Chateauneuf-du-Pape, la vigne star

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Chez les Perrin, on est viticulteurs de père en fils depuis plus d’un siècle. A Beaucastel, dans la vallée du Rhône, la famille s’enivre d’un vaste domaine où grandissent les meilleurs crus de l’appellation Châteauneuf-du-Pape.

 » Ce sont un peu nos rolling stones à nous », sourit Matthieu Perrin en ramassant l’un des gros cailloux ronds qui parsèment les vignobles du Château de Beaucastel, à quelques kilomètres d’Orange.  » Ces galets forment une couche de près d’un mètre de profondeur, qui libère pendant la nuit la chaleur du soleil méditerranéen accumulée au cours de la journée. Ce sont eux qui déterminent en grande partie notre terroir. Le Rhône les a arrachés aux Alpes il y a plusieurs millions d’années pour les déposer ici, sur une couche de terre molasse marine, constituée d’un mélange de sable et d’argile.  »

Âgé de 31 ans, Matthieu forme avec sa soeur, ses frères et ses cousins la cinquième génération de viticulteurs de la célèbre famille provençale. Lorsqu’ils ont fait l’acquisition de Beaucastel en 1909, à l’époque où la majeure partie des vignobles d’Europe venait d’être ravagée par le phylloxéra, les Perrin ont décidé de se lancer dans la culture des olives tout en plantant de nouveaux ceps.

C’est Jacques, le grand-père de Matthieu, qui a eu l’idée de replanter sur son domaine la totalité des treize cépages classiques autorisés dans la fabrication du Châteauneuf-du-Pape (mourvèdre, grenache, syrah, cinsault, vaccarese, counoise, terret noir, muscardin, clairette, picpoul, picardan, bourboulenc et roussanne), alors que la plupart des viticulteurs de la région optaient pour le grenache et sa forte teneur en alcool. La maison reste d’ailleurs l’une des seules à utiliser la totalité de ces cépages dans ses prestigieuses plantations…

Pas si fada !

Jacques Perrin est aussi celui qui, dès 1954, introduit la culture biologique dans ses vignobles. Et qui, une dizaine d’années plus tard, décide d’aller encore plus loin en s’essayant à la biodynamie, une méthode naturelle (bien que controversée) qui tient compte des effets de la lune sur la croissance, la taille et la récolte.

Ses collègues le traitent de fada, mais sa stratégie s’avère manifestement payante : aujourd’hui encore, les vins de Beaucastel font partie de la crème des Châteauneuf. Jusqu’à son décès en 1978, Jacques s’investit corps et âme dans le développement de son domaine. Son objectif : exploiter les particularités de chaque millésime pour en faire un grand vin qui exprime pleinement la richesse de son terroir.

 » Les fraises sauvages sont peut-être moins belles que celles qui ont grandi dans une serre, mais elles sont mille fois plus savoureuses. Il en va de même pour les vignes : pour obtenir un vin de caractère, il faut avant tout que le raisin ait du goût « . Aujourd’hui, c’est à ce pionnier qu’est dédiée la cuvée de prestige de la maison, Hommage à Jacques Perrin, un vin fabuleux tiré principalement de vénérables ceps de mourvèdre, et dont la production se limite aux années exceptionnelles.

Un peu d’histoire

Dans le joli château attenant au domaine (dont les parties les plus anciennes remontent au 17e siècle), sur l’un des murs du petit salon, une inscription éloquente surplombe le manteau de la cheminée : Septanbre 1678 Le Roy. Et sur le mur opposé, les armoiries du maître de Beaucastel sont taillées à même la pierre.  » Cela fait référence au document de Louis XIV qui marque le début de l’histoire du vignoble « , raconte Matthieu Perrin.

 » Bien que protestant, le seigneur de Beaucastel était assez proche du roi, qui venait régulièrement s’adonner avec lui aux plaisirs de la chasse. Une telle amitié n’étant évidemment pas de bon ton pour un souverain catholique, Pierre de Beaucastel a été prié de se convertir… en échange d’une centaine d’hectares de terres autour de sa maison et du droit de prélever des accises dans la petite ville voisine de Courthézon. Il n’a évidemment pas eu besoin d’y réfléchir longtemps… « .

C’est ainsi que le domaine de Beaucastel est devenu -et demeure à ce jour- l’une des plus grandes parcelles d’un seul tenant de l’AOC Châteauneuf-du-Pape.

Vieux grenache à Gigondas

En-dehors de Beaucastel, la maison Perrin produit d’excellents vins d’appellations Gigondas et Vinsobres. En 2008, la famille a ainsi racheté le Clos des Tourelles, un ancien cloître du 17e siècle niché en contrebas du petit village médiéval de Gigondas, sommeillant à l’ombre des Dentelles de Montmirail. Il s’agit du dernier vignoble de la région à être entièrement entouré de murs.

Les 10 hectares détenus par les Perrin sont plantés principalement de vieux ceps de grenache, dont quelques pieds âgés de plus d’un siècle et, donc, antérieurs à l’invasion du phylloxéra… Un cas unique dans la région ! La production est modeste : chaque année, le terrain offre environ 1 500 bouteilles d’un très beau vin corsé, judicieusement baptisé Vieilles Vignes.

D’autres vignobles, au-dessus du village, accueillent depuis peu du syrah, une variété plus précoce qui devrait apporter aux assemblages sa fraîcheur acidulée (une mesure qui vise notamment à anticiper les effets du réchauffement climatique). A cause de la structure du sous-sol et des pentes abruptes, qui ne sont pas sans rappeler le Priorat espagnol, ils ont dû être aménagés en terrasses. Le labeur s’y fait donc à pied ou à cheval…

Pour déguster tous ces beaux flacons, il n’existe pas de meilleur endroit que le restaurant L’Oustalet, installé dans une vieille maison de maître du coeur de Gigondas, et qui appartient lui aussi à la famille Perrin. Le chef Laurent Deconinck est passé maître dans l’art de marier harmonieusement les mets et les vins (ceux des Perrin, bien sûr, mais pas uniquement).  » Le menu peut varier, mais pas les vins. Ce sont ces derniers qui me servent de point de départ pour créer des plats qui mettent en valeur toutes leurs qualités. Nous proposons essentiellement des vins de plaisir, qui fleurent bon le soleil du Midi et portent en eux toutes les saveurs de la Provence. « 

Le Perrin Réserve Rouge 2010, Côtes du Rhône, est ainsi servi avec des caillettes, une spécialité locale composée d’une crépinette farcie d’agneau, de bettes ou d’épinards, et d’herbes provençales. Les truffes figurent également en bonne place parmi les spécialités. Mention spéciale au mariage sacrément réussi d’un veau à la truffe noire et de deux vins de Gigondas aux tannins fins : un Clos des Tourelles 2010 et un La Gille 2010… signés Perrin !

Culture de la truffe

La famille possède encore 70 hectares sur l’appellation Vinsobres, dans l’extrême nord de la région du Rhône-Méridional, à proximité de Vaison-la-Romaine. Installés sur les collines des Cornuds, un joli village paisible où le temps semble s’être arrêté, les vignobles en terrasses (situés à près de 300 mètres d’altitude) sont particulièrement propices à la culture du syrah, qui y conserve la fraîcheur et la finesse qu’il a tendance à perdre sous les climats méridionaux. On y cultive toutefois du grenache, source de vins généreux mais jamais lourds, aux beaux arômes de garrigue.

Dans cette magnifique région, de décembre à février, il ne se passe pratiquement pas un jour sans que les chasseurs de truffes ou les caveurs partent avec leurs chiens à la recherche du fameux  » or noir  » (Tuber melanosporum), un produit particulièrement recherché qui fait l’objet d’un fructueux commerce. Si autrefois, dénicher le précieux champignon souterrain entre les racines d’un chêne était une affaire de flair et de patience, il existe aujourd’hui de véritables champs truffiers, c’est-à-dire des jeunes arbres volontairement infectés par le mycète… La technique : intervenir rapidement lorsqu’un chien repère une truffe, car les bêtes en raffolent tout autant que les gourmets de la région !

En mars dernier, Brad Pitt et Angelina Jolie annonçaient la sortie d’un premier vin de leur cru, produit en collaboration avec le viticulteur biologique Perrin. Le rosé Miraval 2012, Côtes de Provence, s’ensoleille sur le magnifique domaine dont les stars ont fait l’acquisition en 2008, dans la région du Var, et où elles séjourneraient une bonne partie de l’année. Brad Pitt n’a jamais caché sa passion pour le vin. Il suit de très près la production de son  » bébé  » en visant l’excellence, tandis que Perrin s’occupe de la vinification et de la commercialisation.

Situé sur le territoire de Correns (le premier  » village bio  » de France), le vignoble possède un écosystème qui, d’après les connaisseurs, en ferait un terroir aux qualités exceptionnelles. Le rosé Miraval est fabriqué à partir de cinsault, grenache et syrah. Il affiche une délicate robe perle de rose, possède un goût floral mais intense, ainsi qu’une grande finesse qui se marie particulièrement bien avec des plats épicés ou asiatiques (environ 15 euros dans le commerce).

Le premier vin blanc signé Pitt-Jolie & Perrin devrait être prêt d’ici l’été, le premier rouge cet automne. Reste à noter que les vedettes américaines ne sont pas les seules à s’essayer à la viticulture : le pilote de formule 1 Michael Schumacher possède un domaine un peu plus loin, Gérard Depardieu dans le Languedoc et la région de Bordeaux, et Johnny Hallyday dans l’Hérault… L’ivresse du succès ?

SE RENSEIGNER

Deux sites web fourmillent d’informations : www.familleperrin.com et www.beaucastel.com

Y ALLER

Le Château de Beaucastel est situé dans le nord de la région du Rhône-Méridional. La ville la plus proche est celle d’Orange, accessible en train (via Avignon, voir www.voyages-sncf.com) ou en voiture (environ 930 kilomètres depuis Bruxelles).

RESERVER

Pour visiter le domaine, il faut obligatoirement prendre un rendez-vous. Tél. : 00 33 4 90 70 41 00. Mail : familleperrin@beaucastel.com

A Gigondas, la famille Perrin possède plusieurs vignobles. Dans l’un d’eux, le labeur se fait encore  » à l’ancienne « .

Le domaine est le seul à utiliser la totalité des 13 cépages autorisés dans la création du Châteauneuf-du-Pape. Le culture étant bio, le résultat est tout simplement somptueux. A savourer, par exemple, dans le restaurant L’Oustalet appartenant aux Perrin…

Par Sabine Lamiroy

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