Bières trappistes: Jef Van Den Steen nous explique les raisons de leur succès
Expert reconnu, pionnier et micro-brasseur lui-même, Jef Van den Steen est une encyclopédie vivante de la bière belge. Au moment où sort la troisième édition de son ouvrage sur les bières trappistes, Weekend.be en a profité pour lui poser quelques questions sur le passé et le futur de ces bières de tradition dont le succès ne se dément pas.
Pourquoi les moines trappistes ont-ils commencé à brasser de la bière ?
Jef Van den Steen : Au départ, la seule boisson autorisée dans les monastères était l’eau. Avec le temps, les moines ont souhaité de pouvoir disposer d’autre chose. En 1667, les constitutions de Rancé ouvrent une brèche. En plus de l’eau, les moines obtiennent le droit de consommer du lait (il ne faut pas oublier qu’ils sont éleveurs), ainsi que « la boisson la plus populaire de la région » dans laquelle ils se trouvent. Pour cette raison, ils ont commencé à faire du cidre du fait qu’ils se trouvaient en Normandie. Par la suite, ils se sont établis dans des régions viticoles où, tout naturellement, ils ont fait du vin. Après 1789, ils arrivent dans nos contrées. Fidèles à leur devise, Ora et Labora, ils se mettent à faire de la bière.
Au départ, les moines fabriquaient la bière pour leur consommation personnelle… Comment se fait-il qu’ils se sont mis à la vendre ?
Essentiellement pour des raisons économiques. Ce sont les périodes de crise, durant lesquelles les populations migraient, qui leur ont permis de réaliser qu’ils avaient tout intérêt à vendre le produit fini, la bière, plutôt que le froment qu’ils récoltaient.
Comment peut-on expliquer les différences énormes qui existent entre les différentes brasseries trappistes ? Par exemple entre Chimay et Westvleteren, pour prendre deux extrêmes…
Chimay est la plus grande brasserie trappiste au monde. Elle se situe dans une région dont la situation économique est difficile. On peut affirmer que le développement de la Chimay est intimement lié aux besoins rencontrés sur place : ils brassent beaucoup pour créer de l’emploi. Chimay joue un véritable rôle de moteur économique afin d’entraîner toute une économie locale dans son sillage. Ce n’est pas du tout le cas pour Westvleteren, implanté dans une région riche, qui peut donc se contenter de rester petit.
On assiste de plus en plus souvent à des dégustations d’Orval dit « millésimé ». Est-ce que cela a un sens ?
Un Orval de 10 ans, c’est… une gueuze. Il y a trois goûts présents dans l’Orval : le sucre, l’acidité et l’amertume. Avec le temps, l’amertume diminue, du coup l’acidité prend le pas sur le reste et on s’approche d’une gueuze. Je pense que boire un Orval de plus de 2 ans n’a pas de sens. L’idéal, c’est de le consommer après 6 mois, au moment où l’action des levures cultivées est remplacée par celle des levures sauvages. Il y a alors cette petite acidité très plaisante en parfait équilibre avec le sucre et l’amertume.
Pourquoi ces bières de tradition sont-elles passées de 6 à 11 en relativement peu de temps ?
Pour être exact, il faudrait parler de 11 trappistes et demi… La Mont des Cats est brassée par Chimay, je la considère comme une trappiste sans logo. Les bières trappistes sont en pleine expansion, c’est un fait et cela n’est pas prêt de s’arrêter. Vu que les communautés vieillissent et diminuent, la bière apparait de plus en plus comme une bouée de sauvetage. C’est un produit fort avec une belle renommée qui permet de remettre les finances en équilibre sans investir massivement. Il suffit de voir la trappiste italienne Tre Fontane qui remet ses comptes à flots avec une production de seulement 20 hectolitres de brassin par semaine. D’autres monastères vont suivre le mouvement, c’est certain. Selon moi, la liste des bières trappistes devrait rapidement compter deux références supplémentaires. Mais ne comptez pas sur moi pour vous dire lesquels…
Propos recueillis par Michel Verlinden
Les Trappistes – Bières de tradition, Jef Van den Steen, Editions Racine, environ 30 euros.
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