Travailler en couple, les recettes du succès
Ils ont choisi de piloter en tandem leur petite entreprise. Quand vies privée et professionnelle se mélangent, le défi est plus grand. Mais si ça fonctionne, 1+1 égale beaucoup plus que 2. La preuve par trois.
Métro, bureau, duo : le lieu de travail, c’est bien connu, est un terrain privilégié de rencontres. En France, où cette statistique est disponible, 12 % des couples se seraient créés en bossant. Cela ne signifie toutefois pas qu’ils passent toute la journée côte à côte. Ce schéma-là, lui, est réservé aux amoureux qui ont choisi de faire tourner à deux leur propre business : PME, commerce, restaurant, entreprise de mode, de design ou artistique… Selon l’Union des Classes Moyennes (UCM), au moins 60 000 personnes seraient dans ce cas en Belgique, tous domaines confondus. Une tendance à la hausse ? Pas vraiment. « Jadis, il était fréquent que l’épouse, qui n’était pas officiellement active, seconde son mari dans son métier, rappelle Michèle Montagnon, coach française spécialisée dans la thématique (1). Mais elle n’avait pas de statut. Depuis quelques années, cette reconnaissance juridique est imposée et lui confère des droits et une meilleure visibilité. Mais toutes n’ont pas régularisé leur situation. » A l’UCM, Thierry Evens relève que le nombre de personnes dites « conjoint aidant » (un titre instauré en 2003) a baissé de 25 % ces cinq dernières années, ce qu’il attribue notamment à « l’évolution de la société et à la moindre durabilité des relations ».
N’empêche, selon Michèle Montagnon, oeuvrer en binôme homme-femme revient à la mode sous la pression de la crise : « Les fermetures d’entreprises, le chômage et le contexte économique difficile incitent les gens à tenter de devenir leur propre patron. Poussés par les circonstances, beaucoup osent l’aventure avec leur moitié. Et là, je dis attention ! Vivre ensemble, ce n’est pas facile. Créer sa boîte non plus. En mélangeant ces réalités, on multiplie les risques d’accident. » Si le ménage est sous tension, le projet professionnel sera voué à l’échec. « C’est comme ceux qui essaient d’avoir un autre enfant dans l’espoir de sauver leur relation : ça fonctionne rarement ! Une société que l’on développe en commun, c’est aussi un bébé. » Psychiatre expert dans la thérapie conjugale selon la méthode relationnelle Imago importée des USA, Charles Hershkowitz (2) – qui collabore avec sa partenaire Doris – partage ce point de vue : « Cela augmente le risque de générer de la frustration, un sentiment de dévalorisation ou du ressentiment, observe-t-il. D’où l’importance du dialogue, la nécessité de s’imposer des temps d’arrêt et de parler vrai. Il faut être lucide, attentif aux difficultés et prêt à formuler son malaise quand il se produit. » En veillant à ne pas importer les problèmes du bureau à la maison et vice-versa.
Pour Michèle Montagnon, c’est en amont qu’il importe de couler des fondations solides en n’éludant aucune question. « Il faut tout mettre sur la table dès le départ. Pourquoi veut-on se lancer ? Comment ? Quel sera le rôle de chacun ? Quel impact concret sur la sphère familiale ? Etablir un véritable plan de vie sur le modèle du business plan est primordial. » Il ne suffit pas de vouloir être à deux, le désir de bosser en duo doit se manifester également. Quitte à se faire accompagner au début.
Les spécialistes préconisent également d’autres règles. Dont une nette séparation entre job et foyer, y compris sur le plan géographique. A éviter : l’entreprise à domicile. Les experts pointent aussi la nécessité d’être parfaitement d’accord sur le projet, la définition claire des rôles et tâches respectives en fonction des envies et compétences de chacun, l’absence de lien de subordination ou d’ascendance d’un conjoint sur l’autre et, surtout, l’importance de se ménager des espaces d’autonomie. Sport, loisirs… Chacun doit pouvoir exister par lui-même. « Même fusionnel, le couple n’est pas une entité unique mais se compose de personnes différentes, complète Michèle Montagnon. Il faut trouver le juste équilibre. » Ceux qui y parviennent ont tout à y gagner. Non seulement ils passent plus de temps l’un près de l’autre, mais ils bénéficient aussi d’une plus grande complicité, partagent leurs succès et se soutiennent en cas de coup dur. Trois de ces équipées, toutes issues du secteur de la gastronomie, nous racontent leur expérience.
BENOÎT VANO ET ANAÏS DROEVEN, COLONEL p>
« À DEUX, ON IRA BEAUCOUP PLUS LOIN » p>
C’était son rêve de gosse : ouvrir un jour son restaurant. A 36 ans, Benoît Vano vient de le réaliser en inaugurant Colonel, qui fait déjà parler de lui. Installé dans le quartier Louise, à Bruxelles, l’établissement est axé sur la viande de boeuf racée de haute qualité, le plus souvent maturée, que le client choisit lui-même à l’étal du boucher. Le jeune trentenaire le dirige avec sa compagne Anaïs Droeven, qui a tout lâché pour le suivre dans l’aventure. « J’ai la chance d’avoir un homme ambitieux et je l’aime, sourit-elle. Quand l’idée du restaurant est née, je me suis dit : soit je vais détester parce que je ne le verrai plus, soit je vais adorer parce qu’on va le faire à deux. » « Sans elle, je ne me serais pas lancé », confirme-t-il. p>
Lui est un serial entrepreneur qui a bossé dans l’événementiel, à la tête d’une boîte de nuit, dans la restauration déjà mais pour le compte d’un autre… Elle a été mannequin avant d’oeuvrer dans les relations publiques et la communication, son diplôme de journalisme en poche. Au Colonel, c’est Benoît le patron. Malgré sa formation (tardive) en école hôtelière, il s’occupe de la gestion, pas des fourneaux. Anaïs gère la com’, le marketing, l’accueil des clients… L’un d’entre eux (au moins) est toujours présent sur place, pendant que l’autre prend soin de leurs petites filles. « Le resto, c’est notre troisième bébé, dit Anaïs. Pour le moment, on se débrouille comme on peut. Ce n’est pas évident vu l’affluence. On pense à prendre une nounou. » « Pas question, tranche Benoît. Nous sommes en rodage, c’est une question d’organisation et de temps qu’on veut consacrer aux enfants. C’est l’avantage de travailler conjointement : on s’arrange pour qu’il y en ait toujours un de disponible. Je ne veux pas que notre famille pâtisse du restaurant. » p>
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Lui est un serial entrepreneur qui a bossé dans l’événementiel, à la tête d’une boîte de nuit, dans la restauration déjà mais pour le compte d’un autre… Elle a été mannequin avant d’oeuvrer dans les relations publiques et la communication, son diplôme de journalisme en poche. Au Colonel, c’est Benoît le patron. Malgré sa formation (tardive) en école hôtelière, il s’occupe de la gestion, pas des fourneaux. Anaïs gère la com’, le marketing, l’accueil des clients… L’un d’entre eux (au moins) est toujours présent sur place, pendant que l’autre prend soin de leurs petites filles. « Le resto, c’est notre troisième bébé, dit Anaïs. Pour le moment, on se débrouille comme on peut. Ce n’est pas évident vu l’affluence. On pense à prendre une nounou. » « Pas question, tranche Benoît. Nous sommes en rodage, c’est une question d’organisation et de temps qu’on veut consacrer aux enfants. C’est l’avantage de travailler conjointement : on s’arrange pour qu’il y en ait toujours un de disponible. Je ne veux pas que notre famille pâtisse du restaurant. » p>
Et le couple ? « Au moins nous sommes ensemble, répond Anaïs. Même si c’est parfois un peu chaud car on a des caractères forts… On sait qu’on peut compter l’un sur l’autre, ça nous a renforcés. Je suis totalement dédiée à mon mari, je ne ressens pas le besoin d’aller faire la fête avec mes copines. A deux, on ira beaucoup plus loin que chacun de son côté. » p>
DOMINIQUE ET RICHARD VAN BECKHOVEN, THE FRENCH CAKE COMPANY p>
« NOTRE ENTREPRISE COMPTE PLUS QUE NOS INDIVIDUALITÉS » p>
» C’est une aventure qui commence ! » Dominique et Richard van Beckhoven viennent d’emménager dans leurs nouveaux locaux, au coeur d’un petit parc d’affaires du Brabant wallon. Un changement radical pour ce tandem qui, depuis quelques années, bûchait à la maison. « Il devenait indispensable de séparer notre vie privée de notre activité professionnelle », explique Dominique. p>
Lorsqu’ils se sont rencontrés à Londres, Richard était cadre dans les télécoms et passait son temps aux quatre coins du monde. Après la naissance de leurs enfants, les tourtereaux s’installent à Bruxelles. Lui décroche un poste dans une société internationale et voyage de plus belle. Elle lance The French Cake Company, qui crée des gâteaux sur mesure pour les grandes occasions. L’affaire démarre bien, mais c’est alors chacun pour soi. » Jusqu’au jour où j’ai décidé de changer totalement pour rejoindre Dominique », raconte Richard. Ils choisissent de tout partager. Le boulot, la gestion des kids, la cuisine et les tâches ménagères, à tour de rôle, une semaine sur deux… « Je vois grandir mes enfants, c’est fantastique », se réjouit Richard. Au bureau, les rôles sont bien répartis : elle à la création et au marketing, lui aux finances et à l’administration. « Chacun veille à ne pas se mêler du job de l’autre. On se réunit périodiquement pour les grandes décisions, pour discuter de la stratégie et des problèmes, s’il y en a. Mais en cas d’urgence, peu importe, celui qui est disponible s’en occupe. » p>
Nouveau bâtiment, nouvelle routine. « Richard arrive et part tôt pour s’occuper des petits, note Dominique. Je les conduis à l’école et j’essaie de rentrer vers 19 ou 20 heures pour les voir avant qu’ils soient couchés. Le samedi, on trime tous les deux mais désormais, on ferme le dimanche pour nous consacrer à la famille. » Un « family business » bien rôdé où les clients se bousculent – entreprises, particuliers et personnalités : Stromae, Adamo, Belmondo… Leur clé, c’est le respect mutuel : « Nous avons eu des existences très indépendantes avant, mais aujourd’hui, nos enfants et notre entreprise comptent plus que nos individualités. Ce qui ne nous empêche pas d’essayer de leur donner une place. Richard a recommencé à courir trois fois par semaine, par exemple… » p>
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LIONEL ET LAURENCE RIGOLET, COMME CHEZ SOI p>
« ON VIT ENSEMBLE 24 HEURES SUR 24 » p>
Laurence et Lionel Rigolet se sont rencontrés sur les bancs de l’école hôtelière à Namur, dans les années 80. Elle était la fille du pape de la gastronomie Pierre Wynants, premier triple étoilé Michelin hors de France. Lui n’imaginait pas (encore) arriver un jour à la cheville de cette icône de la fine cuisine. « Nous étions dans la même équipe et Lionel se plaignait de devoir tout faire, tellement j’étais tétanisée, se souvient Laurence. Nous ne sommes sortis ensemble qu’à la fin de nos études. » « C’est toi qui m’a dragué », précise l’intéressé. Depuis, ils ne se sont plus quittés. Ou presque. p>
Laurence rejoint ses parents au Comme Chez Soi, sur les traces de sa mère dans la gestion administrative du mythique établissement bruxellois. Lionel entre en cuisine au bas de l’échelle. Un service militaire et quelques stages dans de prestigieuses maisons suisses et françaises plus tard, les tourtereaux sont fiancés. « Je suis revenu à Bruxelles quarante-huit heures avant notre mariage. Nous nous sommes installés au-dessus de chez ses parents et mon beau-père a commencé à me former pour lui succéder un jour », raconte le chef. « Nous avons reproduit le même schéma que papa et maman, confirme son épouse. Il est aux fourneaux et moi en salle et au bureau. On a toujours bossé à quelques mètres l’un de l’autre. Et on prend toutes les décisions de concert. » p>
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(1) www.vivreettravaillerencouple.com
Colonel, 24, rue Jean Stas, à 1060 Bruxelles. Tél. : 02 538 57 36.
The French Cake Company, 26A, Parc industriel, à 1440 Braine-le-Château. www.thefrenchcakecompany.com
Comme Chez Soi, 23, place Rouppe, à 1000 Bruxelles. www.commechezsoi.be
PAR PHILIPPE CAMILLARA / PHOTOS : CLAUDIA RAYMAT
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