Alain Ducasse: les credos et les rêves du chef star

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La toque multi-étoilée multiplie les succès. Sa cuisine de la Méditerranée s’est hissée au sommet de la haute gastronomie tandis que son univers culinaire – restauration, hôtellerie, formation, édition… – n’a cessé de s’élargir. Mais l’un des grands plaisirs d’Alain Ducasse est de toujours dénicher de nouveaux talents aux quatre coins de la planète.

Avant d’avoir été recruté par la Société des Bains de Mer, propriétaire de fleurons de l’industrie hôtelière monégasque, Ducasse, né le 13 septembre 1956, s’était initié auprès de trois grands maîtres : Michel Guérard, Roger Vergé et Alain Chapel. En arrivant à Monaco, il fait de la Méditerranée son terroir, explorant avec une passion inextinguible les moindres recoins de la Provence, de la Ligurie voisine, poursuivant ses explorations jusqu’en Toscane. Son style, il en apporte une première synthèse en 1992, en publiant La Riviera d’Alain Ducasse, inaugurant ainsi une longue série de livres qui l’amèneront à devenir un auteur prolixe, couronné en 2005 du Gourmand Award du Meilleur éditeur de livres de cuisine du monde.

Selon le magazine américain Forbes, les Editions Alain Ducasse représentent aujourd’hui 30 % de ses revenus, la même source le classant sixième fortune des chefs cuisiniers du monde. On ne construit pas un tel empire, basé essentiellement sur des affaires florissantes, sans vision, sans conviction profonde.

Ducasse, qui n’est pas un homme de médias, croit à la formation. En 2009, il fonde Alain Ducasse Formation et Conseil. Aujourd’hui, ses écoles – une pour professionnels, une pour amateurs et l’Ecole Nationale Supérieure de Pâtisserie, qu’il a reprise avec Yves Thuriès – sont appréciées par la profession pour la qualité et la précision des cours qui y sont donnés.

L’hôtellerie aussi éveille l’intérêt de Ducasse. En 1999, il prend la présidence de la chaîne des Châteaux et Hôtels de France, qui deviendra Châteaux et Hôtels Collection avant de fusionner, en 2011, avec Exclusive Hôtels.

Mais l’homme est avant tout un restaurateur, aujourd’hui à la tête de quelque 25 restaurants, dont trois 3-étoiles : Le Louis XV, à Monte-Carlo, Le Plaza Athénée, à Paris, et Alain Ducasse at The Dorchester, à Londres. Il est présent, entre autres, à Las Vegas, Tokyo, Doha (au sein du Musée des Arts Islamiques), Osaka, Saint-Pétersbourg…

A Paris, il reprend l’enseigne Benoît, la modernise et l’internationalise. Il s’offre les restaurants de la Tour Eiffel, dont le très emblématique Jules Verne. Il s’est au passage intéressé à la boulangerie avec son enseigne be boulangépicier et s’apprête à ouvrir une chocolaterie, dirigée par un ancien chef pâtissier du Louis XV.  » Il a toujours de nouveaux projets sur le feu, souligne Thierry Le Saux, un de ses principaux associés de longue date. Il nous surprend à chaque fois. La célébration du 25e anniversaire du Louis XV a été décidée à peine quelques mois avant la date de l’événement. « 

Sa force de caractère, Ducasse la tire sans doute d’un accident grave dont il échappe par miracle. Le 12 août 1984, le Piper dans lequel il a pris place s’écrase non loin de Chambéry. Seul survivant des cinq passagers, il lui faudra une année pour recouvrer une vue normale et réapprendre à se tenir sur les jambes. Il a alors 27 ans et il lui faudra trois ans de plus pour marcher sans soutien.

Fureter, dénicher, goûter, jauger de son palais réputé infaillible… Ducasse est toujours en éveil. Le Lillois Alex Croquet, que le chef multi-étoilé, le premier, a consacré meilleur boulanger du monde, se souvient de ses visites dans son atelier de Wattignies :  » Il décrypte tout, du feuilletage au baba au rhum. Il analyse chaque levain. Il vient aussi avec des projets. Il m’a ainsi envoyé une stagiaire dans l’idée de créer une nouvelle collection d’ouvrages ayant pour thème la transmission d’informations à un élève. Estelle, la stagiaire, est aujourd’hui devenue mon bras droit.  »

Ducasse entend parler d’un cuisinier ? Il prend aussitôt l’avion pour aller le rencontrer, où qu’il soit, afin d’ausculter sur place ses saveurs et talents. Nombre de virtuoses repérés de la sorte, comme l’Italien Gennaro Esposito, le Brésilien Alex Atala ou l’Américain Dan Barber à New York, ont ensuite été invités à oeuvrer au Plaza à Paris, toujours accueillis de manière impériale.

Ducasse, lui, ne cuisine plus. Il confie ces tâches à son armée de fidèles seconds, tel Franck Cerutti qui a rejoint Le Louis XV voici vingt ans déjà. Le chef qui incarne et défend le plus le savoir Made in France a renoncé à la nationalité française, pour devenir Monégasque et se rapprocher plus encore de la Méditerranée qui lui a tant donné.

Ses 5 credos

 » Contribuer à donner ses lettres de noblesse à la cuisine de la Méditerranée. Lorsque, en 1987, le prince Rainier m’a confié Le Louis XV, j’ai décidé de proposer dans ce restaurant une cuisine inspirée des produits et de la tradition des Riviera française et italienne. Pour beaucoup, ce pari était fou : la cuisine du Sud était alors considérée comme anecdotique, incapable de rivaliser avec la gastronomie établie. Je suis fier d’avoir contribué à en montrer la pureté.  »

 » Défendre les producteurs. Le cuisinier n’est rien sans la qualité des produits et il n’y a pas de bons produits sans des producteurs passionnés. Ce message, je le porte avec force partout où je m’installe. La défense d’une agriculture, d’une pêche et d’un élevage respectueux de la planète est un combat essentiel. « 

 » Faire une cuisine de qualité pour tous. A côté de nos restaurants de haute cuisine, nous avons ouvert des brasseries et des bistrots, une boulangerie-épicerie où l’on trouve des sandwichs cuisinés à manger sur le pouce. Nous avons conçu des plats pour les astronautes, travaillé avec une entreprise de restauration collective pour améliorer les repas des restaurants d’entreprises et des cantines scolaires. Nous sommes présents sur de nombreux segments de la restauration avec à chaque fois le même souci : faire la cuisine la meilleure et la plus saine.  »

«  Assurer la transmission du savoir. J’ai ouvert mon premier centre de formation pour les professionnels en 1999 et, depuis, cette activité n’a cessé de croître en France et au plan international. La même année, j’ai sorti ma première encyclopédie, Le grand livre de cuisine. De nombreux ouvrages ont suivi et aujourd’hui beaucoup sont disponibles sous forme numérique. J’accueille en permanence dans mes établissements des dizaines de stagiaires venus du monde entier. Mettre le savoir à disposition de tous est un moyen essentiel pour progresser soi-même et faire progresser l’ensemble de la profession. « 

«  Démontrer la solidarité de tous les cuisiniers. En novembre dernier, pour célébrer les 25 ans du Louis XV, j’ai invité à Monaco plus de 200 chefs du monde entier. Les participants me l’ont dit : l’ambiance était incroyablement chaleureuse et confraternelle. De fait : nos chemins se sont tous croisés à un moment ou à un autre de notre carrière, nous partageons la même passion et les mêmes convictions. Les cuisiniers appartiennent à la même grande confrérie qui donne du bonheur à ses hôtes.  »

Ses 3 rêves d’enfant

 » La cuisine. Ce rêve, je le réalise tous les jours. Mais si une bonne fée pouvait me transporter dans le temps, je me glisserais volontiers aux côtés d’Auguste Escoffier pour partager pendant un moment la vie de ce génial pionnier de la restauration moderne. L’invention de l’organisation de la cuisine en brigade, du consulting pour les hôtels, de l’allègement des sauces, sans parler de ses recettes originales, tout cela constitue une oeuvre tout à fait remarquable. « 

 » Les voyages. Enfant, mon rêve de voyages convoquait Marco Polo : des caravanes qui cheminent pendant des jours et des rencontres exotiques. Plus rien de cet apparat ne survit dans mes déplacements d’aujourd’hui. Mais le bonheur de la découverte de l’ailleurs, lui, est bien là.  »

 » L’architecture. Mon troisième rêve était d’être architecte. Celui-ci ne s’est pas réalisé. Mais j’ai la chance de fréquemment travailler avec des architectes et designers pour créer mes restaurants. Et, bonheur suprême, mon dernier établissement est situé dans le splendide Musée des Arts Islamiques, dessiné par Ieoh Ming Pei à Doha, au Qatar.  »

Jean-Pierre Gabriel

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