Tous à la montagne été comme hiver? Voilà comment les stations se réinventent

Val d’Isère, où s’est implanté un tout nouveau Club Med, est le point de départ idéal pour de longues randonnées dans les Alpes, entouré de jolis reliefs, d’un glacier et d’un lac baignant à 2 100 mètres d’altitude. © GF

Les changements climatiques et les voyageurs en quête de slow tourisme obligent les stations de montagne à modifier leur offre pour proposer aussi des activités d’été. Un changement qui contraint également les hôtels à s’adapter.

Contenus dans un périmètre réduit, en manque de grands espaces, les voyageurs des premiers étés Covid se sont tournés vers les sommets européens. Et ils ont visiblement été séduits: d’après une enquête G2A Consulting d’août 2022, parmi les répondants partis au moins une fois à la montagne au cours des trois derniers étés, 76% affirmaient vouloir y retourner au cours des trois années suivantes.

De quoi alimenter un rêve dont l’écho se réverbère en montagne depuis longtemps: générer une activité rentable en toute saison. Le manque de neige en hiver, qui fait planer une épée de Damoclès au-dessus de la tête des stations de ski les plus mythiques, accélère clairement le processus.

De l’apiculture au yoga

D’aucuns y ont vu une opportunité d’investissement massif, à l’image de Piau Engaly, plus haute station des Pyrénées, qui a confié un vaste chantier au cabinet Wilmotte & Associés autour du mot magique: la diversification. Des acteurs historiques du tourisme comme le Club Med ont pris le tournant de la montagne « hors ski » il y a déjà quelques années et réaffirment leur confiance.

L’agility chèvre, idéal pour les kids.
L’agility chèvre, idéal pour les kids. © Getty

Ainsi, le Resort Exclusive Collection de Val d’Isère s’apprête à vivre sa première saison estivale. Première implantation de cette déclinaison luxe de l’iconique formule all-inclusive du Club Med dans les Alpes, elle témoigne d’un développement de la montagne tournée vers le haut de gamme.

A Pralognan-la-Vanoise, le tourisme a commencé en 1860, quand les Anglais sont venus grimper le sommet de la Savoie. On a eu du tourisme très tôt et l’un des premiers hôtels à avoir l’électricité et l’eau à tous les étages. Nous étions une destination de vacances bien avant l’émergence du ski et nous le resterons si, ce que je ne souhaite pas, la pratique était plus difficile ou contrainte.

Sivere Bonnet

Directeur de l’office du tourisme

En parallèle de l’offre qui va du refuge au tout-compris de luxe, c’est une montagne « pour tous » qui semble se déployer avec une explosion d’activités chargées de satisfaire à la fois le randonneur qui vient avec sa gourde depuis quinze ans, le sportif en quête de sensations, le fan de patrimoine, le testeur compulsif de produits locaux et le néophyte qui fait ses premiers pas en altitude. Quel que soit votre profil, la montagne a désormais une formule à vous proposer durant l’été.

En réalité, elle n’a pas attendu la pandémie et la prise de conscience écologique pour séduire. C’est même par elle que le tourisme a pris de l’altitude. Entre climatisme, thermalisme et héliothérapie, au XIXe et XXe siècle, il était déjà de bon ton de rejoindre les alpages pour profiter du « bon air », de températures douces et d’une nature préservée.

La grimpe avant le ski

« A Pralognan-la-Vanoise, le tourisme a commencé en 1860, quand les Anglais sont venus grimper le sommet de la Savoie, note Silvere Bonnet, directeur de l’Office de tourisme. On a eu du tourisme très tôt et l’un des premiers hôtels à avoir l’électricité et l’eau à tous les étages. Nous étions une destination de vacances bien avant l’émergence du ski et nous le resterons si, ce que je ne souhaite pas, la pratique était plus difficile ou contrainte. »

Au Parc national de la Vanoise – 60 ans cette année et toujours pourvu de la plus grande calotte glaciaire d’Europe hors Islande –, on insiste: on n’est pas une « station », on est avant tout un village qui cultive une certaine authenticité. On cherche donc à élargir la fidèle clientèle en devenant une porte d’entrée vers les loisirs de montagne. Exemples de packages: « Ma première rando glacière » ou « Ma première nuit en haute montagne ».

Yoga au Club Med Grand Massif en compagnie d’Heberson Da Silva Oliveira qui a développé sa propre méthode.
Yoga au Club Med Grand Massif en compagnie d’Heberson Da Silva Oliveira qui a développé sa propre méthode. © SDP

Mieux: autour du village, se déploie une offre de loisirs destinés à « amadouer » une clientèle qui découvre la montagne, comme la nouvelle formule Api rando à la rencontre des abeilles ou les séances de yoga du froid avec immersion dans les eaux d’une cascade. Résultat: 40% de la fréquentation, ici, a lieu durant l’été.

Coups de guidon et reconnexion

Dans les stations nées par et pour le ski, c’est une autre histoire. A La Plagne, par exemple, inaugurée avec deux téléskis et quatre pistes en 1961, les ratios sont très différents, avec seulement 15% de la fréquentation en été.

« L’activité estivale grandit et se diversifie, mais on est très loin de l’activité hivernale. Notre atout principal à La Plagne est le ski alpin et il le restera pour les 50 ans qui viennent, affirme avec optimisme Rémy Counil, directeur général de l’Office de tourisme. Pour autant, la diversification est à l’œuvre avec notamment une offre large autour du vélo, nouvelle star des sommets. Il y a le VTT de descente, un Bike Park qui s’étoffe d’année en année, des itinéraires de vélo électrique ou de Gravel (hybride entre vélo de route et VTT) et on voit aussi beaucoup de vélos de route. »

La reconnexion à l’environnement fait partie des envies préférées des voyageurs: balade-cueillette avec une naturopathe, rando yoga, constructions de cabane et autres activités proposées à La Plagne en constituent des preuves irréfutables. « L’idée est d’aller plus loin qu’une simple observation du paysage à travers une balade, en proposant de découvrir en profondeur le milieu qui nous entoure », détaille notre interlocuteur.

Comme les montagnards

Cette quête d’encadrement dans la (re)découverte de l’environnement naturel, Eric Blanchot, créateur du Monde de Jacquotte, la remarque à Morzine. Spécialisé dans la médiation animale, il présente le travail du chien de troupeau et met les visiteurs en contact avec des chèvres. « Ça commence presque toujours par « comment elle s’appelle? », puis ça s’enchaine. Les gens en montagne veulent parler et rencontrer du monde. Ils ont vu les infos sur Internet, mais ils ont envie que nous, qui vivons ici, disions quoi faire et comment faire. »

Eric Blanchot lance aujourd’hui une activité dont le nom ravira les amateurs d’insolite: l’agility chèvre. Comprenez un parcours d’obstacles franchi en binôme par l’animal et l’enfant. « On recrée de façon artificielle ce que les chèvres vivent dans la montagne, où elles passent leur temps à grimper sur des rochers, sauter pour attraper des feuilles, avancer sur des pierres pour éviter de se mouiller… C’est aussi un bon moyen d’apprendre aux plus jeunes à bien marcher en montagne, car souvent, ils ne savent pas le faire. Et ça permet une interaction intelligente: plutôt que d’être tenté de caresser l’animal comme un bien de consommation, l’enfant va jouer avec la chèvre… qui adore ça. »

Dans les Dolomites italiennes, le mountain bike se révèle une activité particulièrement frissonnante.
Dans les Dolomites italiennes, le mountain bike se révèle une activité particulièrement frissonnante. © Getty

Attention à l’artificialisation

A ces modifications d’habitude, s’ajoute une prise de consciente des défis climatiques. Si d’aucuns se basent encore sur des scénarios optimistes, tous s’accordent à dire qu’une adaptation est inévitable. Mais dans les faits, les stratégies de diversifications prennent-elles en compte la donnée écologique? « On note une fuite en avant sur des projets immobiliers toujours plus luxueux, s’inquiète Fiona Mille, présidente de Mountain Wilderness France. La montagne a un potentiel énorme. En pleine crise du vivant, il me semble essentiel de se tourner vers un tourisme de sensibilisation et de transmission pour aller découvrir les glaciers, les forêts… plutôt qu’un tourisme de consommation ».

Ces activités d’été qui ont la cote

A la dure mais pas trop

L’envie de vivre une montagne au plus proche de la nature se manifeste, mais entre manque de condition physique, de matériel ou de compétences techniques, certaines stations proposent de tester en prenant un raccourci. On trouve donc des nuits en bivouac dans des tentes équipées à Avoriaz, ou l’accès à un refuge en swing-car (buggy électrique) à La Plagne.

Rando à thème

Les offres de rando avec un twist se multiplient. Si les acteurs extérieurs type naturopathes, artistes et spécialistes des pratiques douces sont plébiscités, on assiste aussi à un retour de hype d’un acteur historique des sommets: l’accompagnateur de montagne.

Destination patrimoine

La montagne se valorise comme une terre de patrimoine. Le Sunset des Salettes, à Serre Chevalier, propose par exemple l’exploration à la lampe torche d’un fort classé par l’Unesco, tandis que Morzine et Avoriaz ont créé un « Musée à ciel ouvert », un itinéraire jalonné de QR codes pour découvrir le patrimoine des deux villages.

Formule tout compris

Val Pass à Val d’Isère, Passp’Orres aux Orres, E-pass loisirs à Valloire… De plus en plus de stations proposent un pass multi-activités avec parfois des dizaines de loisirs à découvrir, allant de l’accès à la piscine, aux remontées mécaniques, au mini-golf, à des jeux gonflables, au bike park, etc.

Parmi ses préoccupations: l’artificialisation des sols qui accompagne de nombreux projets de loisirs. « Ils impliquent souvent de l’aménagement. Même pour de l’accrobranche, il faut parfois construire une route qui y mène ou un parking. » L’experte, actrice du plan Avenir Montagnes, cite comme bon élève le Massif de Belledonne, qui prévoit de déployer quatorze « camps de base », soit des portes d’entrée vers les sommets où l’on trouve infos, accompagnateurs ou associations naturalistes qui dynamiseront l’économie locale tout en régulant les flux pour éviter la sur-fréquentation.

L’hôtel Faern, à Arosa (Suisse), séduisant hiver comme été.
L’hôtel Faern, à Arosa (Suisse), séduisant hiver comme été. © DANIEL MARTINEK

Un problème économique

Rien d’étonnant, donc, à ce que l’une des fiertés des stations soit aujourd’hui leur Flocon Vert. Label de plus en plus plébiscité par les acteurs de la montagne (et les touristes), il atteste de la volonté de s’inscrire dans une démarche plus durable et de « décarboner » leur activité. C’est l’association Association Mountain Riders qui décerne le sésame. Autant dire que sa directrice, Camille Rey-Gorrez, est aux premières loges pour observer les tendances.

Je crois que développer la montagne en été, c’est une fable. Notre modèle est hérité des Trente Glorieuses, avec un tourisme industriel et du loisir de masse. Aussi, ce qui crée de la valeur, c’est l’immobilier. Avec des stations à 85% composées de résidences secondaires et inhabitées la majeure partie de l’année, puisqu’il est prévu de faire le chiffre annuel sur quatre mois maximum. Dans de nombreuses stations, les deux saisons, ce sont l’hiver… et la saison des chantiers durant laquelle on prépare l’hiver suivant. »

Guillaume Desmurs

Journaliste et fondateur du LaMa Project

« Le modèle ski s’est posé de manière un peu uniforme sur l’ensemble des territoires qui sont en fait très différents. Il faudrait plus de souplesse, réfléchir au modèle estival en fonction de chaque territoire. » Pour que la montagne d’été soit un succès, elle pointe un nécessaire changement de paradigme: « L’erreur est de parler avant tout du poids économique. »

Car même si la fréquentation estivale devenait équivalente à celle de l’été et qu’elle se lissait harmonieusement sur quatre saisons, les revenus générés ne seraient pas comparables. Pour résumer en une phrase: un randonneur en août ne dépense pas la même chose qu’un snowboardeur en février. Ainsi, de nombreuses remontées mécaniques qui permettent l’ascension des VTT et marcheurs se disent déficitaires sur cette activité sans neige.

Le poids des résidences secondaires

« Avec ce prisme, l’été semble à la traîne et ça ne permet pas de croire qu’un autre modèle est possible alors qu’il y a une vraie volonté des acteurs d’investir cette saison, déplore Camille Rey-Gorrez. L’équivalence en richesse ne sera jamais retrouvée, il faut sortir du simple indicateur PIB et penser à des indicateurs de valorisation du poids carbone, biodiversité, etc. Plus qu’un lieu de tourisme, la montagne va devenir un territoire refuge. Il est important de s’y préparer dès aujourd’hui. »

Guillaume Desmurs, journaliste né en montagne, auteur, podcasteur, éditeur et co-fondateur du LaMA Project, un « laboratoire pour une montagne d’avenir », est un peu moins optimiste: « Je crois que développer la montagne en été, c’est une fable. Notre modèle est hérité des Trente Glorieuses, avec un tourisme industriel et du loisir de masse. Aussi, ce qui crée de la valeur, c’est l’immobilier.

La montagne à l’année

Avec des stations à 85% composées de résidences secondaires et inhabitées la majeure partie de l’année, puisqu’il est prévu de faire le chiffre annuel sur quatre mois maximum. Dans de nombreuses stations, les deux saisons, ce sont l’hiver… et la saison des chantiers durant laquelle on prépare l’hiver suivant. »

Plus que l’ajout de quelques activités, c’est tout un modèle qui est à revoir, pour sortir non seulement du « tout ski », mais aussi du « tout tourisme » et créer une montagne « à vivre » toute l’année. Cela avec tous les services nécessaires: école, médecin, magasins, etc. » Réflexion pertinente, qui rappelle qu’aucun sommet ne se gravit en un claquement de doigts…

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