En Champagne aussi le bio gagne du terrain

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« En bio, on prend les risques et on les assume »: des vignerons français ont tourné le dos aux produits phytosanitaires, désireux d’élaborer des champagnes bio, davantage révélateurs de la typicité du terroir.

Le mouvement reste encore marginal, sur seulement 1,9% du vignoble de l’appellation champagne qui, elle, couvre au total 34.000 hectares dans le nord de la France, selon les chiffres de l’Agence Bio.

Mais la progression des surfaces au label « AB » (Agriculture biologique), a bondi de 14% entre 2015 et 2017.

Produire bio ne s’improvise pas: « Si on veut faire ça pour mettre un beau logo sur une étiquette, on va vite déchanter », souligne Pascal Doquet, président de l’association des champagnes biologiques créée en 1998. Lui a dû attendre « six ans entre le début de la conversion et la commercialisation des premières bouteilles » labellisées AB.

Une gageure, qui s’explique par les trois années incompressibles de la conversion, couplée à la durée de vieillissement du champagne plus longue que celle des vins tranquilles, non-effervescents.

Sans oublier les impacts climatiques: la Champagne étant « très marquée par les flux océaniques », le vignoble est exposé à un risque de pourriture lié à l’humidité, explique Pascal Doquet, estimant se conduire en « vrai paysan » qui développe « la capacité de résistance de la vigne », l’inverse « des vignerons qui sont devenus des techniciens ». Plus qu’une méthode de travail, une philosophie.

Terroir en bouteille

Le retour au sol, premier amendement du vigneron bio aux techniques moins invasives, laissant les racines de la plante s’infuser dans la terre, présage d’un vin de caractère… Ce qu’Eric Rodez, à la tête du domaine familial à Ambonnay, dans la Vallée de la Marne, appelle: « Faire chanter le terroir ».

« Nous ne sommes pas assez dans cette logique-là car elle est exigeante: il faut accepter de vivre au rythme de la nature, pas de l’horloge mondiale », constate-t-il en exploitant ses six hectares grand cru d’abord en bio, désormais en biodynamie.

Cette mutation a engendré des « vins libérés » aux notes « plus expressives », à « la longueur et la sensualité plus marquées », la qualité des cuvées étant décuplée par une « puissance olfactive et gustative », commente ce passionné volubile qui produit environ 50.000 bouteilles par an.

« Le bio pour moi, c’est une évidence car c’est le terroir qui fait la signature de nos vins. Or, l’originalité ne peut pas venir d’une couverture chimique massive qui neutralise le goût », abonde Jean-Baptiste Lécaillon, chef de cave du Champagne Louis Roederer – 240 hectares en propre dont 10 hectares certifiés bio et 3,5 millions de cols produits par an.

La maison a réalisé sa campagne 2017 en bio grâce aux conditions climatiques favorables et compte progressivement convertir ses pratiques sur l’ensemble du domaine.

‘Court-termisme économique’

Depuis une quinzaine d’années, la profession a réduit de 15% son empreinte carbone et a divisé par deux le recours aux engrais azotés et aux produits phytosanitaires, précise le Comité Champagne, organe représentatif des 300 maisons et 15.000 vignerons de l’AOC, sans prendre ouvertement partie pour le bio.

Pour inciter l’interprofession à réduire son impact environnemental, il a lancé en 2014 sa certification « viticulture durable », « adaptée à la Champagne », délivrée à 192 exploitations soit plus de 4.000 hectares.

La plupart des grandes marques semblent néanmoins nettement peu pressées de prendre un virage bio.

Or « c’est le non-bio qui doit aujourd’hui justifier pourquoi tant de chimie: la justification a changé de camp », estime Jean-Baptiste Lécaillon. Pour ces maisons gourmandes en hectares, le défi réside dans leur capacité à réussir une transition à grande échelle, en acceptant que « certaines années on puisse perdre 10, 20, 30% de la récolte », selon ce spécialiste, lucide sur une approche qui balaie le « court-termisme économique ».

Encore confidentielles pour toutes ces raisons, les « bulles » bio sont encore peu présentes dans la grande distribution en France, d’autant que la grande majorité des flacons sont exportés.

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