A la découverte du saké, cette boisson japonaise injustement mal aimée

Saké © getty

Un bol de liquide chaud très alcoolisé, vite bu, mal digéré dans un faux resto japonais ou un mauvais boui-boui chinois. Vous pensiez que le saké, c’était ça? Faux! C’est un art subtil, tant dans sa production que dans sa consommation. Les experts vous l’expliquent.

Vous l’avez peut-être croisé au détour d’une recette – « ajoutez deux cuillères à soupe de sherry sec ou de saké  » – ou bu tiède dans une coupelle en accompagnement de sushis et de sashimis. Le saké est un mal-aimé. Et un mal-connu. Difficile pour un Européen de catégoriser ce « vin » à base de riz au goût parfois proche de la bière et à l’aspect du genièvre dilué. Or il connaît un succès grandissant, et s’invite, outre dans les restaurants asiatiques, dans les bars à cocktails tendance ou les adresses gastronomiques classiques.

Le mal nommé

Pour savoir ce qu’est exactement le saké et son mode de dégustation, il convient de se tourner vers son pays d’origine, le Japon. Les premières sources écrites remontent au VIIIe siècle après Jésus-Christ, mais selon certaines, une boisson similaire existait déjà des siècles auparavant. Aujourd’hui encore, la plupart des sakés proviennent de l’empire du Soleil levant. Précisons d’emblée que le terme que nous utilisons communément est galvaudé. « Le mot saké est inapproprié. Traduit littéralement, il signifie « boisson alcoolisée ». Il est donc beaucoup plus large que ce que nous appelons saké. Un Japonais parlera toujours de nihonshu, ce qui évoque un « vin de riz japonais », une dénomination plus pertinente. Nous essayons aussi de privilégier cette version et de l’introduire auprès du public. » Jonas Kellens de Dim Dining, à Anvers, sait de quoi il parle. Lors d’un stage en Australie, il a découvert, en plus de la vie nocturne, la culture street food. « Dans le bar à ramen local, il était tout naturel d’accompagner de saké une soupe aux nouilles ou un riz sauté. La variété de goûts et d’arômes m’a agréablement surpris, et je suis immédiatement tombé amoureux de cette boisson. Depuis lors, j’ai voulu en savoir plus sur le sujet et je me suis immergé dans cette culture. »

A la découverte du saké, cette boisson japonaise injustement mal aimée
© Illustrations Katie Tomlinson

L’abc du saké

  • Le junmai, grain de riz poli à 30%, aux arômes tertiaires, forts et de sous-bois.
  • Le ginjo, grain de riz poli à 40%, plus minéral.
  • Le daiginjo, grain poli à 50%, se rapproche davantage d’un vin naturel.

En outre, il faut distinguer le junmai, saké issu de la fermentation du nojuso, plus industriel et additionné d’alcool, et le futsuu, qui est un saké de table produit avec du riz, mais aussi de la pomme de terre, de l’épeautre ou de la betterave. Ces deux derniers sont majoritairement consommés par les Japonais.

Le taux d’alcool d’un saké peut aller de 6 à 40%. Mais de manière générale les déclinaisons dégustées dans les restaurants ou bars titrent entre 12 et 16%, soit à peine plus qu’un vin classique – qui, avec le réchauffement, gagne en alcool au fil des années.

Un manuel d’utilisation

Une connaissance en profondeur essentielle pour comprendre ce breuvage complexe. Les processus de production du saké sont en effet particulièrement spécifiques et variés, et aboutissent à plusieurs résultats. En outre, le « vin » japonais véhicule de nombreuses idées reçues. D’abord, ce n’est pas à proprement parler un vin, puisqu’il n’est pas fait à partir de raisin, mais bien de riz. « On peut parler d’une triangulation entre le vin, la bière et le saké, nous confie Vivien Blot, saké sommelier et administrateur de Titulus, boutique-bar spécialisée en vins naturels et sakés. Sur le produit fini, en tout cas sur certains jus, on s’approche du lambic mais globalement, on est proche du vin, notamment pour les sakés très minéraux. La saccharification du riz, qui permet de produire le saké, est elle proche de la fermentation, comme pour la bière. Il faut savoir que c’est le seul alcool ayant une double fermentation, ce qui le rend si particulier. »

Mais au fait, comment est-il produit? « Dans le saké, à l’inverse du vin, le terroir influence à 20% le produit fini, et c’est le savoir-faire du maître de chais, ou toji, qui est responsable des 80% restants », poursuit Vivien Blot. Qui nous cite ensuite les quatre ingrédients du saké, ayant chacun un impact direct sur sa qualité: l’eau pure – comme pour la bière -, le riz dont il existe plusieurs variétés, la levure et le fameux koji, soit un champignon particulier, Aspergillus oryzae de son nom scientifique. Paul Morel de l’atelier éponyme anversois et de Bar Nights a déjà plusieurs années de connaissances à son actif en matière de saké. Tout comme Vivien Blot, il est tombé amoureux du breuvage à l’occasion d’une dégustation. Depuis lors, il a réalisé un stage dans une célèbre brasserie, et est parti plusieurs fois au Japon pour s’inspirer et suivre des formations. « Pour moi, c’est la seule façon de comprendre toutes les facettes du produit: amasser des savoirs de première main et les transmettre. Un sommelier ou un barman doit en quelque sorte être un manuel d’utilisation pour ses clients. C’est d’autant plus vrai et nécessaire pour le nihonshu, car tous les textes et explications sont rédigés en caractères japonais. »

A la découverte du saké, cette boisson japonaise injustement mal aimée
© Illustrations Katie Tomlinson

Un long processus

Tout commence donc avec le riz. Il en existe plusieurs sortes spécifiques. « Au départ, on utilisait deux variétés principales, le yamada nishiki et le goyaku mongaku, nous explique encore Vivien Blot. Mais depuis quelque temps, des producteurs favorisent des riz locaux, de terroir, des riz de table. Ces derniers ont des caractéristiques gustatives plus riches, et donnent des breuvages avec davantage de caractère. Ce qui « fait » le saké, c’est son amidon, indispensable pour le processus de fermentation. Pour faciliter la libération de celui-ci, le riz est poli dans de grands moulins. Le pourcentage de polissage va avoir un effet direct sur le goût final. » En effet, comme nous l’explique l’expert de Titulus, plus un grain est poli, moins il y aura de couches pour le travailler, plus le processus de saccharification sera subtil et donnera un saké aux notes florales, d’agrumes. Les riz moins polis donneront une version avec une aromatique plus forte, avec une dominante tertiaire de champignons, de châtaignes, d’humus. Dans le cas du « junmai », 30% de la taille du grain de riz est polie, pour le « ginjo », c’est 40% et pour le « daiginjo », 50%. Ce dernier prête à confusion à la dégustation, avec ses arômes minéraux qui évoquent le vin blanc. Ensuite, le riz est lavé et mis à tremper pendant un certain temps pour récupérer 60% de son poids en eau avant cuisson. C’est alors que la magie peut commencer et que l’Aspergillus oryzae entre en scène. « Ce koji est ajouté au reste du riz cuit, à de l’eau et de la levure et est mis en tonneau de manière à initier la fermentation, explique quant à lui Jonas Kellens. Puis ce brassin est broyé dans des sacs en toile, un peu à la manière des pommes destinées au cidre, jusqu’à l’obtention de ce qu’on peut appeler pour la première fois nihonshu ou saké. » Mais c’est loin d’être terminé. « On peut filtrer le saké avec du charbon de bois pour le rendre plus pur, et il est presque toujours pasteurisé pour faciliter sa conservation. Enfin, comme pour le vin, on peut le faire vieillir en fût pour lui conférer plus de complexité. »

A la découverte du saké, cette boisson japonaise injustement mal aimée
© Illustrations Katie Tomlinson

Par où commencer?

Mais, concrètement, sur quels critères s’appuyer pour choisir un saké? Ce n’est pas simple. Comme la vente de bouteilles dans les petits commerces est encore très limitée, il est préférable de s’y initier dans un restaurant, un bar ou un caviste spécialisé. Féru de vins naturels, l’ADN de Titulus, Vivien Blot a découvert le saké avec un ami sommelier, qui voulait le bousculer dans ses habitudes. Il est ainsi devenu passionné lui aussi et aime transmettre sa ferveur de la boisson japonaise à ses clients. Lors de soirées spéciales saké, au cours desquelles il propose également des pairings mets-saké, ou lors de masterclass. « Ces dernières sont tout de suite prises d’assaut, le bouche-à-oreille fonctionne plutôt bien. Les clients arrivent sans connaître ce jus et se découvrent une passion pour le saké, car ils sont étonnés de sa diversité », affirme-t-il. Et séduits sans doute par la passion communicative du sommelier, qui explique qu’il est nécessaire de décloisonner l’usage du saké, et employer un vocabulaire qui s’approche de celui de l’oenologie. « Il faut parler de région, de texture, de minéralité, poursuit-il. Une fois qu’on a quelques éléments de langage et de choix, on peut mieux comprendre le produit. Et il faut commencer « simple », avec un saké au yuzu par exemple, léger et pétillant, ou un minéral qui se rapproche du vin, puis progressivement faire déguster des versions ayant davantage de caractère. »

La carte du Bar Nights de Paul Morel comporte du saké au verre. La raison en est simple: « Nous essayons de marier chaque édition avec nos plats et nous pensons à plus grande échelle. Il n’est pas rare qu’un verre de cette boisson ou un cocktail offre une meilleure association avec un plat qu’un classique verre de vin. » Et Vivien Blot de renchérir: « On peut très bien commencer un repas par un saké pétillant, partir pour l’entrée sur un yuzu, accorder une viande avec un breuvage plus tertiaire, accompagner le fromage d’un saké chaud et terminer sur un jus aux vertus digestives. »

Pour le profane qui n’a jamais pu goûter ou humer un saké, un profil gustatif pourra s’avérer utile. « Les parallèles qui existent avec le brassage de bière se retrouvent aussi partiellement dans le goût, dit Paul Morel. Un goût prononcé de levure aux notes tantôt sucrées, tantôt plus acides. Nombreuses sont les personnes qui décèlent des arômes d’anis. » Pour Vivien Blot, un aspect est particulièrement agréable avec cet alcool: il relève l’umami, cette fameuse cinquième saveur, d’un plat. « Il fait saliver, le but est vraiment d’atteindre cet état-là, qui sublime un repas. » Bref, le saké expliqué, c’est pas chinois.

Les adresses où le tester

Direction la Cité ardente. A Liège, on en vend une large gamme chez Watch, Smell, Taste. Pour le déguster, ça se passe chez Sugoi, bar à cocktail japonais, et aussi, et surtout, au Suki Bar, un bar… à saké et petits tapas japonisants à l’ambiance manga très sympa. watchsmelltaste.be, Instagram @sugoiliegebar, sukibar.be

Paul Morel s’est formé chez Pure C et The Jane (Anvers). Il officie actuellement au Paul Morel Atelier dans les bâtiments des brasseries De Koninck, en consultance pour l’horeca et des événements privés. Il organise également avec Lasso Wines le Bar Nights où il est possible de déguster du saké autant que des vins naturels et des cocktails qui décoiffent. C’est LA référence en la matière en Belgique néerlandophone. morel.co

Ceux qui souhaitent choisir une bouteille à consommer à domicile peuvent se rendre chez Titulus, pour un conseil sur mesure. Des sakés à prix abordables sont également disponibles dans certains supermarchés. Mais un consommateur averti en vaut deux, mieux vaut se renseigner avant d’acheter à l’aveugle! Titulus, 167A, chaussée de Wavre, à1050 Bruxelles. titulus.be

Laurent de Jaer s’est installé dans l’un des ateliers de Greenbizz avec le projet de produire le premier saké belge, bio et à base de riz d’origine européenne. Son projet Brussels Craft Sake se veut circulaire. Il travaille avec le brasseur Julien Hermans, de la brasserie En Stoemelings. facebook.com/brusselscraftsake

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