Dans les jardins en terrasse italiens, quelques cultivateurs de citrons résistent, héros d’une agriculture en voie de disparition

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Les citronniers s’étendent sur des dizaines de jardins en terrasse: pour y travailler il faut des jambes et des bras solides. Dans la petite ville italienne d’Amalfi, Salvatore Aceto continue de cultiver « héroïquement » le citron comme ses ancêtres avant lui.

Chapeau de paille, sourire aux lèvres, Salvatore, 56 ans et sixième génération à faire ce métier, a la passion chevillée au corps.

« Mon père me dit toujours que nous n’avons peut-être pas du sang dans les veines, mais du jus de citron. C’est peut-être vrai »

Avec son frère Marco, il cultive des jardins coincés entre mer et montagnes, dont le premier a été acheté en 1825 par leur arrière-arrière grand-père. Leur père Luigi, 85 ans, travaille toujours sur l’exploitation –qui produit 50 à 70 tonnes chaque année– arrivant dès 4h ou 5h du matin. Il grimpe la côte abrupte à bord d’une minuscule Fiat 500 bleu canard datant de la fin des années 60, que sa femme, obstétricienne, a utilisée des années pour aller mettre au monde des enfants sur la côte.

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« Les citrons sont toute ma vie, je les ai dans le coeur », confie Luigi, en ajoutant malicieusement avoir été lui-même « conçu sous un citronnier » et se sentir « le gardien d’un patrimoine de l’humanité ».

Depuis des siècles, le travail ici est le même ou presque. « On a des mules et des ânes pour transporter la marchandise, ainsi que d’autres types d’ânes… nous, les humains », plaisante Salvatore. « Ici, tout est vertical. On travaille avec les jambes, les épaules, on a des marques, des éraflures… Certains parlent d' »agriculture héroïque », mais nous ne sommes pas des héros, juste des gens normaux ».

Travail « massacrant »

Leurs mollets doivent supporter de monter et descendre des centaines de marches chaque jour. Et leurs épaules doivent porter de lourds paniers de citrons, et aussi de longs pieux en châtaigner servant à créer les pergolas sur lesquelles pousseront les citrons et pouvant peser jusqu’à 80 kilos.

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Le travail au quotidien est « massacrant », et les exploitations peinent souvent à trouver de jeunes Italiens qui veuillent le faire. « Jusqu’aux années 60-70, les jardins de la côte amalfitaine faisaient vivre des familles entières. Mais la dynamique sociale et économique a changé. Aujourd’hui, 95% de l’économie de la côte est basée sur le tourisme: qui trouver pour cultiver la terre? », souligne Salvatore.

« Il est plus simple d’être embauché comme serveur et toucher un salaire correct sans se salir et se fatiguer en montant entre 1.500 et 2.000 marches, porter 57 kilos sur le dos ou travailler dans le froid ou sous 40 degrés. Personne ne veut faire ce sacrifice. Les jeunes ont quasiment tous abandonné », regrette-t-il.

Quand c’est nécessaire, comme les autres exploitations, il fait appel à des travailleurs européens – Ukrainiens, Roumains ou Moldaves – qu’il paie « très volontiers » car leur travail et leur sacrifice n’ont « pas de prix ».

Cette « agriculture héroïque », sur des terrains pentus, on la retrouve aussi sur les îles de Lampedusa, Procida (sud) et dans la région des Cinq Terres (nord).

Renconcer, une tragédie

En raison des difficultés, certains renoncent, une « tragédie » pour Salvatore: « voir de nombreuses terrasses laissées à l’abandon, c’est comme un coup de poignard dans le coeur. On ne cherche pas à blâmer ou culpabiliser ceux qui ne cultivent pas mais c’est désolant ».

Outre la pénibilité, la difficulté est économique: « On ne peut pas rivaliser avec les marchés argentin, uruguayen, marocain, espagnol ou turc. Chez eux, tout est automatisé et les coûts de récolte sont très faibles. Pour couvrir nos coûts, il faudrait qu’on demande plus de 2 euros par kilo (contre 1,4-1,5 euro actuellement), ce n’est pas possible… »

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Alors, parmi les premiers, et ce alors que « l’agriculteur ici est en général très jaloux de son jardin », sa famille a compris que « l’agrotourisme pouvait être la clé de sa survie ». Cette ouverture avec visite et vente de produits (limoncello fait maison…) se fait néanmoins avec prudence, pas plus de 100 personnes par jour, pour préserver tant les citronniers que « ce que ce que nous sommes ».

Mais les huit derniers mois ont été un coup dur: « Nous avons connu trois tragédies comme jamais auparavant. Le 21/22 décembre, les terrasses se sont effondrées à cause de fortes pluies, un désastre économique. Puis la récolte de citrons a été mauvaise, car la floraison a été moins bonne, conséquence d’un climat froid et pluvieux. Et enfin, cerise sur le gâteau: l’arrivée du Covid », qui a mis un coup d’arrêt au tourisme et freiné les ventes.

« Si nous survivons à cela, nous serons invincibles ».

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