Le saké est plus hype que jamais - Getty Images
Le saké est plus hype que jamais - Getty Images

Comment le saké est passé de tord-boyaux à boisson ultra branchée

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Longtemps, une réputation injuste de tord-boyaux lui a collé à la peau, elle-même indissociable de celles, dénudées, qui s’affichaient au fond des gobelets une fois le saké versé en fin de repas au restaurant chinois. Mais aujourd’hui, l’alcool emblématique de l’Empire du Levant jouit d’une renaissance méritée, de l’apéro au dessert.

Au moment de présenter sa sélection en accompagnement du dessert, le sommelier de chez Arabelle Meirlaen, dont l’étoile Michelin brille sur Marchin, a les yeux aussi pétillants que le contenu de la bouteille qu’il amène à table l’air espiègle. Là où normalement, lui et ses pairs se font un plaisir de détailler le moindre précieux nectar du producteur au cépage, ici, il invite les dîneurs à plutôt prendre la parole et deviner ce qu’ils boivent. Bulle prononcée tout en restant élégante, délicates notes de poire et en arrière-bouche, comme une touche de fermentation qui vient chatouiller les papilles… Un cidre? Que nenni, sourit-il, avec le triomphe bienveillant de celui qui a réussi à créer la surprise auprès d’une nouvelle table: du saké!

En l’occurence, du Mio Dry, niché dans une bouteille bleu Klein du plus bel effet, et présentant l’avantage non négligeable d’être « aussi joli que délicieux » avance-t-on du côté du Japan Centre, institution du coeur de Londres dédiée au commerce du meilleur de ce que l’archipel nippon a à offrir.

Et de préciser encore que ce saké pétillant « a été produit selon la méthode de brassage traditionnelle, n’utilisant que du riz japonais, du koji de riz pour la fermentation, de l’eau fraîche et un peu de gaz » et « possède un arôme sucré unique et une saveur fruitée rafraîchissante qui vont très bien avec les bulles – à déguster fraîches, quelle que soit l’occasion ».

À la place du champagne, donc? Parfaitement: « Au Japon, sur le podium, les gagnants des courses de F1 s’arrosent de saké pétillant plutôt que de champagne ! Comme pour le saké ordinaire, il existe différents types et classes de sakés pétillants. Il y a donc un saké pétillant pour toutes les envies, toutes les occasions et tous les repas ».

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Le saké, l’incontournable des meilleures tables

Cela tombe bien, car justement, là où il n’y a pas si longtemps encore, on ne buvait en Europe qu’un ersatz de saké peu raffiné, servi non pas en accompagnement de sushis, lesquels se savouraient alors principalement dans les destinations plus cosmopolites, mais bien en fin de repas au restaurant chinois, aujourd’hui, le saké est de toutes les fêtes et des meilleures tables.

Le saké est la boisson la plus tendance du moment
Le saké est la boisson la plus tendance du moment © Getty Images

À Paris, à quelques pas seulement de la Maison du Saké, le Golden Promise propose ainsi un joli éventail de cocktails à base d’alcool de riz, tandis qu’à Bruxelles, le manque laissé par la fermeture du Saké Bar, où les libations s’accompagnaient d’otsumami exquis, soit la réponse japonaise aux tapas. Qu’à cela ne tienne: à Anvers, la déferlante saké a pris ses aises à l’ombre de l’estuaire, entre festival dédié et académie au sein de laquelle apprendre tous ses secrets.

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Son jeune fondateur, Jonas Kellens, avait déjà attiré l’attention des épicuriens avec DIM, son restaurant de haute-cuisine japonaise où, déjà, le saké occupait une place de choix à la carte, avant d’obtenir son diplôme de sommelier dédié au saké et de lancer Shinshu, son entreprise dont le nom désigne en japonais la nouvelle vague de l’alcool de riz ancestral.

Un engouement surprenant

Signe des temps, Fabien Humbert et Youlin Li ont publié récemment chez Hachette un beau livre sobrement intitulé, vous l’aurez deviné, Saké, qui se propose en près de 300 pages d’offrir tout à la fois un voyage culturel, une initiation gustative, les bases d’accords mets-sakés réussis, des secrets de fabrication… Bref « un livre complet sur cet alcool millénaire, dont la richesse gustative et les codes de fabrication sont intimement liés à la culture japonaise et qui séduit un public de plus en plus large ». Une promesse qui renvoie à la question au coeur de ce reportage : comment expliquer ce formidable engouement?

Surtout que cet élan de popularité sur le vieux continent est d’autant plus surprenant qu’il s’accompagne d’une consommation en baisse chez les Japonais, celle-ci ayant été divisée par trois depuis son pic dans les années 70. Et ce alors même qu’à un océan d’écart, rien qu’entre 2016 et 2017, les exportations de saké vers la France ont augmenté de 36%, l’Hexagone étant aujourd’hui le deuxième importateur européen derrière l’Allemagne.

« En 2016, la production de saké au Japon représentait environ 606 000 kilolitres, seules 3% de cette production se destinant aux exportations. Cependant, l’exportation du saké à l’international est en croissance depuis le début des années 2000. Le saké s’exporte aujourd’hui dans plus de 60 pays, dont 5 d’entre eux représentent 70% du volume d’exportation: les Etats-Unis, qui représentent OE des exportations totales, la Chine, Taïwan, la Corée du Sud et Hong-Kong » explique-t-on du côté de la plateforme d’exploration journalistique Alcimed.

Nouveau souffle

Ces dernières années ayant vu un attrait croissant pour les boissons fermentées, kombucha et kefir en tête, il semble logique que leur pendant alcoolisé bénéficie lui aussi de son heure de gloire, d’autant qu’à l’image du thé matcha, le rituel de dégustation qui l’entoure est photogénique à souhait et parfaitement adapté aux demandes de l’époque.

Soit des expériences aussi agréables à vivre qu’à partager avec sa communauté une fois passées sous le filtre désiré. Par exemple, en sirotant du Kinapaku-iri, un saké infusé de paillettes d’or autrement plus chic que les gobelets aux fonds dénudés d’antan que vous buviez d’un coup en grimaçant. Ou bien en faisant une entorse à la tradition et en optant pour une bouteille de Wakaze, du saké français à l’esthétique aussi travaillée que son profil gustatif, sa version pétillante étant notamment relevée de notes de yuzu pour se marier le plus harmonieusement possible avec des huîtres.

Wakaze ou la fermentation à la française © DR

Et il n’y a pas que des start-ups ayant Levant en poupe qui se lancent: alors qu’il était chef de cave des champagnes Piper-Heidsieck, Régis Camus, s’était prêté au jeu de l’assemblage d’un saké de luxe pour la marque HeavenSake, tandis que la production en édition ultra limitée d’un saké estampillé Pernod Ricard et maturé dans d’anciens fûts de whisky Chivas Regal avait été vendue en moins de temps qu’il n’en faut pour dire kanpai!

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Et Yann Rousseau, journaliste pour Les Echos, de voir-là un des éléments du tryptique qui ont permis de construire le surprenant retour en force de cet alcool incompris: une nouvelle identité faite de branché et haut de gamme, une opération séduction du monde de la nuit et une diversification de la production pour toucher un plus grand panel de palais. Voilà pour le tiercé gagnant, et si vous décidez d’y goûter, sachez qu’il se déguste non pas, contrairement à la croyance populaire, chaud dans un petit gobelet de porcelaine, mais bien frais (pas froid) dans un verre à vin blanc. Et avec sagesse, évidemment…

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