A l’ombre des roquettes de Gaza, des temples secrets du chocolat

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Biscuits à la guimauve, petits chocolats en forme de coeur, gaufrettes garnies d’une imitation de Nutella: à l’ombre des roquettes et du mouvement islamiste Hamas, des usines à sucreries vrombissent dans la bande de Gaza, un doux secret longtemps interdit à l’export.

Sur une rue de terre battue, bosselée, dans le centre de Gaza, des gamins s’agglutinent devant une porte entrouverte. Un ouvrier en sort. Les mômes insistent: ils veulent des bonbons. L’ouvrier en bleu rentre dans la manufacture, cueille des échantillons et balance aux enfants de quoi carier leurs dents.

A l’intérieur de l’usine, l’ambiance ressemble à celle de « Charlie et la Chocolaterie », bien que sans Johnny Depp. Une machine moule et presse des gaufrettes fines, véritables « mille-feuilles » à la garniture chocolatée et enrobée de chocolat.

Plus loin, les pétrins tournoient doucement pour attendrir le chocolat.

Mais aucune matière première ne vient de la bande de Gaza: ni le sucre, ni le cacao ou les noisettes. Le sucre provient d’Afrique, le cacao en poudre ce mois-ci d’un intermédiaire en Turquie, comme la pâte de noisette d’ailleurs.

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Tout ce qui entre à Gaza –trois fois la superficie de Paris– est contrôlé par Israël qui impose un blocus à l’enclave depuis qu’elle est tombée en 2007 entre les mains des islamistes du Hamas qui ont depuis livré trois guerres à l’Etat hébreu.

La semaine dernière encore, roquettes, mortiers et ballons incendiaires ont été lancés vers Israël qui a répliqué avec des frappes nocturnes sur l’enclave. Mais les usines de chocolat ont continué à tourner.

Double douane

Gaza n’a pas de port ni d’aéroport. Les ingrédients arrivent à Ashdod, port israélien situé à 35 kilomètres au nord de l’enclave. Or, d’Ashdod à Gaza, il faut s’armer de patience…

« A Ashdod, il faut payer le personnel pour décharger, puis des camions jusqu’à la frontière (israélienne) de Kerem Shalom », explique Waël Ai, directeur de l’usine de sucrerie Al-Arees.

« Là, il faut sortir la marchandise, la faire passer dans un autre camion qui fera environ 500 mètres avant d’arriver à un check-point du Hamas (au pouvoir dans la bande de Gaza, ndlr) où la marchandise sera à nouveau inspectée », continue-t-il.

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« Je paie deux fois les douanes », une fois à Ashdod, où les israéliens perçoivent ces frais pour l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, et une autre à Gaza, souffle l’industriel en blouson en cuir.

Comme Gaza manque d’électricité, M. Ai a installé dans la cour trois énormes blocs électrogènes, gourmands en fioul.

De son usine, sortent des gaufrettes appelées « chatawi » ou « Krembo », des biscuits doublés d’une guimauve et enrobés de chocolat, une pâte au noisette à tartiner baptisée « Natalia » au logo calqué sur celui de la marque italienne Nutella, des chocolats noirs et au lait.

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A Gaza, une boîte de 20 Krembo coûte 5 shekels (1,30 euro) et les 400 grammes de « Natalia » un euro. Avec un taux de chômage de 47%, voire de 64% chez les jeunes, selon la Banque Mondiale, les usines à bonbons ne peuvent relever leurs prix.

Or les industriels disent manger leur profit, notamment en raison des coûts générés par l’impossibilité d’exporter leurs produits: le blocus les autorise à exporter légumes et vêtements, mais pas de produits alimentaires transformés.

« Nous avons des usines de biscuits, de bonbons, de chocolat. Mais rien de tout ça ne peut quitter Gaza », regrette Maher al-Tabbaa, responsable à la Chambre de commerce locale.

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Les Krembo de Bahreïn

« L’absence de ports a augmenté les coûts de l’activité économique pour les Palestiniens », souligne aussi le plan américain pour le Moyen-Orient, appelant à la création d’un port à Gaza.

« On ne peut pas acheminer les produits jusqu’en Cisjordanie. Un marché limité et l’interdiction d’exporter affaiblissent l’économie de Gaza », résume M. Tabbaa.

Mais le 31 décembre 2019, une mini-révolution a cependant eu lieu: pour la première fois depuis l’instauration du blocus, Gaza a pu exporter un produit alimentaire sorti de ses usines: les fameux Krembo.

Destination: Bahreïn.

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Huit tonnes de ces biscuits ont quitté l’enclave, traversé Israël, la Cisjordanie, pour arriver en Jordanie. De là, ils se sont envolés pour le petit royaume du Golfe.

« Ce que j’ai exporté, c’est l’équivalent d’une journée de travail » seulement, nuance Waël al-Wadiya, président de la société Sarayo al-Wadiya, qui a confectionné ces « chatawi volants » de Bahreïn.

« Pour l’instant, notre entreprise compte 150 employés. Mais si nous pouvons exporter le nombre passera à 300 ou 400 », dit-il, espérant pouvoir aussi faire reculer le chômage qui ronge Gaza.

Après de nouveaux tirs de roquettes depuis Gaza, Israël a resserré ses critères à l’export et annulé 500 permis permettant à des commerçants de voyager hors de l’enclave.

M. Wadiya reste optimiste: « Si on peut réussir à Gaza, on peut réussir partout ailleurs ».

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