Les nouveaux gourous de la consommation

© Capture d'écran Dailymotion

Face à la saturation de l’espace publicitaire, les fils de pub sont contraints de redoubler d’inventivité pour grappiller toujours plus de temps de cerveau disponible. Et quand ils créent le buzz sur Internet, au cinéma ou à la télévision, les retombées se comptent par millions. Décryptage.

Sur petit ou grand écran, une féroce concurrence pousse les entreprises à repenser continuellement leur com’, tirant à la fois parti des infinies possibilités des nouvelles technologies et des failles d’une législation larguée par l’intarissable imagination des publicitaires. Aujourd’hui, Instagram et Twitter tournent autour des 300 millions d’utilisateurs actifs et voient quotidiennement défiler, l’un 70 millions d’images et de vidéos, l’autre un demi-milliard de tweets. C’est donc sans surprise que les réseaux sociaux sont devenus un support de diffusion privilégié pour le lancement de nouvelles campagnes et de diverses stratégies où s’estompe la frontière entre pub classique et communication déguisée. Et ça marche : à en croire l’étude « Nielsen Brand Effect for Twitter » de mars 2013, une mention sur la machine à gazouillis va jusqu’à augmenter de moitié l’envie d’achat ; on comprend dès lors l’intérêt des as du marketing pour des idoles planétaires comme la chanteuse Shakira ou le footballeur Cristiano Ronaldo, dont les pages Facebook comptent chacune plus de 100 millions de likes. La pub a changé, la façon dont nous l’appréhendons aussi. Démonstration par ce petit tour d’horizon des pratiques en vogue pour mettre en lumière produits, labels ou lobbys.

PLACEMENT DE PRODUIT : POMMES CROQUÉES ET AGENTS SECRETS…

Si le placement de produit est presque aussi vieux que le cinéma lui-même, le phénomène n’a jamais eu autant d’importance qu’aujourd’hui. Depuis quinze ans, le site Brandchannel publie d’ailleurs des Product Placement Awards et ses résultats pour l’année écoulée consacrent Apple, qui put introduire les appareils à la pomme dans 9 des 35 plus grandes productions américaines de 2014. Du côté des films, la franchise Transformers détient le record de publicités éhontées – son troisième volet comptait pas moins de 71 produits placés, soit un toutes les 2 minutes – mais le procédé n’épargne aucune grosse machine, au risque d’écorner des légendes, fussent-elles du calibre de James Bond. Car 007 est l’une des valeurs sûres de la méthode, et ce avec une certaine fidélité – aux montres Omega depuis vingt ans ou au champagne Bollinger, depuis 1973 – tout en restant soumis aux lois du marché, suffisamment puissant pour forcer ce pauvre Daniel Craig à troquer sa mythique vodka-martini pour une vulgaire Heineken, monnayée quelque 35 millions d’euros. (>>> Lire aussi James Bond, agent au service du marketing )

Ce n’est d’ailleurs pas vraiment un hasard si le long-métrage qui a fait couler le plus d’encre pour ses accointances commerciales n’est autre que Kingsman, pétaradante parodie bondesque de 2014 dont les super-espions se planquent derrière la façade forcément huppée d’un tailleur de Savile Row. Prolongeant la scrupuleuse codification vestimentaire en vigueur tout au long de son film, le réalisateur Matthew Vaughn (Kick-Ass, X-Men : First Class…) a imaginé un partenariat entre sa costumière et une référence de la vente en ligne, le site Mr Porter, pour rendre accessible au public les élégantes tenues portées par ses personnages, ainsi que les chaussures George Cleverley, montres Bremont… Une première historique, qui donne aux spectateurs la possibilité d’acquérir les pièces en temps réel, penchés sur leur smartphone dans l’obscurité d’un cinéma. Au risque de déranger ceux que ce concept laisse perplexe.

… ET EN TV, PUB ET LA VIE

En télé, le placement de produit répond à une logique similaire, mis à part que dans le cadre d’une série, l’enchaînement des épisodes permet un ancrage dans la durée et une présence familière dans le quotidien. Si la pratique a toujours été de mise aux Etats-Unis, l’Europe n’y a succombé qu’en 2010. Depuis lors, sous couvert du réalisme des situations, des feuilletons comme Plus belle la vie ont largement contribué à sa dilution dans les moeurs télévisuelles. En ce qui concerne les émissions de service public, le débat s’avère nettement plus sensible, comme en a témoigné la valse à trois temps de la RTBF et du Conseil supérieur de l’audiovisuel, l’organe garant des bonnes pratiques en matière de médias. D’abord critiqué, puis interdit en 2013, avant de faire sa réapparition un an plus tard, le défilé de tablettes et smartphones, voitures ou sodas estampillés a finalement pu se poursuivre dans The Voice. Voir la pub au secours du service public ne fait pas que des heureux, mais d’aucuns admettent que cette manne financière tombe à point pour renflouer les caisses ertébéennes après la baisse de sa dotation. Et, accessoirement, permettre la production du télécrochet, qui rassemble près de 500 000 téléspectateurs à chaque prime-time.

L’ÈRE DU BUZZ : SARKO, OREO ET LEGO

Pour le meilleur et pour le pire, de nombreuses marques ont aujourd’hui compris l’intérêt de tirer parti des réseaux sociaux pour y faire leur autopromo et animer une communauté virtuelle d’adeptes qui constitueront autant de relais potentiels. Posts sponsorisés, vidéos virales, cadeaux inopinés, sans oublier l’art subtil du bureau de réclamation 2.0, on ne compte plus les trouvailles de community managers pour faire parler de leur employeur. L’immédiateté du Net leur permet en outre de rebondir sur un événement en temps réel ou presque. En 2008, Ryanair puis l’agence de location Sixt avaient ironisé sur le mariage de Carla Bruni et Nicolas Sarkozy, ce même Sarkozy dont Spontex détourna ensuite le slogan « La France Forte » en « La France frotte », lors de sa candidature à la présidentielle de 2012. Les mauvais coups sont permis, quitte à allègrement bafouer le droit à l’image, parce qu’une amende se verra vite oubliée face aux répercussions d’un bon buzz. Et tant pis si Ikea cite Nabilla pour vendre son coussin Hallö. En termes de réactivité, l’un des meilleurs exemples reste celui des biscuits Oreo, qui à peine quelques minutes après la coupure de courant survenue lors du Super Bowl 2013, grand-messe du foot américain suivie par plus de 100 millions de personnes, publièrent un tweet largement plus commenté que certains spots à 3,7 millions d’euros les 30 secondes. Et plus récemment, Lego fit don de ses briques pour reconstituer deux bustes volés dans un parc de Budapest. Aux premiers jours de 2015, cette histoire relayée à travers la Toile renforça à peu de frais le capital sympathie déjà énorme du groupe danois.

RÉSEAUX : I, I FOLLOW

Dans Le Vif Weekend du 14 novembre dernier, la présidente de Lancôme, Françoise Lehmann, se réjouissait de l’activité digitale de Lupita Nyong’o. Et à raison, car son égérie ne se contente pas d’incarner la marque en lui prêtant son image, mais la fait aussi vivre au jour le jour, allant jusqu’à consulter ses fans au moment de choisir son rouge à lèvres. Et si Lancôme truste une part des posts de la miss, d’autres griffes sont présentes dans ses différentes publications, notamment dans les singulières natures mortes qu’elle compose avec ses chaussures, bijoux et accessoires.

Les comptes de célébrités usent ainsi de leur influence sur des millions de followers pour vanter les mérites d’un label de façon claire ou déguisée, se faisant parfois payer des fortunes pour souffler le nom d’un produit en manque de visibilité. En un coup d’oeil sur leur compte, on comprend vite que Kristen Stewart roule pour Look Optic, Chanel ou Balenciaga et que Jessica Chastain apprécie l’accueil que lui a réservé le Royal Monceau, à Paris.

Populaires auprès des jeunes, les sportifs ne sont pas en reste, comme Eden Hazard et Zlatan Ibrahimovic, qui s’échangèrent des tweets bon enfant avant la rencontre Suède-Belgique. Ces vannes inoffensives furent largement relayées par les médias, et retweetées près de 20 000 fois ; une véritable aubaine pour Nike, sponsor des deux superstars, car Zlatan était parvenu à glisser le nom de ses nouveaux crampons.

Les nouveaux gourous de la consommation
© Instagram
Les nouveaux gourous de la consommation
© Paramount Pictures/Instagram

Et s’il ne fallait en retenir qu’une, la pub plus ou moins dissimulée la plus connue fut certainement le fameux selfie pris lors des Oscars 2014 par l’animatrice américaine Ellen DeGeneres au milieu d’une brochette de stars, qui rapporta des millions de retweets – détrônant au passage le  » Four more years » d’Obama. Le lendemain de la cérémonie, en apprenant les détails du contrat passé avec Samsung, on comprit mieux ce qui l’incita à brandir si ostensiblement son smartphone blanc dans les allées du Dolby Theatre. Et dans un autre registre, à la fin de la Fashion Week parisienne qui s’est achevée ce 11 mars, Valentino clôturait son show en faisant défiler Ben Stiller et Owen Wilson pour officialiser la sortie du film Zoolander 2. Et s’offrir un joli coup de com’, relayé des dizaines de milliers de fois sur le Net. Du win-win, comme on dit.

BLOGS : À LA RECHERCHE DE LA NOUVELLE STAR

Si les groupes de luxe avaient autrefois tendance à snober la blogosphère, ils ont depuis lors changé d’avis : acceptés comme des leaders d’opinion crédibles, les plus influents créateurs de contenus sont désormais repérés et courtisés, jusqu’à devenir eux-mêmes des e-célébrités… sans pour autant bénéficier des plantureux émoluments des authentiques stars. Un bon calcul des marques, qui bénéficient ainsi de leur expertise et de leur crédibilité auprès d’une multitude d’abonnés.

Parmi les plus suivies, on citera Garance Doré, illustratrice, photographe et fashion blogueuse française qui collabore avec & Other Stories, GAP ou Petit Bateau, ou encore Chiara Ferragni, dont le site The Blonde Salad produit des vidéos promo à la gloire de maisons comme Saint Laurent et génère près de 7 millions d’euros par an. (>>> Lire aussi Les secrets de la réusssite du blog qui rapporte 8 millions de dollars par an )

La reine des chiffres (et du tuto make-up) demeure toutefois Michelle Phan, dont la chaîne YouTube, suivie par 7,5 millions d’utilisateurs, a dépassé le milliard de vues. Remarquée par Lancôme, elle devient leur première ambassadrice Web, avant de se voir confier la réalisation d’une palette, Chic by Chelle. Business woman accomplie, Michelle a également lancé la ligne de cosmétiques Em avec L’Oréal Paris. Loin de ces montants astronomiques, on retrouve chez nous de réels talents que les géants du secteur n’hésitent plus à approcher, à l’instar de la blogueuse anversoise Paulien Riemis, dont la page perso, Polienne, lui valut d’être recrutée par Estée Lauder pour sa dernière campagne en ligne.

LOBBYING ET NEURO : LES IDÉES DROIT AU CERVEAU

Moins médiatisé bien que plus sournois, le placement d’idée intègre une promo insidieuse de causes, sports ou métiers au scénario des fictions. C’est la raison qui explique la présence des chèques emploi pour payer Karin Viard dans Ma part du gateau de Cédric Klapisch (2011), ou celle d’une jeune notaire dans Arrête de pleurer, Pénélope de Corinne Puget (2011), sponsorisé par le notariat français. La série Joséphine, ange gardien aurait choisi le rugby comme thème d’un épisode pour la somme de 15 000 euros, tandis que la fédération de judo s’est offert un personnage de Plus belle la vie. Lobbying à grande échelle mais à peu de frais, le placement d’idée est pourtant interdit mais adopté de facto, malgré les grimaces du CSA.

Autre sujet polémique, le neuromarketing met les neurosciences cognitives et l’imagerie médicale au service de la consommation, et permettrait de peser sur la réceptivité et le mécanisme de décision des (télé)spectateurs. Une discipline controversée, pour l’instant réservée aux campagnes de prévention et de santé publique, qui finira peut-être un jour par inspirer des petits malins fantasmant sur ses juteuses promesses d’applications mercantiles…

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