Urbex en Belgique: Exploration et fascination pour les lieux abandonnés et leur mystère
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La passion de Delphine et Céline: explorer des lieux abandonnés, et les photographier afin de capturer une part des souvenirs qui s’y agrippent. Dans le livre Terminus, elles partagent le fruit de leurs errances fascinantes… sans trop en dire pour ne pas les trahir.
« Derrière les objets laissés çà et là, au détour d’une porte ou d’un couloir, se révèle à nous la trajectoire d’un être, d’une famille, d’une institution. On entre dans cette intimité comme on effeuille un livre, page après page », écrivent en choeur Delphine Buxant et Céline Danloy dans la brève introduction de leur ouvrage Terminus. On apprend ensuite que l’une est banquière et que l’autre travaille en milieu psychiatrique. Puis c’est le silence qui règne et ce sont les photos, d’un magnétisme désarmant et d’une splendeur fracassante, qui prennent le relais. Rencontre à deux voix, pour mieux cerner cette quête de frissons.
Quelle est votre définition de l’urbex?
Delphine Buxant: Je trouve ce terme daté, pas très joli et pas tout à fait correct puisqu’il renvoie au mot « urbain » et que nous dépassons largement les frontières de la ville. Je préfère parler d’une découverte de lieux figés dans le temps, et d’une façon de se poser des questions: pourquoi ces endroits sont-ils abandonnés? Qui les a condamnés à l’oubli? En gros: que racontent-ils comme histoires?
« Il y a une dizaine d’années, je suis tombée sur la photo d’un château vu du ciel, sur Google, et j’avais du mal à croire que cet endroit pouvait se trouver en Belgique. Après des recherches approfondies et une longue marche, ce fut un véritable choc émotionnel. Je me suis agenouillée devant cette bâtisse néo-gothique immense et majestueuse. J’en ai eu les larmes aux yeux..
Céline Danloy: Moi qui suis une fan de haute montagne, je vois un peu la même chose dans l’urbex: une manière de m’extraire de ce monde où tout va trop vite, d’ouvrir les yeux, de me laisser surprendre, de prendre le temps de capturer un univers.
A quel moment est née votre fascination?
D.B.: J’ai toujours été passionnée par les vieilles pierres et les châteaux. Mais il y a une dizaine d’années, je suis tombée sur la photo d’un château vu du ciel, sur Google, et j’avais du mal à croire que cet endroit pouvait se trouver en Belgique. C’était à Houyet, sur une propriété cachée au fond des bois. J’ai dit à mon époux que je voulais absolument voir ça de mes propres yeux. Après des recherches approfondies et une longue marche, ce fut un véritable choc émotionnel. Je me suis agenouillée devant cette bâtisse néo-gothique immense et majestueuse. J’en ai eu les larmes aux yeux…
C.D.: Je travaille dans le milieu psychiatrique, et j’ai découvert cette activité lors d’un congrès. Le virus a pris instantanément. Comme dans mon métier, j’y ai vu une manière de découvrir une autre logique que la mienne, tout en se questionnant sur les laissés-pour-compte de la société et ces choses – ou ces êtres – dont on ne se soucie plus.
Vous explorez toujours en duo?
D.B.: Certains le font en groupe, nous on le fait comme ça depuis deux ans. Et on se retrouve tous les dimanches, sans exception. Qu’il fasse beau ou mauvais, peu importe: on prend nos appareils photo et on se met en route.
C.D.: C’est une vraie démarche, et pas un simple loisir. Il y a plusieurs façons de faire. On peut enchaîner six spots par jour, on peut faire du parkour (discipline acrobatique sur l’art du déplacement) dans les usines désaffectées, on peut simplement s’y balader et on peut, comme nous, prendre le temps d’aller au coeur des lieux afin de s’en imprégner et de percer leurs secrets.
Comment dégotez-vous ces endroits improbables?
D.B.: Il y a des groupes sur Facebook, ou bien sûr le bouche-à-oreille. Comme c’est devenu assez à la mode, il suffit de fouiller. On lit aussi des articles de presse avec des mots-clés du genre « lieux où la nature a repris ses droits ». Et on surveille les ventes publiques, parce que ce sont souvent des maisons qui, faute d’héritiers ou d’acheteurs, restent parfois dans leur jus durant des années, voire des décennies..
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Quelles sont les règles à respecter quand vous arrivez quelque part?
D.B.: La règle numéro 1, c’est qu’on ne touche à rien et qu’on montre le plus grand respect. On ne casse pas de vitre pour rentrer, et on fait attention où on met les pieds. Et si, malheureusement, on tombe sur des squatteurs, on s’en va discrètement en les laissant tranquilles. On ne fait jamais cette activité la nuit, non plus… Certains le font, mais souvent, c’est pour tenter des expériences paranormales, c’est une autre histoire.
C.D.: Il faut aussi faire très attention à l’usure. Il m’est arrivé de passer à travers un plafond, dans un manoir. On prend parfois des risques, mais c’est à nous de bien les calculer. C’est aussi pour cela qu’on essaye de réunir un maximum d’informations: y a-t-il des gardes? Des caméras? Etc.
Si personne ne touche jamais à rien, vous devez tomber sur des objets très anciens…
D.B.: C’est le cas! Des objets de grande valeur, même. Des montres, de la vaisselle, des lampes… Dans un château délabré, on s’est un jour retrouvées face à des radiateurs en fer forgé qui intéresseraient beaucoup d’amateurs. Ailleurs, on a vu des machines à écrire Remington encore dans leur housse, des fers à repasser figés sur le poêle à bois. C’est vraiment incroyable. On est obligées de se poser la question « pourquoi? » D’ailleurs, personnellement, je voulais appeler ce livre Why? parce que ces visions procurent des sentiments parfois inexplicables…
C.D.: Parfois, c’est presque intime: il y a des lettres ou des objets du quotidien qui en disent beaucoup. Il faut juste s’arrêter aux portes du voyeurisme.
En publiant un livre, est-ce que vous ne multipliez pas le risque que des gens viennent abîmer ces lieux?
D.B.: C’est une question qu’on s’est posée, évidemment. Mais l’une des autres règles de cette discipline, c’est qu’on ne révèle jamais les adresses exactes. On évoque la région, mais on n’explique pas comment les trouver. Après, bien sûr, il y a des lieux qui sautent aux yeux: ceux qui connaissent un peu le coin vont facilement reconnaître le Haut-Fourneau de Liège, par exemple, qui est un endroit très connu pour les fans d’urbex…
C.D.: On a aussi voulu partager la philosophie de respect qui nous anime. Et quelque part, c’est une façon de redonner une existence à toutes ces bâtisses délaissées. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que ces endroits ne sont connus que sous leur surnom. Pour éviter de dévoiler les adresses, on les appelle par exemple Heavy Metal, Wet Dogs, Bobine Rouge ou La Villa Ginette… On ne sait pas toujours d’où viennent ces appellations, mais généralement, c’est le premier qui découvre un lieu qui a le droit de le baptiser.
Quelle place occupe la photographie dans votre démarche?
D.B.: C’est la partie artistique. En ce qui me concerne, c’est même grâce à cela que j’ai appris la photo: mon oeil s’est aguerri face aux jeux de lumière, aux objets vintage, aux détails poussiéreux, aux papiers défraîchis ou même à la pourriture. C’est leur décadence qui rend ces endroits tellement photogéniques.
C.D.: Les photos – et même la vidéo, dont je suis fan aussi – sont les seules façons de garder une trace de notre venue. Cela me semble indissociable de notre activité.
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Y a-t-il des histoires qui vous ont particulièrement marquées durant vos périples?
D.B.: Il y en a beaucoup. Se renseigner sur le passé d’un lieu, c’est parfois fascinant. Je pense à une maison dans laquelle je suis tombée sur un amoncellement invraisemblable de crottes animales desséchées. En faisant des recherches, j’ai trouvé un article expliquant qu’un chien avait vécu ici longtemps à côté de son maître décédé… A côté de cela, il y a de belles rencontres. Un jour, en plein été, j’ai débarqué devant un casino abandonné, dont la porte avait été bloquée par des plaques de béton. Un papa et son fils de 10 ans sont arrivés, et ensemble, on a mis environ 1 heure avant de réussir à déplacer un bloc et à passer par un soupirail. Je me souviens bien de cette rencontre parce que c’étaient des Néerlandais, et dans un pays comme les Pays-Bas, l’urbex n’existe pas: un lieu déserté est directement démoli ou réhabilité. Ici, en Belgique, c’est assez fou le nombre de lieux dont l’Etat n’a pas le temps de s’occuper… mais tant mieux pour nous.
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