Road trip au Dakota du Sud, où les bisons sont rois
A l’exception de Chicago, le Midwest américain – douze Etats situés entre les Appalaches et les Rocheuses – attire peu les touristes. Certains pourraient changer d’avis en lisant ce récit d’un spectaculaire road trip à travers le Dakota du Sud.
« Business or pleasure ? » L’agente de sécurité de l’aéroport O’Hare de Chicago nous regarde avec agacement quand nous marmonnons « pleasure ». Question suivante : « Chicago est votre destination finale, ou vous allez voyager ? » Nous répondons que nous avons une correspondance pour Sioux Falls, et la suspicion s’invite instantanément dans les yeux de notre interlocutrice. « Des vacances dans le Dakota du Sud ? Pourquoi diable ? »
Notre motivation n’est pas égratignée pour si peu. Et nous irons bien assister au célèbre Buffalo Roundup, cet événement annuel organisé par les cow-boys dans le Custer State Park, au cours duquel 1 500 bisons traversent les grandes plaines en rugissant. Nous comprenons néanmoins la surprise de l’agente. Pour une habitante de la Windy City, de loin la plus grande ville du Midwest, les prairies du Dakota du Sud ne sont guère que d’interminables champs de maïs, de blé, de tournesol et d’herbe. Nous sommes pourtant convaincus que l’Etat du mont Rushmore possède d’autres atouts…
Un bon point de chute : Sioux Falls
Le lendemain matin, nous flânons le long de l’historique Phillips Avenue à Sioux Falls, la seule métropole du Dakota du Sud à compter plus de 200 000 habitants. Depuis le Phillips Avenue Diner, très esthétique, où le serveur nous sert une gaufre colossale à (au moins) mille calories, nous observons l’aube. La ville semble déserte, même si une poignée de hipsters moustachus attendent leurs macarons colorés à la pâtisserie CH. Nous demandons au serveur ce qu’il y a à voir dans les parages, non sans recueillir un air intrigué dû au fait que les touristes européens ne sont pas monnaie courante ici. Nous devons bien sûr aller voir les chutes qui ont donné leur nom à la ville, et on nous promet que Sioux Falls s’animera un peu plus tard dans la journée, lorsque les habitants afflueront dans les nombreux restos et bars.
D’ici là, nous profitons de la SculptureWalk et des centaines de sculptures disposées dans le centre-ville. Nous comprenons assez vite pourquoi Sioux Falls est l’une des villes à la croissance la plus rapide du Midwest : un beau centre, de l’art plein les rues, un nombre exceptionnel de restaurants et de brasseries, un parc avec des chutes d’eau, un beau théâtre baptisé Orpheum et de grandes étendues de nature accessibles à vélo. Un très bon point de départ pour un road trip…
Du maïs à tout bout de champ
Quelques semaines avant notre départ, sur un forum Internet, nous avions lu un article intitulé « Nothing to see here, folks » (rien à voir ici, les gars) qui zoomait sur les Etats américains les moins touristiques en citant les deux Dakota, du Nord et du Sud. Une accusation injustifiée ? Pas si l’on s’arrête aux champs de maïs sans fin qui jalonnent la route et qui peuvent se révéler abrutissants. En route pour Pierre, capitale du Dakota du Sud qui n’intéressera que les fans de pêche à la mouche et de barrages mégalomanes, nous apprenons qu’il s’agit de la deuxième plus petite capitale d’Etat des USA, avec 14 000 habitants. La plus petite ? Montpelier, dans le Vermont.
Les panneaux publicitaires de la I-90, qui traverse le Dakota du Sud d’est en ouest, nous invitent à une escale à Mitchell, un village dont l’un des points d’intérêt est plutôt loufoque : le seul palais de maïs au monde. Un lieu immense qui attire chaque année un demi-million de touristes étonnamment enthousiastes. Hélas, nous n’avons pas assez d’ironie pour apprécier cette curiosité américaine en plein essor. Nous sommes néanmoins ébahis de voir débouler, soudainement, une colonne de voitures de collection, avec des Cadillac, des Ford, des Chevrolet, des Dodge ou des Plymouth à perte de vue. Un vrai coup de chance de tomber sur cette exposition annuelle de voitures anciennes le jour où le maïs nous fait de l’œil…
Les chiens de prairie, un vrai fléau
Après avoir traversé le Missouri, le fleuve qui découpe le Dakota du Sud d’est en ouest, le paysage change. Au loin, se profilent les pics acérés et redoutables du parc national des Badlands, que les Indiens lakotas ont appelé « mako sica » – « mauvaise terre » – pendant des milliers d’années. Les étés y sont secs et chauds, les hivers froids et venteux. Même les populations indigènes n’appréciaient pas la région pour vivre ou chasser. Heureusement, les Badlands sont d’une beauté à couper le souffle, surtout lorsque le soleil met en valeur les formations rocheuses colorées et que l’on aperçoit au loin des bisons, des mouflons et des daims traversant la prairie à grandes enjambées.
Ce parc unique est également l’habitat du chien de prairie, un adorable rongeur qui construit des villes souterraines entières et se laisse volontiers photographier en surface. Au ranch où nous passons la nuit, le propriétaire Philip nous confie, énervé : « C’est un véritable fléau. Ces bestioles ravagent mes terres, qui se trouvent entre le parc national et la réserve indienne de Pine Ridge, une immense réserve d’Indiens lakotas. »
En nous montrant la petite rivière qui serpente son jardin, l’homme explique que c’est là que se trouve le comté le plus pauvre des Etats-Unis, dont la population d’origine a toujours été la grande perdante. Il y a 160 ans, toute la moitié occidentale du Dakota du Sud était une réserve lakota, jusqu’à ce que l’on trouve de l’or dans les Black Hills et que le gouvernement américain réannexe le territoire. « Dire que les Lakotas doivent côtoyer le mont Rushmore en faisant face à quatre présidents américains peu soucieux de leur sort… »
Totalement crazy !
Dès le lendemain, nous partons à la découverte de cette terre sacrée, dans les ravissantes Black Hills, avec au programme le Mount Rushmore National Memorial, et son homologue lakota, le Crazy Horse Memorial. Avec deux millions de visiteurs par an, le Rushmore est la plus grande attraction du Dakota du Sud, devenue célèbre grâce à un tas de films et de séries. Face à Washington, Jefferson, Roosevelt et Lincoln, on se sent tout petit, même si la sculpture n’a jamais été achevée et que sa construction a été une gifle pour tous les Lakotas.
L’émotion est à son comble un peu plus loin, au mémorial du Crazy Horse, à une trentaine de kilomètres de là. La plus grande sculpture de montagne jamais réalisée par l’homme qui, une fois achevée, représentera le chef lakota Crazy Horse (XIXe siècle) sur un cheval au galop. La sculpture mesurera alors 195 mètres de longueur et 172 mètres de hauteur… mais la date de fin des travaux n’est pas connue. « Grâce aux nouvelles technologies, nous progressons plus vite que prévu », nous explique Caleb Ziolkowski, petit-fils de Korczak Ziolkowski, le sculpteur américain d’origine polonaise qui s’est lancé dans cette mission impossible en 1948, avec pour seules armes ses muscles, de la dynamite… et beaucoup de persévérance.
Avec Caleb, nous nous tenons au sommet du bras presque infini de Crazy Horse, près de son visage au regard sévère qui domine les forêts des Black Hills. L’immense responsabilité de suivre les traces de son grand-père doit peser lourd. « Le visage a été achevé en 1998. Il aura donc fallu cinquante ans. Récemment, nous avons livré la main. Un travail au moins aussi important, mais réalisé bien plus vite. J’espère donc avoir l’occasion d’admirer le résultat final de mes propres yeux… »
Des cow-boys et cow-girls à gogo
Après quelques jours fabuleux dans le Spearfish Canyon, puis une brève visite de l’épicentre de la ruée vers l’or, alias Deadwood (connue dans le monde entier grâce à la série du même nom), nous rentrons dans le vif du sujet : le Buffalo Roundup au Custer State Park, qui abrite l’un des plus grands troupeaux de bisons des Etats-Unis. Une fois par an, ce cheptel d’environ 1 500 têtes est conduit hors des collines vers le « corral », où les bêtes sont marquées, vaccinées, vendues ou abattues afin de maintenir la population sous contrôle. Dans toute l’Amérique, il n’y a qu’un seul endroit où l’on peut assister à un tel spectacle, chaque dernier vendredi de septembre.
Avant même l’aube, les cow-boys et cow-girls se rassemblent, vêtus de magnifiques tenues et le fouet à la main. Ils prient ensemble, avant de gagner différents coins du parc. Des dizaines de camionnettes suivent les cavaliers et, si nécessaire, les protègent d’une attaque de bisons. « Des accidents graves se sont déjà produits », nous confesse Bill Lantis, 88 ans, qui a assisté à toutes les éditions du Buffalo Roundup. Le gaillard est une légende locale pour une bonne raison : « J’ai moi-même perdu un testicule en 1972. Ils m’avaient recouvert d’un drap et ma femme a cru que j’étais mort. Elle attendait déjà les 10 000 dollars de mon assurance-vie ! », sourit-il aujourd’hui.
Buffalo Roundup, une expérience d’adrénaline pure
Soudain, on nous appelle vers un pick-up. On saute alors dans le coffre, et le spectacle commence. Après un court trajet à travers des ruisseaux et des champs d’herbe flétrie, nous apercevons une poignée de cow-boys émerger sur la crête. Avec les yee-haa et les coups de fouet requis, ils chassent des centaines de bisons qui déferlent sur les collines, créant des nuages de poussière et faisant trembler la terre. La tension est palpable dans l’air doux et sauvage parfumé de sauge.
Notre véhicule se lance à leur poursuite et nous devons nous accrocher pour ne pas tomber. Juste à côté de nous, une cow-girl poursuit un bison égaré qui se dirige dans la mauvaise direction. Bill l’a bien précisé : si le bison n’en a pas envie, le cavalier n’a pas grand-chose à dire. Mais tout semble aller comme sur des roulettes. Les vingt mille spectateurs frénétiques crient aux cow-boys depuis deux crêtes, tandis que notre pick-up pousse les derniers bisons vers le corral.
Après une bonne heure, le Buffalo Roundup est terminé, mais l’adrénaline continue de couler dans les veines des visiteurs. « Nothing to see here, folks. » Sur le chemin du retour, nous repensons à cet article sur les Dakota et à l’air inquiet de l’agente de sécurité de Chicago… On ne leur en veut pas : l’erreur est humaine.
EN PRATIQUE
Se renseigner
Pour d’autres infos sur le Dakota du Sud : travelsouthdakota.com
Y aller
Nous avons voyagé avec American Airlines de Bruxelles à Sioux Falls avec une (longue) escale à Chicago, et en revenant de Rapid City. Une meilleure alternative ? Le vol direct d’Amsterdam à Minneapolis, puis 3h45 de route pour atteindre Sioux Falls.
Sur place
Une voiture de location est indispensable : cet Etat est sept fois plus grand que la Belgique. Sioux Falls et Spearfish, par exemple, se trouvent à 630 kilomètres l’un de l’autre. Nous avons fait confiance à Alamo, qui a un bureau à la fois à Sioux Falls et à Rapid City.
Se loger
Circle View Guest Ranch, un magnifique ranch (avec un petit-déjeuner légendaire) situé au sud du parc national des Badlands.
Spearfish Canyon Lodge, un lodge élégant, planté dans la splendide campagne de Spearfish Canyon.
Bavarian Inn, un point de départ idéal pour visiter le Custer State Park et les Black Hills.
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