Comment réaliser un ceviche parfait: les conseils de ceux qui le cuisinent à Bruxelles

Ceviche
© Anais Lesy
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Chaque saison, Michel Verlinden traque la meilleure préparation d’un classique du répertoire gastronomique. Cet été, zoom sur le ceviche.

Visualisez une plage de sable blanc face à des eaux turquoise. Transportez-vous plus précisément à Cayo Azul. Comment ne pas craquer pour ce banc sablonneux qui, avec plusieurs autres, ponctue le magnifique parc national de Morrocoy au nord-ouest du Venezuela?

La chaleur est accablante et vous vous trouvez à un jet de coquillage de la ville de Chichiriviche dont vous appréciez l’atmosphère nocturne. Allongé dans un transat, vous vous rappelez la veille en vous mordant les doigts bronzés de n’avoir pas su dire non au pisco sour de trop.

Heureusement, l’appel d’un vendeur ambulant vous ramène à la vie. Dans son chariot, l’homme propose langoustes, moules au vinaigre, «vuelve a la vida» – antidote tomaté garni de mollusques dont les contours apaisent les lendemains douloureux – ou encore poisson cru préparé minute. Cet imaginaire est celui qui surgit lorsque l’on interroge Jean-Jacques Francès sur le ceviche, ce feu d’artifice gustatif.

Un petit goût de Venezuela au coeur de Bruxelles

Ce jeune homme – il n’a que 25 ans – officie en compagnie d’Alexandru Sapco, à La Bonne Chère, une discrète adresse de qualité située en plein centre de Bruxelles. «Au Venezuela, nous préparons la marinade en incorporant des restes, les parties fibreuses que l’on trouve au sommet du filet de poisson par exemple, ou même les arêtes. Nous utilisons aussi du céleri et de l’oignon rouge. Certains ajoutent du fumet de poisson pour en faire une véritable sauce», révèle le cuisinier débarqué en Belgique.

Originaire d’Isla Margarita, une île au nord-est de Caracas, l’intéressé ne pouvait pas faire l’impasse sur le célèbre plat latino-américain à la carte de son restaurant. Il en livre d’ailleurs une version gastronomique à l’aspect rougeâtre en raison de l’utilisation des épluchures et des chutes d’oignons rouges.

Signe particulier? Un petit verre accompagnant l’assiette donnant à goûter le fameux «leche de tigre»… puisque tel est le nom officiel de la marinade qui donne tout son relief et sa fraîcheur au poisson cru. Il reste que le ceviche de La Bonne Chère fait valoir d’autres atouts comme la présence d’épis de maïs séchés et grillés au chalumeau.

Francès de préciser: «Il est important de contrebalancer l’acidité du citron vert lorsqu’on prépare un ceviche, j’aime pour ma part incorporer une crème d’avocat, qui est clairement une influence mexicaine, et du fruit de la Passion mais la patate douce est également une piste intéressante.»

Gastromanie

La Bonne Chère n’est pas la seule adresse à visée gastronomique s’étant fendue d’une relecture du ceviche. A Bruxelles, une table prisée comme Uma s’y colle aussi. Avec une cuisine estampillée nikkei, dont on sait désormais qu’elle panache les influences péruviennes et japonaises, la cheffe Aurélie Kluyskens ne pouvait oublier le ceviche. «C’est l’un de nos plats signature», précise celle qui a fait ses armes au restaurant ‘t Zilte du chef Viki Geunes et au Chalet de la Forêt à Bruxelles.

‘Je préfère ne pas laisser mariner les cubes de poisson parce que je veux préserver le côté cru de la chair.’ – Aurélie Kluyskens

A la carte depuis une bonne année, le mets a évolué au fil du temps. La dernière version qui s’apparente à un véritable tableau égrène riz sauvage soufflé, pickles d’oignons rouges et leche de tigre sous forme d’espuma vaporisée au siphon dans l’assiette. La texture mousseuse du jus s’accompagne aussi de pousses de coriandre, de rondelles de jalapeño rouge, de fleurs d’œillet et d’une huile réalisée à partir de zestes de combawa.

La cheffe explique comment elle réalise sa marinade. «La base consiste en du citron vert, du gingembre, de l’ail, du piment, du sel et un lait de coco très léger. Le tout est passé au mixer. A cela, on ajoute un peu de gélatine pour pouvoir la travailler au siphon.»

Côté poisson, Aurélie Kluyskens a fait le choix d’un poisson japonais gras, le hamachi, dont l’équivalent méditerranéen est la sériole. Elle précise: «Je préfère ne pas laisser mariner les cubes parce que je veux préserver le côté cru de la chair. Je trouve qu’un poisson blanchâtre dans l’assiette n’est pas aussi appétissant visuellement.»

Sans oublier une crème de patates douces cuites au four pendant 45 minutes à 1 heure à 160 °C. Dès qu’une sorte de caramel s’est formé à la surface des tubercules, ceux-ci sont épluchés et mixés avec du sel. Sur l’assiette, cette crème prend la forme de points apposés à la façon d’un dripping ultragourmand.

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Remonter aux origines du mets

Si le ceviche inspire de nombreux restaurants haut de gamme qui le réinterprètent à l’envi, qu’en est-il des origines de ce plat populaire? Du Mexique au Chili, les différents pays d’Amérique latine et centrale déclinent leur propre version. Il reste que tout le monde s’accorde néanmoins sur le fait que le «vrai» ceviche est péruvien.

Ce n’est pas Pierre Lefèvre qui dira le contraire, lui qui est parti se former un an à Lima pour l’apprendre juste avant d’ouvrir son King Kong, une adresse bruxelloise ayant désormais fermé ses portes. Il raconte ce séjour dans le quartier de Miraflores. «J’avais loué les services d’un chef péruvien avec qui je faisais le marché. C’est en sa compagnie que j’ai appris les arcanes de la cuisine péruvienne, notamment le fait que c’est avec de la sole que l’on prépare le ceviche. Cela dit, ce sont des soles gigantesques dont on ne trouve pas l’équivalent sous nos latitudes. Ce qui se rapproche le plus, c’est finalement le bar qu’il convient de couper en cubes bien nets», se souvient l’intéressé.

La marque ultime du ceviche péruvien? L’aji limo, ce petit piment puissant au goût de citron – il est appelé «Lemon Drop» en anglais – qui fait toute la différence pour le connaisseur. Il faut aussi pointer l’interdiction d’incorporer du fruit de la Passion, de la grenade ou de l’avocat. En revanche, la présence de croquant sous la forme de «cancha serrana» – une garniture de maïs grillé dont la particularité est qu’il ne transforme pas en pop-corn lorsqu’on le chauffe – est un véritable plus. Fraîcheur du citron, côté sucré de la patate douce, croquant du maïs, piquant du piment… toutes les cases sont cochées pour obtenir un plat estival idéal.

© Anaïs Lesy

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