Proenza Schouler toujours plus haut

Les brillants duettistes de la mode américaine, récents lauréats des CFDA awards, défilent à New York ce mercredi 14 septembre.

Bar du Bristol, Paris, mi-juillet. Jack McCollough et Lazaro Hernandez, trentenaires surdoués de la mode américaine, prophètes d’une allure urbaine entrelaçant références street culture et couture, commandent… une camomille. Pour calmer leur hyperactivité? A quelques semaines de leur défilé printemps-été 2012, les nuits sont courtes. « La collection n’est pas du tout finie, avoue Jack. Quand arrive le show, on dort six heures en trois jours. » « Nous sommes terrifiés, comme toujours! » souffle Lazaro dans un éclat de rire.

Leurs réponses se chevauchent et se complètent. Ces deux jolis garçons, savoureux choc des contraires (le blond Jack en parfait wasp issu de la bourgeoisie de San Francisco versus le brun Lazaro en fils de coiffeuse latino de Miami), paraissent fusionnels. « Proenza Schouler est tellement née de notre collaboration que la marque n’existerait pas l’un sans l’autre. Cela dit, notre esthétique devient de plus en plus similaire. Nous faisons tout ensemble, à part nos croquis », explique Jack. « Il n’y a pas de vérité absolue sur notre travail: parfois il me convainc et inversement », dit Lazaro.

L’idylle, professionnelle et personnelle, dure depuis plus de dix ans. Les échotiers de la mode ne se lassent pas de conter ce « fashion fairy tale ». Dont acte. Une rencontre, en 1998, sur les bancs de la Parsons School of Design, à New York. Une fascination commune pour la couture française des années 1950 (Balenciaga en tête) et pour l’esthétique teenage américaine et le grunge de Kurt Cobain. En 2002, ils signent à quatre mains leur collection de fin d’études, « Proenza Schouler » étant les noms de jeune fille de leurs mères. Le succès dépasse leurs rêves les plus fous: Barneys, boutique de l’Upper East Side new-yorkais, achète tout. Et aussitôt passe commande pour la saison suivante.

Ils ont emballé l’olympe mode de leur charme frondeur gonflé à l’autodérision
Depuis, les garçons ont la grâce, faisant briller au firmament l’étoile secrète que chacun s’est fait tatouer derrière l’oreille gauche. Déjà couronné en 2007, le duo vient d’être élu aux Etats-Unis « créateur pour femmes de l’année » par le prestigieux Council of Fashion Designers of America (CFDA). « On était sous le choc. Si loin d’imaginer gagner qu’on n’avait pas préparé de discours, juste fait nettoyer nos costumes. Du coup, on a ânonné quelques mots, au risque de paraître stupides. » Evidemment, il n’en fut rien. Une fois de plus, ils ont emballé l’olympe mode de leur charme frondeur gonflé à l’autodérision. Parmi leurs fans assumés, Anna Wintour, patronne du Vogue américain, pivot du business et entremetteuse hors pair, qui les soutient depuis le début. « Un mentor et une amie », saluent-ils, qu’ils invitent régulièrement à dîner avec sa fille Bee. Autres « amies » portant leurs créations: une galaxie d’icônes indé -Chloë Sevigny, muse quasi officielle, Maggie Gyllenhaal ou Kirsten Dunst-, aimantées au fil des années par l’image intello-cool dont jouissent les garçons.

Mais au-delà de cette aura, c’est évidemment leur style virtuose qui vaut aux Proenza Schouler pareille consécration. Leur mode allie une ligne aiguisée, architecturée et un style tout sauf minimaliste, prisant les imprimés aux couleurs électriques (voir la collection baroque de l’été 2010 et ses robes scintillantes façon paon). Une mode souvent qualifiée de très new-yorkaise, preppy et nerveuse. Et pourtant… « On quitte Manhattan dès que possible. Dans la ville, il y a tellement de bruit que tu n’entends pas tes pensées, regrette Jack. Et New York n’est plus une ville inspirante. Il n’y a plus guère de scène alternative, la street culture a été pervertie. Alors on prend le vert dans notre maison du Massachusetts. » Des périodes de relâche ponctuées de lectures (biographie de Diane Arbus, livres sur l’artisanat américain du milieu du xxe siècle), de jardinage et de fiestas entre amis, alléchés par les talents de cuisinier de Jack. Entre deux défilés, ils s’exilent un peu plus loin. En octobre, ce sera le Bhoutan. L’an dernier, ils avaient pris la route de Santa Fe et dévalé l’Arizona jusqu’au Nouveau-Mexique. Montagnes, déserts, cascades, couleurs éblouissantes… Quelques mois plus tard, ils livraient le défilé de cet hiver, des silhouettes pissantes et métissées, aux jacquards graphiques peints à la main. Un nomadisme hypermoderne porté par des trouvailles techniques: « On adore explorer l’artisanat traditionnel et l’associer à des prouesses high-tech. » Ainsi, les motifs navajo ont-ils été retravaillés sur ordinateur (via zooms et déformations) pour devenir ces imprimés vibrants et finalement très urbains.

« Dans le travail, nous sommes des chiens! »
Sur leur collection de l’été prochain, qui sera dévoilée le 14 septembre, ils ne veulent rien dire. Ou presque. « Des couleurs flamboyantes »; « Définitivement pas minimale »; « Avec beaucoup de recherche sur les textiles, les broderies, le fait-main. » « On est allé vers l’océan Pacifique, la Polynésie, d’où notre envie d’une mode solaire, body conscious, nourrie de références à la côte Ouest américaine, à l’architecture Googie et au surf, comme souvent chez nous. On va même réinterpréter des silhouettes de nos débuts. On se fait vieux si on en est à nous citer nous-mêmes! » ironisent-ils.

« Nous faisons ce en quoi nous croyons. Une grande partie du luxe n’a pas cette liberté et finit par perdre sa voix intérieure, condamnée à faire du rose fluo parce que les clientes sont supposées le désirer », analyse Jack. Pour autant, les Proenza Schouler ont le réalisme chevillé au crayon. « Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous sommes très ouverts aux arguments commerciaux, qui n’ont rien de gros mots pour nous, poursuit-il. Il n’y a pas que le show qui compte. Certes, il faut créer le rêve, mais, à la fin, c’est un business. » Traduction plus crue de Lazaro: « La fille que nous imaginons est cool, mais nous ne le sommes sûrement pas! Dans le travail, nous sommes des chiens! »… Qui ont prouvé leur talent pour penser le bon accessoire (machine à cash), avec le succès de leurs sacs, notamment celui du PS1 lancé en 2008.

La même année, la maison mère de Valentino déboursait 3,7 millions de dollars pour s’offrir 45 % de leur marque. De quoi voir venir et s’appuyer sur un réseau de fabricants réputés en Italie. Au coeur de l’été, un second partenariat a été signé entre Proenza Schouler et le cofondateur et PDG de Theory, Andrew Rosen, promesse de nouveaux développements. Le tout alors que les deux garçons rencontraient la direction de Dior Couture lors de leur escale parisienne…

Une telle baraka va-t-elle les affadir? Le duo, s’il a le sens des affaires, a aussi celui, aigu, de l’image. Et n’hésite pas à bousculer la sienne. En 2010, il demande au réalisateur underground Harmony Korine de réaliser un court-métrage promotionnel: Act da Fool met en scène des adolescentes noires de Nashville en pleine beuverie, vêtues de la collection hiver. « On assume un certain goût pour le mauvais goût, plus que pour une joliesse trop prévisible. Une fille un peu paumée dans son sweat oversize peut être mille fois plus inspirante qu’une psychorigide parfaite façon héroïne hollywoodienne », provoque Jack. Même si Marlene Dietrich est dans leur panthéon: « Très masculine, terriblement belle. » On se souvient de leur extase, dans le documentaire que leur a consacré Loïc Prigent, Le Jour d’avant (Arte éditions), devant une mannequin parfaite parce que… totalement plate.

L’année prochaine, ils ouvriront une boutique à New York. Ils aimeraient aussi lancer un parfum. Jack le rêve musqué, masculin, chargé. Soudain, Lazaro part dans une tirade nostalgique sur le mythique parfum cubain de sa mère, un jus enveloppant baptisé Violetta. « Là, on n’arrivera pas à fusionner… Joker! »

Katell Pouliquen, Lexpress.fr Styles

Suivez le défilé Proenza Schouler sur Style.com ce mercredi à 20 heures à New York (2 heures du matin en Belgique)

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