Trop de vin et trop de vignes: la France va payer pour détruire ses vignobles
Transformer le vin en alcool pur pour faire du parfum ou du gel hydroalcoolique, ce n’était pas arrivé en France depuis la pandémie. L’Etat va dépenser jusqu’à 160 millions d’euros pour détruire les excédents viticoles et enrayer la baisse des prix.
Malgré la sécheresse et la canicule de l’été dernier, la dernière vendange a été correcte et les chais sont pleins. A tel point que les vignerons se demandent comment stocker la prochaine récolte, car les Français boivent de moins en moins de vin: « 130 litres par an par habitant, il y a 70 ans » et désormais 40 litres, observe Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA et « M. vin » du syndicat agricole majoritaire.
Alors dans le deuxième pays producteur de vin dans le monde, derrière l’Italie et talonné par l’Espagne, les viticulteurs appellent l’Etat à l’aide pour transformer le vin excédentaire en alcool pour l’industrie, la pharmacie ou les cosmétiques – on parle de « distillation ».
Ils demandent aussi des aides pour arracher les vignes excédentaires afin de « redimensionner le vignoble aux attentes actuelles du marché », a indiqué mardi l’Association générale de la production viticole (AGPV) qui regroupe la totalité des terroirs viticoles et du secteur de la vigne en France.
Les vins rouges sont particulièrement concernés, avec -15% de ventes dans les supermarchés français en 2022. Les blancs et rosés vont mieux, avec un repli bien plus modéré (autour de -3 ou -4%).
La dernière campagne de distillation remonte à 2020, pour éliminer les surplus dus à la chute de consommation provoquée par le Covid-19.
Ces dernières semaines, les vignerons du Bordelais ont manifesté plusieurs fois pour interpeller le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau. « Allo Fesneau Bobo », « Fesneau, on en a ras le tonneau ! » clamaient des pancartes.
Pour les vignerons près de jeter l’éponge, « il faut réfléchir à une forme de plan social, à des solutions sur mesure », soulignait Vincent Bouges, président des Jeunes Agriculteurs de Gironde.
Dans cette région mondialement connue, les appellations les moins prestigieuses souffrent de l’effondrement des prix et de la surproduction.
Le ministère a annoncé lundi qu’il était prêt à mobiliser « un maximum de 160 millions d’euros en 2023 » pour moitié sur crédits nationaux, pour moitié sur fonds européens, afin de financer une campagne de distillation.
Cette annonce « doit être complétée » pour atteindre 200 millions d’euros et distiller « entre 2,5 et trois millions d’hectolitres », a réagi auprès de l’AFP Jérôme Despey.
C’est « vraiment nécessaire au vu de la situation du marché », a-t-il ajouté, citant les difficultés des bassins de la Gironde, d’une partie de la vallée du Rhône et de certaines appellations du Languedoc.
Plan social massif
La distillation « ne résoudra absolument pas la situation dans le Bordelais (…) ça va faire un peu de beurre dans les épinards, quelques milliers d’euros pour tenir deux, trois mois de plus, mais c’est tout », a estimé Didier Cousiney, président du collectif Viti 33 (33 comme le code départemental de la Gironde).
Ce collectif réclame l’arrachage d’au moins 15.000 hectares de vignes, avec une prime de 10.000 euros par hectare.
Pour financer l’arrachage, les viticulteurs comptent sur un programme de lutte contre la maladie de la flavescence dorée, en mettant en avant les risques sanitaires liés aux vignes laissées à l’abandon.
Au-delà du Bordelais, c’est l’ensemble de la filière viticole qui tremble.
Le vin souffre « trop souvent de campagnes de stigmatisation » sur ses méfaits, affirme Jérôme Despey, viticulteur dans l’Hérault.
« Nous sommes convaincus que va s’amorcer un plan social massif dans notre filière: on craint entre 100.000 et 150.000 emplois menacés dans les dix ans à venir », s’était inquiété mi-décembre le président du Comité national des interprofessions des vins (CNIV), Bernard Farges.
Mais la profession entame sa remise en question. « Il faut conquérir de nouveaux consommateurs, travailler l’image du vin », esquissait Bernard Farges.
« A plus long terme », a prévenu le ministère lundi, « la filière doit aussi se projeter dans les nécessaires adaptations au changement climatique et à l’évolution des demandes du marché » intérieur et… à l’exportation, où les pays rivaux sont de plus en plus agressifs.
Des discussions doivent se poursuivre avec le ministère « d’ici le prochain salon de l’agriculture », a indiqué l’AGPV mardi soir.