Destination un endroit merveilleux, avec une signature Chanel: l’île française de Porquerolles

Vue sur le littoral de Porquerolles, où les falaises se jettent dans la Méditerrannée. © SDP / BRICE BRAASTAD
Agnes Goyvaerts Journaliste

Non, le Rosé de Chanel n’est ni un fard à joues, ni un parfum. La maison française s’essaie aujourd’hui à la viticulture, en faisant mûrir ses raisins dans la brise salée de l’île méditerranéenne de Porquerolles. Une terre dont les vignes ont été plantées il y a un siècle par un Belge ayant offert l’îlot à sa dulcinée…

C’est après un séjour à Hyères, petite ville du sud de la France connue pour son festival de mode où brillent souvent les jeunes talents belges, que nous décidons de gagner l’île de Porquerolles. Après avoir pris le bus jusqu’à la pointe méridionale de la presqu’île de Giens, nous gonflons la file qui s’est formée devant l’embarcadère. De nombreux passagers transportent des sacs entiers de savon en poudre, d’eau gazeuse ou même de papier toilette, et pour cause: les prix de ces choses-là sont nettement moins élevés « sur le continent ».

Nous débarquons dans le petit port de l’unique village de l’île. Tandis que la plupart des vacanciers s’égaillent vers les plages, nous prenons un bus électrique qui nous conduit vers notre (magnifique) pied-à-terre: le Mas du Langoustier, niché à la pointe ouest de l’île, loin des hordes de touristes d’un jour. Sur le chemin flanqué de pins parasols et d’orangers, nous croisons à peine quelques promeneurs et cyclistes peinant à avancer sur le terrain sablonneux.

Arrivés à l’hôtel, nous nous installons dans un jardin aux mille parfums pour y siroter un rosé local: le robuste côtes-de-provence du Domaine de l’Ile. La brochure de l’établissement nous apprend qu’au fil de son histoire, Porquerolles a été plusieurs fois occupée par des troupes étrangères et ravagée par les flammes. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que l’on a commencé à y aménager potagers, vergers d’agrumes et vignobles… grâce à un bienfaiteur belge. Pour en savoir plus, nous dénichons le livre L’Homme de Porquerolles (de William Luret) chez le marchand de journaux du coin, avant de nous plonger dans une histoire aussi invraisemblable… qu’authentique.

Un des nombreux vignoles de l'île
Un des nombreux vignoles de l’île© SDP / BRICE BRAASTAD

Le train du succès

L’homme en question s’appelle François-Joseph Fournier et il est né à Clabecq, le long du canal Charleroi-Bruxelles. Son père y gagne sa vie comme marinier, remorquant parfois ses lourdes charges jusqu’au port d’Anvers. Si ce dernier voit dans le développement du réseau ferroviaire une menace pour son travail, François, lui, se passionne pour les trains dès son jeune âge. Il trouve du travail au passage à niveau de Lierre avant de s’embarquer pour Paris, où il est engagé aux ateliers des chemins de fer français et suit des cours du soir à l’Institut des Arts et Métiers. Peu après, il part pour le Nouveau Monde afin de participer à la construction du Trans Canadian Railway. Habile de ses mains, François-Joseph possède aussi les connaissances techniques qui font de lui une sorte d’ingénieur sans diplôme. De fil en aiguille, il se retrouve au Mexique, où son discernement lui permet de découvrir un filon d’or négligé par les autres prospecteurs. Devenu richissime, il ne renie pas son passé d’ouvrier et rêve de fonder une communauté idéale où les travailleurs bénéficieraient de services et avantages inédits… jusqu’à ce que la guerre civile éclate.

Des rues débordant de charme.
Des rues débordant de charme.© SDP / BRICE BRAASTAD

Marié deux fois, François-Joseph Fournier peine à fonder une famille. De retour en Europe, il épouse en troisièmes noces la (très) jeune soeur de son médecin, la chanteuse d’opéra Sylvia Johnston- Lavis. En guise de cadeau de mariage, il décide de lui offrir… l’île de Porquerolles. Grâce à son expérience et ses talents de fin psychologue, il met les habitants au travail et fait venir de nouveaux ouvriers. Il crée une coopérative, relie les logements à l’électricité et à l’eau courante, organise l’enseignement et plante vignes et vergers. Son désir de paternité, lui, est comblé: Sylvia lui donnera six filles et un fils. Une mère et épouse ambitieuse, qui souhaite faire de l’île un lieu de villégiature pour la jet-set, assurant elle-même la direction des hôtels qui y poussent, un cigare au coin des lèvres. Dès qu’elle peut, elle se rend aussi dans les établissements prestigieux de Nice et de Cannes pour y vanter les vins de Porquerolles…

Ses magnifiques baies sont l'un des atouts majeurs de Porquerolles.
Ses magnifiques baies sont l’un des atouts majeurs de Porquerolles.© SDP / BRICE BRAASTAD

Trio de rosés

A la mort de François-Joseph, en 1935, Porquerolles possède 170 hectares de vignobles et de vergers. Une vingtaine d’années plus tard, l’île est partagée entre ses quatre filles. Trois d’entre elles vendront leurs parts. Seule Lélia, mariée à Dominique Le Ber, conservera la sienne et le vignoble qui s’y trouve. En 1971, l’Etat français rachète la quasi-totalité de l’île et y encourage la production vinicole. Porquerolles voit alors naître trois domaines. Le premier s’appelle La Courtade, créé en 1983 par l’architecte local Henri Vidal, qui en profite pour offrir une rénovation somptueuse à un mas existant. Après sa mort, ses enfants n’arrivent plus à en assurer l’entretien et, en 2013, le cèdent au milliardaire français Eugène Carmignac, qui y fonde un centre d’art contemporain. Le mas se trouvant dans un paysage classé qu’il n’est pas question de dénaturer, la Fondation Carmignac prend ses quartiers dans un bâtiment souterrain de 2.000 m2 qui accueille aujourd’hui événements, expos ou concours de photojournalisme.

A l'extrémité nord-est, se trouve le superbe Cap des Mèdes.
A l’extrémité nord-est, se trouve le superbe Cap des Mèdes.© SDP / BRICE BRAASTAD

Le deuxième vignoble n’est autre que le Domaine de l’Ile, géré par le petit-fils de Fournier, Sébastien Le Ber, qui a un jour cédé ses terres à la maison Chanel. Quant au troisième, il s’agit du Domaine Perzinsky, le plus modeste du trio et propriété d’une famille noble ayant fui la Russie après la révolution de 1917. A sa tête pendant trente ans, les frères Cyrille et Alexis ont fini par éprouver quelques difficultés à en assumer la charge. Ils ont donc interpellé Nicolas Audebert, responsable des propriétés viticoles de Chanel. « Reprendre notre domaine, ça vous intéresse? », ont lâché les frangins. Et il s’est avéré que oui. Suite à la fusion, l’avenir a été envisagé avec sérénité… et grandeur: « Lorsque tout sera replanté et restructuré, d’ici quelques années, nous pourrons produire environ 200.000 bouteilles », promet-on du côté de la maison française, qui a déjà le mérite de s’y connaître en matière d’arômes à succès…

Une maison villageoise au style typique.
Une maison villageoise au style typique.© SDP / BRICE BRAASTAD

En Belgique, il ne faut même pas attendre jusque-là: les vins blancs et rosés du Chanel – Domaine de l’Ile sont déjà distribués via le site Web vascogroup.com. « Le millésime 2020, qui peut se déguster dès à présent, est le témoin des importants efforts réalisés ces derniers mois. C’est un vin très élégant, car issu d’une nature vierge. » Tout en savourant un verre bien frais, nous essayons de nous imaginer Porquerolles à l’arrivée de Fournier et de sa fiancée. Le tableau devait être très différent, puisque de nos jours, les propriétaires de yachts y débarquent en canot pneumatique pour promener leur chien sur la plage, le bac fait des heures supplémentaires et un hélicoptère vient déposer directement au Mas du Langoustier des hôtes en lunettes noires qui arrivent pour le déjeuner. On ne peut pas vraiment dire qu’ici, le temps se soit arrêté…

En pratique

Destination un endroit merveilleux, avec une signature Chanel: l'île française de Porquerolles

Se renseigner

Office de tourisme d’Hyères, avec plein d’infos sur les activités, les visites ou les bonnes adresses: hyeres-tourisme.com

Côté logement, l’île dispose de chambres d’hôtel, mais aussi d’une cinquantaine d’appartements ou de studios à louer.

Y aller

En voiture, il faut environ 10 heures de route jusqu’à Hyères.

En train, le plus simple est de se rendre d’abord jusqu’à Toulon, ensuite jusqu’à Hyères.

Le bac vers Porquerolles part de La Tour Fondue, à l’extrémité de la presqu’île de Giens. Sur place, il est possible de louer des vélos (ordinaires ou VTT).

Fléau touristique

La beauté paradisiaque de l’île attire hélas des hordes de visiteurs tout au long de l’été. Une réalité qui a pris l’ampleur d’une véritable crise en 2020 en raison d’une Covid qui a poussé les Français à passer leurs vacances « au pays ». Même si Porquerolles a l’habitude des touristes, le vase a clairement débordé. Les témoignages et les plaintes ont afflué en masse, les habitants évoquant notamment « les poubelles qui débordent dans les rues » ou encore « les mégots de cigarette dans les bois, qui ont fait augmenter les risques d’incendies ». Sur la page Facebook de la ville de Toulon, même les touristes d’un jour se sont mis en colère: « Trois heures d’attente pour le bac sous un soleil de plomb, puis se faire refouler parce que c’est complet! » Tout cela avec les moteurs qui tournent afin de laisser l’air conditionné allumé, ont également pointé les écologistes…

Si en hiver, Porquerolles compte environ 300 habitants permanents, en été, ce sont quelque 10.000 vacanciers qui viennent s’y promener à pied ou à vélo. L’eau douce, denrée rare, doit être importée du continent, et les eaux usées repartent par la même voie. Aussi, face à l’afflux, des toilettes sèches ont été installées le long des voies les plus courues, tandis que des travailleurs de l’île se sont mobilisés pour aller, au petit matin, ramasser les saletés abandonnées dans les buissons. « L’excursion est tellement désagréable que certains ne reviendront pas de sitôt. Mais comme la horde est sans cesse renouvelée, je ne suis pas près d’être au chômage », commente avec cynisme et philosophie un habitant qui vit de la location de barques.

Île était une fois…

D’aucuns affirment que Porquerolles doit sa notoriété à un autre de nos compatriotes, et non des moindres: un certain Georges Simenon, qui s’y est retiré pour travailler dans les années 1930-40. Entre ses balades à vélo, ses fêtes grandioses et ses expéditions en mer avec les pêcheurs du coin, le Liégeois a rédigé plusieurs romans, dont Les demoiselles de Concarneau. Deux de ses histoires ont même Porquerolles pour décor: Le cercle des Mahé et Mon ami Maigret, dans lesquels Simenon décrit un quotidien rythmé par l’arrivée de la poste et des caisses de fruits et légumes en provenance de l’autre rive, mais aussi les parties de boules du dimanche, quand les hommes se rassemblent sur la place du village en pantalon marine et chemise blanche…

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