Coquillages et crustacés: notre guide gourmand pour acheter le meilleur du poisson (et éviter la surpêche)

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Où et comment acheter des produits de la mer à l’heure de la surpêche ? Notre analyse et guide pratique pour ne pas se retrouver dépourvu devant l’étal du poissonnier.

A moins de ne vivre que dans les musées et les livres, la mer n’apparaît plus aujourd’hui houleuse et mystérieuse comme on peut la fantasmer face aux toiles du peintre Thierry De Cordier. Pour qui s’est un minimum penché sur le sujet, le tableau est bien sombre.

Les fléaux qui colorent les contours de cette marine apocalyptique ? Acidification des océans, vortex de déchets plastiques, prolifération des espèces invasives… Les flots bleus se sont transformés en une « soupe plastique toxique ». A la pollution intensive s’ajoute la surpêche qui déstabilise totalement ce précieux milieu.

Cette pêche intensive – comme il est rappelé dans Seaspiracy, un documentaire Netflix de 2021 ayant fait l’effet d’un électrochoc – a pris l’allure d’une véritable « guerre contre l’océan ». Celle-ci est menée par des senneurs aux allures d’abattoirs flottants dont on sait qu’ils ont contribué à réduire les populations marines de 49% entre 1970 et 2012.

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Les récifs de la pêche industrielle

Initiée aux alentours de 1920, la pêche industrielle pourrait bien avoir raison des ressources maritimes d’ici à 2050. Comme le pense Paul Watson, le militant activiste à la tête de Sea Shepherd Conservation Society, gagner cette bataille contre le milieu aquatique reviendrait pour l’humanité à « tout perdre » dans la mesure où celui-ci joue un rôle essentiel dans la préservation des conditions de vie sur terre.

Le point de non-retour n’est pas loin et il n’est plus permis à personne de manger du poisson en toute inconscience. Cette alerte doit résonner d’autant plus fort que bon nombre de consommateurs ont fait le choix d’un régime pesco-végétarien en pensant ainsi contribuer à la diminution des émissions de CO2.

Que faire alors pour limiter les dégâts ? Si la solution radicale consisterait à ne plus consommer de produits de la mer, elle reviendrait aussi à déplacer le curseur du problème – de nouvelles questions se poseraient dans le cas où le monde entier adopterait un régime uniquement basé sur les végétaux. Le « manger moins mais mieux » s’impose également pour le poisson.

Exemples d’en haut

Face au changement de paradigme en cours, une approche a vu le jour sous l’impulsion de chefs directement confrontés à l’état des ressources.

Leur enseignement ? Il se concentre sur quatre axes :

  1. la méthode de pêche – éviter les poissons issus du chalutage de fond – ;
  2. la saisonnalité – ne pas acheter du poisson pêché au moment de sa période de reproduction, ce qui débouche en plus sur des chairs fibreuses – ;
  3. la proximité – privilégier la mer du Nord en Belgique – ;
  4. ou encore l’état des stocks – une donnée fluctuante que l’on peut appréhender en téléchargeant l’appli Ethic Ocean.

A l’international, le chef Josh Niland montre le chemin à suivre. A la tête de Fish Butchery, une poissonnerie atypique à Sidney, l’homme révolutionne la façon de préparer le poisson à travers un panel de recettes qui l’envisagent « from nose to tail », comprendre sans rien gaspiller.

Ouverte en 2018, sa boutique fait exploser les codes habituels, on y chercherait en vain de la glace, support consacré des produits de la mer. L’Australien n’est pas le seul à œuvrer dans ce sens. Il faut également pointer un talent comme Quique Dacosta. Dans son restaurant de Valence, l’intéressé signe des mets révélateurs d’une attention extrême à la gestion des ressources – cecina de thon, pancetta de seiche ou encore bacon d’espadon… Le tout mis en scène sur un chariot de salaisons maritimes.

Pour ce faire, l’Espagnol a mis au point un processus de transformation rigoureux, à savoir un tunnel recréant une atmosphère saline à une température de 3 °C, dans lequel les poissons séjournent plusieurs semaines.

Découvrir (et exploiter) le potentiel de la Mer du Nord

En Belgique, la marée du changement monte également. Christophe Pauly en est la preuve. Le chef du Coq au Champs ne cache pas qu’il a dû remettre son catéchisme culinaire en cause. Il précise : « Dans mon éducation, les meilleurs poissons sont bretons et de ligne, point à la ligne. Je n’ai jamais voulu me laisser coincer par le locavorisme, je place l’exigence de qualité au-dessus de la proximité. Mais avec le temps, j’ai compris qu’il me fallait sortir de ma zone de confort pour élargir cette excellence gastronomique. Pour le poisson, cela a consisté à réaliser qu’il n’y avait pas que le turbot, le bar et le cabillaud. J’ai rejoint le collectif NorthSeaChefs qui m’a ouvert les yeux sur le potentiel de la mer du Nord. »

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Pollack, plie, aiglefin… Pauly a appris à sublimer ces variétés par le biais de cuissons douces. Prochaine étape ? « Je réfléchis à acheter moi-même en direct de la criée. C’est un peu compliqué logistiquement mais je pense que le jeu en vaut la chandelle », commente le cuisinier de Soheit-Tinlot.

Initié par des chefs flamands, NorthSeaChefs a vu de nombreuses pointures wallonnes rejoindre cette aventure gagnée à la durabilité, qu’il s’agisse de Sang Hoon Degeimbre (L’Air du temps), Christophe Hardiquest (Menssa), Clément Petitjean (La Grappe d’Or) ou encore Thomas Troupin (Toma).

Du côté de Froidchapelle, Fabian Santi fait également figure de phare dans la nuit pour les consommateurs en mal de repères. Le chef du Tri-Marrants est le premier en Belgique à pouvoir se réclamer du label Ethic Ocean, un organisme dédié à la préservation des écosystèmes marins.

« J’ai toujours été sensible à la question de l’environnement, analyse-t-il. Par exemple, je n’ai pas travaillé de thon rouge pendant dix ans, période où les stocks étaient critiques. Mais c’est au moment du premier confinement que j’ai compris qu’il fallait pousser mon engagement plus loin. Je me suis mis à me documenter. Travailler les produits de la mer exige une grande connaissance. Il faut par exemple savoir que sur les sept sortes d’ailes de raie qui existent trois sont menacées ou qu’acheter une solette de moins de onze centimètres, comme cela se produit souvent aux Pays-Bas, met en danger l’espèce. »

Transition nécessaire

Du côté des poissonniers, cela bouge également. Là aussi, une prise de conscience est palpable, même si parfois elle ne relève que du vernis de surface – à l’instar de la promotion de labels, MSC ou ASC par exemple, qui ne constituent pas des garanties suffisantes en termes de pratiques durables. Il reste que de nombreux acteurs ont compris qu’il n’était plus possible d’embarquer les consommateurs en travaillant comme il y a cinquante ans.

C’est également vrai sur la question de l’élevage : l’approche divise car dans sa majorité, ce procédé est industriel – les poissons y sont comme des poulets de batterie mais dans l’eau. Certains poissonniers parviennent cependant à dénicher de rares contre-exemples, souvent dans une configuration d’eau douce, au fonctionnement vertueux – ainsi entre autres du saumon d’Isigny.

En ces matières, Erik Portier d’Urban Fish Farm, à Bruxelles, s’avère exemplaire. Son influence ? Le Japon, comme en témoigne sa poissonnerie minimaliste – seuls quelques filets de poisson sont alignés sur des planches en bambou, le reste patiente dans sa chambre froide ou ses cellules de mûrissement – de laquelle la glace est exclue. Il commente : « La glace représente un risque pour le poisson. Les chefs nippons évitent de mettre l’eau, fût-elle glacée, en contact avec la chair de poisson. Le pH de ce dernier étant de 5, contre 7 pour l’eau, des bactéries peuvent vite se développer. »

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L’art de la maturation

Portier est l’un des rares poissonniers du royaume à prendre en compte l’importance du phénomène de maturation – en Belgique, quelques chefs avant-gardistes comme Willem Hiele ou Viki Geunes ont adopté ce savoir-faire. « Ce processus induit une évaporation de plus ou moins 15 % d’eau, ce qui transforme les acides aminés et les protéines… Du coup, la chair du poisson se fait huileuse et le goût s’intensifie », précise celui qui possède trois cellules de maturation ultrapointues, brevetées par Alessandro Cuomo.

Les appareils en question disposent même de sondes pour mesurer le pH des saumons et autres bars, ce qui assure une maîtrise totale sur l’évolution de la chair. « Quand nous entrons dans une poissonnerie, notre réflexe c’est d’obtenir le produit le plus frais possible. Il est grand temps de nous interroger sur cet atavisme qui n’a plus lieu d’être si l’on est équipé de la technologie nécessaire », ajoute l’intéressé.

Le perfectionnisme d’Urban Fish Farm ne s’arrête pas là, il réside aussi dans la promotion des poissons moins connus (chinchard, brosme…) ; dans l’équilibre trouvé entre élevage (40 % de la gamme, essentiellement destiné au sashimi) et sauvage (60 %) ; dans le sourcing auprès de pêcheurs pratiquant l’ikéjimé (pratique d’abattage consistant à neutraliser le système nerveux des poissons et donc à réduire le stress des animaux) ; voire dans un souci des saisonnalités.

Ce soin culmine aussi dans l’approche « whole fish » pratiquée à travers l’élaboration de nombreuses charcuteries de la mer : « Avant, on se contentait des mousses, rillettes et autres terrines, nous poussons la démarche plus loin, en proposant jambon de thon, d’espadon, boudin de Saint-Jacques, pastrami de sériole, lard de calamar… tout peut être travaillé, à part les branchies », résume Erik Portier.

Une profession trop longtemps mise au banc ?

Un segment des produits de la mer n’a toutefois pas encore fait sa révolution de palais en Belgique, celui du banc d’écailler. Au contraire de la France où existe depuis 2007 un concours de Meilleur Ouvrier de France poissonnier-écailler, cette profession n’est pas valorisée comme il le faudrait sous nos latitudes.

La formation s’effectue la plupart du temps sur le tas et parfois dans les pires conditions – on se souvient d’avoir ainsi vu il y a peu de temps une adresse où une seule et même personne partageait son temps entre l’ouverture des huîtres et les voitures des clients à parquer.

La majorité des enseignes qui misent sur ce créneau le font à travers un parti pris d’opulence dépassé. En lieu et place de connaître les terroirs des huîtres ou la technique de reproduction, il est demandé aux écaillers d’ouvrir les mollusques le plus rapidement possible, souvent à la faveur de concours d’un autre temps.

Mais bonne nouvelle, l’amateur peut désormais se tourner vers une nouvelle génération d’adresses refusant la spectacularisation du genre. Enseigne sobrement sous-titrée « Bistro de la mer », Malmö, à Bruxelles, propose une sélection de fruits de mer en phase avec les saisons que l’écailler Guillaume Malmanche manipule avec un savoir-faire et une science tout particuliers.

Dans la foulée, les poissons cuisinés de Jules France, le chef passé par le restaurant D’une île à Paris, s’appuient sur l’expertise d’un mareyeur hors-pair, Walter Dubois, basé à Lorient (Bretagne) à la réputation en béton. Il y est également question d’alternatives au saumon fumé par le biais des flétans et autres harengs boucanés de JC David à Boulogne-sur-Mer.

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