Nous devrons finalement nous contenter de l’approcher dans une mer démontée, sans pouvoir accoster. Déception pour certains passagers, qui n’enlève pourtant rien au caractère exceptionnel de cette mini-croisière agitée.

Elle nous permet de traverser un sublime paysage subantarctique où pullulent les glaciers les plus impressionnants, bleuis par les âges et le froid. Plusieurs excursions autorisent le débarquement en Zodiac pour arpenter des contrées jamais dénaturées par l’humain. Elles offrent toujours des points de vue spectaculaires sur les reliefs de glace, de roche, d’eau et d’une végétation capable de résister aux plus effroyables conditions climatiques. Et souvent des rencontres inattendues avec d’illustres représentants de la faune locale, peu farouches: renards polaires, éléphants de mer, manchots de Magellan, dauphins, baleines, castors, loutres de mer, rapaces et oiseaux marins.

Après avoir débarqué dans la baie Wulaia pour marcher sur les traces de Darwin près de deux siècles après son passage, on navigue sous le regard majestueux de l’Avenue des Glaciers où les langues glaciaires se succèdent. Baptisées France, Italie, Espagne, Hollande ou Allemagne selon la nationalité de leurs découvreurs, elles nous offrent l’occasion de déguster à bord une spécialité de chaque pays concerné. A boire et à manger. De quoi permettre aux plus résistants de rester sur le pont une partie de la nuit, pour admirer non seulement une Voie Lactée immaculée, mais aussi la gracieuse Croix du Sud, équivalent austral de notre étoile polaire. Pas de doute: nous naviguons bien vers le pôle Sud.

EN PRATIQUE

Pour y aller et s’y déplacer

– Air France-KLM propose des vols 
Santiago/Bruxelles (TGV jusque 
Roissy), retour depuis Ushuaïa via 
Buenos Aires. airfrance.be/fr

– Trois compagnies locales de qualité se partagent les vols intérieurs, chaque jour et à prix doux: Latam, Sky Airlines et Jet Smart.

– Pour un voyage sur mesure à travers le Chili, en individuel ou en petit groupe, faites confiance à l’agence bruxelloise indépendante The Flying Ant, spécialiste de l’Amérique latine (entre autres).

Pour se loger


– La compagnie chilienne Tierra Hotels exploite 3 établissements remarquables en termes de situation, d’architectural en osmose avec l’environnement, de confort et de services 
personnalisés. Au Torres del Paine, à Chiloé et dans l’Atacama. Chaque jour, on pioche parmi un éventail d’excursions guidées pour s’offrir un itinéraire à la carte, à pied, à vélo, à cheval ou en voiture et ne rien rater des merveilles alentours. Le soir, menu gastronomique axé sur les spécialités locales. Tout est compris.

– A Puerto Natales, ne manquez pas de séjourner ou de dîner au Singular. Bâti dans l’ancien plus grand abattoir industriel de la région, ce ensemble architectural témoigne de ce que fut jadis l’importance de l’élevage en Patagonie.

Pour y naviguer

La compagnie chilienne Australis est l’une des rares à proposer des croisières-expéditions de 4 jours sur des confortables navires à taille humaine (moins de 200 passagers) entre Punta Arenas (Chili) et Ushuaïa (Argentine), du Détroit de Magellan au Cap Horn en longeant la Terre de Feu. Excursions guidées par des naturalistes parlant anglais et/ou français, conférences, observation des paysages et de la faune marine rythment la lente progression du bateau dans un environnement exceptionnel. Et peu agité… tant qu’on reste à l’intérieur des fjords et qu’on n’atteint pas la pleine mer.

Lire aussi: Notre expédition au Groenland, l’île au soleil éternel.

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