Boudin de betteraves, pastrami de céleri… La charcuterie végétale va vous sécher
Portées par les questions environnementales et l’essor des régimes flexitariens, les salaisons végétales séduisent un nombre croissant de chefs et de foodies. Loin d’être insipides et anecdotiques, ces créations d’un nouveau genre épatent par des saveurs intenses qui doivent énormément à un champignon magique: le koji.
Si comme nous vous scrutez les réseaux à la recherche de nouvelles expériences gustatives, vous n’avez pas pu passer à côté du phénomène de la charcuterie végétale. Difficile de ne pas saliver en faisant défiler boudin de betterave, pastrami de céleri-rave et autres carottes affinées. En marge d’une structure aboutie comme celles des Suisses de Pure Taste, l’une des figures les plus visibles de ce mouvement, notamment en raison de sa présence sur Tik Tok et Instagram, est française. Il s’agit de Renoir Gilbert, co-fondateur avec Jérémy Emsellem, d’Ave Racine.
Charcuterie végé de chef
Ancien chef au Nomicos à Paris, ce vingtenaire s’est installé à Marseille pour y mener une série d’expériences culinaires décomplexées. Très vite, les salaisons végétales se sont imposées à lui, et à ceux qui les ont goûtées, comme une évidence gustative, qu’il s’agisse de ses carottes affinées aux baies de Genièvre et au poivre, voire de ses betteraves travaillées au paprika fumé – qui ne sont pas sans faire penser au chorizo.
Le résultat s’avère tellement convaincant que, depuis, le duo s’est fixé pour mission d’inscrire « la charcuterie végétale au panthéon culinaire ». Rien que ça? Oui et ce n’est pas la levée de fonds sur Ulule, élue meilleure campagne food 2024, qui les en a dissuadés.
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Cela fait un moment que les chefs taquinent le genre. En revanche, ce qui est nouveau, c’est d’ambitionner une production semi-industrielle. Avant lui, il y a eu de l’autre côté de l’Atlantique, quelqu’un comme Jeremy Umansky. Installé à Cleveland, dans son restaurant Larder Delicatessen, ce talent fait partie des pionniers du mouvement, il a même contribué à en livrer les bases théoriques.
Des chefs belges sont également montés dans le train. On pense bien sûr à Nicolas Decloedt (Humus x Hortense, à Bruxelles) ou encore à Seppe Nobels, connu pour sa cuisine végétale engagée au Graanmarkt 13 (à Anvers). Ces deux pointures n’ont pas hésité à explorer les possibilités des légumes fermentés dans le cadre de leur restaurant respectif.
Guide suprême
A Bruxelles, une petite adresse créée en 2017 compte parmi les précurseurs: Fermenthings. A sa tête deux experts de la fermentation, Yannick Schandené et Andy Muggli, retracent la genèse de cette petite révolution. « La charcuterie végétale existe depuis 3-4 ans mais il y a une véritable effervescence depuis 6 mois », commente Schandené. Au départ du phénomène, un ouvrage-clé intitulé « Koji Alchemy » paru en 2020.
Ecrit par Jeremy Umansky, évoqué plus haut, et Rich Shih, il s’agit d’un guide incontournable aux allures de véritable bible quant à l’utilisation du koji, un ingrédient secrétant des enzymes (les amylases) utilisé depuis des siècles en cuisine japonaise, que ce soit pour le saké ou le miso. L’ouvrage explore les nombreuses applications de l’« aspergillus orizae », le nom scientifique de ce champignon, depuis la fermentation des légumes à la création d’alternatives végétales à la viande. Illustré d’exemples concrets et de recettes, il s’adresse autant aux professionnels qu’aux amateurs curieux de repousser les frontières de l’umami.
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Fermenthings s’est lancé dans l’aventure des charcuteries végétales dès avril 2020. « Nous en produisons tous les deux mois, explique le duo. C’est un procédé très technique avec des étapes qu’il faut suivre très précisément. Au total, le processus s’étend sur 7 jours. Pour les betteraves, par exemple, il est essentiel de les sélectionner de taille uniforme. Ensuite, elles doivent être cuites « al dente », salées, fumées, puis placées dans une chambre de fermentation spécifique appelée « muro ». Cette dernière, réglée à 32 °C et 70 % d’humidité, permet l’inoculation du koji.
Légumes racine
Et le résultat? Selon Yannick Schandené, le verdict est sans appel: « C’est vraiment bluffant… fort heureusement, car le processus de production est particulièrement exigeant. On se trouve sur des notes d’une incroyable intensité et complexité gustative. Et en termes de texture, les betteraves ne sont pas loin, à condition de les couper finement, de la viande des Grisons. »
Outre le légume aux notes terreuses, le tandem travaille également le daikon, la carotte, la pomme de terre frite. « Ce sont les légumes racines qui se prêtent le mieux à ces transformations car ils affichent une texture qui résiste à l’ensemble du process », précisent en chœur les deux spécialistes qui conditionnent leur production sous-vide.
Les deux associés de Fermenthings confirment l’intérêt croissant pour la charcuterie végétale, mais soulignent un obstacle majeur à sa commercialisation : son coût. « Nous en produisons pour les clients qui en font la demande, mais, malheureusement, avec une marge très faible, voire insuffisante compte tenu du travail nécessaire. Il faudrait pouvoir produire à une échelle dix fois plus grande – environ 150 kg de betteraves par lot – pour atteindre une réelle rentabilité. » Cette économie d’échelle permettrait de proposer les salaisons végétales à un prix d’environ 20 euros le kilo, contre les 45 à 50 euros nécessaires pour un plan financier viable à petite échelle.
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