Horeca: « C’est à une place de fusible que le gouvernement a décidé de nous assigner, tant pour des raisons symboliques qu’imaginaires »
À la veille d’un Comité de concertation où le sort de l’horeca ne se présente toujours pas sous les meilleurs auspices, nous avons voulu recueillir la parole de Cedric Jamar, du collectif Resto Bar Bruxelles. Formateur pour les professionnels du service dans la bière, guide auprès de quelques brasseries, et dégustateur, mais aussi psychothérapeute, l’homme est depuis quelques mois sécrétaire, médiateur et coordinateur du collectif. Il nous dresse un état des lieux de l’horeca, ses espoirs, ses craintes, après quatre nouveaux mois et demi de fermeture, et grosso modo une année d’inactivité. Un secteur qui s’estime mal-aimé et malmené par le gouvernement, et qu’il s’agit de refonder à court, moyen et long termes.
Pouvez-vous présenter votre collectif Resto Bar Bruxelles
Le Collectif plante ses racines dans un constat assez simple: une grosse partie du secteur de l’Horeca n’est absolument pas représentée par la Fédération dont c’est pourtant la charge. On le savait déjà, et c’est devenu simplement manifeste – voire criant – dans le contexte du virus, et de la manière dont il a été géré. Ce virus aura permis de soulever un petit peu plus le voile sur quelques dysfonctionnements parfois anodins, souvent moins, de l’organisation et de la gestion du pays.
Quelques exploitants indépendants – principalement des patrons de bars et quelques restaurants – se sont mis à échanger dès le mois de mars 2020 sur l’impact du virus et de la fermeture imposée sur leurs établissements. Ils se sont vus assez vite rejoints par d’autres, et le mouvement a grossi. Même constat: ils ne sont pas entendus ni écoutés, qu’il s’agisse du gouvernement Wilmès puis De Croo, ou de la Fédération.
La soudaineté de la fermeture à nouveau imposée mi-octobre 2020 a définitivement provoqué notre volonté de regroupement et d’action. C’est à ce moment-là que je « rentre dans la danse ». Secrétaire et animateur des réunions, j’endosse également le rôle de médiateur et de coordinateur (avec d’autres) de par mon extériorité professionnelle.
À quoi ressemblerait Bruxelles sans ses petits troquets, ses bars de quartier, ses petits restos du coin ? À un centre commercial.
Nous avons alors décidé de rassembler un maximum de collègues autour de nous, avec comme volonté principale de fonctionner de manière la plus horizontale possible.
De là se dégagent d’autres préoccupations. La mise à l’avant de la dimension humaine en fait partie. À quoi ressemblerait Bruxelles sans ses petits troquets, ses bars de quartier, ses petits restos du coin ? À un centre commercial. Et si rien n’est entrepris – tant au régional qu’au fédéral – c’est le visage du pays dans son entièreté qui va changer. Et pas pour le meilleur. Car n’oublions pas que ces endroits, grands ou petits, contribuent depuis la nuit des temps à la socialisation et au développement du tissu social, ce qui a été complètement ignoré jusqu’à présent.
Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la situation pour ce secteur.
La situation pour l’Horeca n’est pas glorieuse, on s’en doute. Le premier confinement a imposé un temps de sidération, et avec elle l’exposition à de l’inédit. Si tous se sont plaints, peu ont contesté les mesures sanitaires prises. La situation était tout autre à l’annonce de la deuxième fermeture, en octobre dernier. Elle a été subite, ne laissant aucune possibilité de préparation ou de gestion des stocks. Les pertes matérielles ont été considérables, mais sans commune mesure avec celles sur le plan humain. Parce qu’au-delà des investissements lourds de réaménagement des espaces (barrières de plexiglas, adaptation de l’offre et des zones de travail, instauration des protocoles sanitaires strictes, dont la tenue des registres de présence etc.), les personnes qui se sont vues empêchées à nouveau de travailler n’ont eu aucun soutien ni aucune perspective. Pire : ils ont été fermés les premiers, pointant par là leur possible implication dans la remontée des contaminations avérées durant les mois d’été. Or de cela : rien n’a été jusqu’à présent prouvé ou démontré. Alors quand j’entends aujourd’hui qu’il faut se baser sur les données de la science pour la possible réouverture des musées, restaurants et autres, ça me fait doucement rire (jaune). Parce que si l’on tient compte de ce que le CEO de Belfius a défendu comme position vis-à-vis de l’Horeca, il se pourrait que cette situation devienne le théâtre d’un tout autre drame : celui du règlement de comptes entre l’État et l’un de ses moutons noirs. À ce titre je ne saurais que trop enclin à inviter à la relecture de Freud et son Malaise dans la Culture, dans lequel il soutient notamment l’idée de la nécessaire extériorité d’une entité pour consolider cette dernière. Et ici d’un côté nous aurions l’État, le blanc chevalier qui viendrait faire subir le trépas à cette vile créature qu’est l’Horeca, tricheur, dangereux pourvoyeur d’alcool etc. Il faudra revenir là-dessus, parce que c’est un petit peu plus compliqué que cela.
D’un côté nous aurions l’État, le blanc chevalier qui viendrait faire subir le trépas à cette vile créature qu’est l’Horeca, tricheur, dangereux pourvoyeur d’alcool
Premiers à être fermés, sans doute parmi les derniers à être autorisés à ouvrir : c’est à une place de fusible que le gouvernement a décidé de nous assigner, tant pour des raisons symboliques qu’imaginaires.
Ce qu’on soupçonne moins c’est l’impact humain, familial, individuel voire subjectif de ces longs mois de tension. Incompréhension, chagrin et colère se mêlent à l’insulte des mesurettes, l’incohérence manifeste de certaines décisions – les restaurants sont fermés mais les transports en commun bondés ne posent aucun problème par exemple . Les projets de vie, les économies, les envies d’entreprendre de beaucoup ont été broyés par cette gestion discutable de la pandémie. La maladie a bien sûr joué un rôle non-négligeable dans tout cela ; cependant les incohérences inhérentes aux décisions prises sur bases d’arrêtés ministériels ou royaux de la gestion de cette situation ont pour corollaire un impact important sur la santé des travailleurs. Face à une tension due à la pandémie, intensifiée par les mesures qui posent question quant à leur légitimité et leur équité : des tableaux cliniques reconnaissables émergent, ce dont je peux témoigner dans ma pratique psychothérapique. Dépression, idéations suicidaires, voire parfois décompensations franches et florides : je tiens pour personnellement responsables ceux qui aujourd’hui se lavent les mains des conséquences des décisions qui ont été prises de manière unilatérale. D’autant qu’ils peuvent avoir accès à des groupes de représentation sectorielle qui, eux, vivent l’impact des décisions prises, et peuvent à l’occasion se présenter comme force de propositions.
Pour en revenir à la question, la tension monte, et si la plupart d’entre nous tient à faire entendre ses revendications de manière pacifique et acceptable, d’autres manières sont présentement envisagées. Pourquoi? Imaginez un instant vous trouver à vouloir exprimer une demande, une suggestion, une opinion, et que votre interlocuteur non seulement ne vous écoute pas, mais ne daigne même pas feindre considérer votre existence. Ça n’enlève rien à la justesse de votre interpellation, mais par contre vous pourriez envisager d’autres canaux de communication. Si la parole n’est pas considérée, que reste-t-il ?
Ce collectif est à l’origine des actions des 15 janvier et 5 février. Pouvez-vous nous en rappeler la forme et l’objectif. Ont-elles fait avancer la cause actuelle de l’horeca?
L’un de nos leitmotivs est de nous faire entendre tout en restant dans les clous des règles et des restrictions imposées. Autant inattaquables sur la forme que légitimes quant au fond : c’est l’une des raisons qui font que nous avons autant de sympathisants. Et cela commence à porter ses fruits.
Notre action du 15 janvier se voulait être une interpellation du politique via l’espace public. Silencieuse, cette action n’en a été que plus criante : des affiches « Commerces à remettre – Horeca & Event », avec le nom de plus de 600 établissements adhérents à nos revendications. Nous avons fait mouche : plus d’une vingtaine de mentions dans les médias ce jour-là, et des contacts avec nos collègues du Collectif Wallonie Horeca, avec lesquels depuis lors nous avançons dans une collaboration rapprochée. Ce rapprochement nous a également permis de nous rendre compte que la disparité énorme des subsides régionaux participait d’une dilution des voix représentatives de notre secteur, donc de sa crédibilité. Mais qu’au-delà nous avons des revendications communes fortes, qui débordent largement de la seule crise covid que nous traversons actuellement. Je ne désespère personnellement pas de rencontrer nos amis de Flandre pour un regroupement national.
L’action du 5 février en après-midi en a été une belle illustration : une trentaine de lieux, plus de deux mille personnes présentes, des bâches et des affiches « Commerces à remettre » dans toute la Belgique francophone. Un bilan très positif, puisque de nombreux retours unanimement élogieux nous sont parvenus, tant des élus locaux que de nos clients, des badauds et de la police. Tous nous disent leur incompréhension des mesures drastiques prises à notre égard.
Qu’attendez-vous aujourd’hui des pouvoirs publics vis-à-vis de l’horeca ?
Je crois ici devoir distinguer « attentes » et « espoirs ». Au niveau des attentes : que les pouvoirs publics prennent des décisions qui tiennent compte des différents aspects de la situation que nous connaissons aujourd’hui. La santé primant sur le reste, il n’en demeure pas loin qu’il faille également en considérer les aspects économique et social. La dimension géographique par contre prend bien trop de place. Ici – comble de la lasagne – que l’on ait son établissement en Flandre, en Wallonie ou à Bruxelles, les subsides qui reviennent à l’Horeca illustrent bien l’absurdité de la gestion imposée ici. Il y a un paradoxe manifeste qui se révèle là-dedans : comment se fait-il que le soutien à l’Horeca soit dépendant de la région ? Et surtout : comment justifier une telle différence interrégionale (qui va du simple au sextuple dans certaines conditions) ?
Que l’on ait son établissement en Flandre, en Wallonie ou à Bruxelles, les subsides qui reviennent à l’Horeca illustrent bien l’absurdité de la gestion imposée ici.
Les taxes sont identiques, les produits itou, et fondamentalement les habitudes culturelles ne sont pas si différentes d’un coin à l’autre du pays. Et, comme le dit une collègue : on se fout pas mal à notre niveau de la manière dont ces subventions sont décidées. Ces écarts sont intolérables, et n’a pour seul effet de provoquer encore plus de tension. Elle devient palpable, tangible.
Il ne faut pas oublier la dimension proprement violente de la gestion de cette pandémie. Tant aux niveaux social, économique mais surtout psychologique : les gens souffrent. Les pertes vont bien au-delà d’un petit confort de vie. On dirait que pour un grand nombre, cette fermeture imposée des établissements ressemble tour à tour à une petite gêne, comme lorsqu’on constate qu’on n’a plus de spaghettis dans l’armoire alors que la bolo fristouille. À un drame théâtral, dans lequel les patrons et les responsables jouent leur tragédie sur la place publique, puis ils rentrent chez eux satisfaits de s’être donnés en spectacle. Voire carrément à des vacances forcées. Ne nous y trompons pas : Bruxelles a octroyé l’équivalent de 7000 € de soutien financier depuis la fermeture imposée (pour 21 000 € en Flandre), et cette somme représente une belle part d’un budget familial pour un grand nombre d’entre nous. Cependant, elle ne correspond qu’à une partie congrue du budget de fonctionnement d’un établissement Horeca. Pour être clair : pour couvrir tous ses frais obligatoires, il s’agit pour le patron de tout établissement de payer : le loyer (bien plus onéreux au m² qu’une surface allouée au logement), les gaz, eau, électricité, la Sabam (les droits d’auteurs… réclamés même lors d’une fermeture), l’ONSS, les assurances pour les travailleurs et l’endroit, etc.
Autant dire qu’avec moins de 1000 €/mois on ne va nulle part (sans compter que vivre avec un tel budget est compliqué, et que souvent il faut choisir entre ses factures et son frigo). Il y a donc un paradoxe entre d’une part avoir le pouvoir de fermer tout un secteur d’activité humaine et ne pas en assumer les responsabilités. C’est pourtant ce à quoi nous assistons : tant Wilmès que De Croo impose l’inactivité économique, tout en laissant les chefs d’entreprise se débrouiller pour assurer le paiement des dépenses contraintes.
Il y a là quelque chose de l’ordre de l’insupportable qui se joue là : on demande à des indépendants d’être à la fois des enfants auxquels on réfute un certain degré de liberté tout en leur imposant d’assumer leurs responsabilités
Bien plus d’ire, c’est d’incohérence gouvernementale et de non-dialogue que nos actions se nourrissent.
Notre position peut être résumée simplement, en une phrase: Tu nous fermes, tu assumes. Ce qui peut être compris de plusieurs manières, et notamment qu’on ne peut pas fermer des établissements – premier fournisseur national de TVA et d’une dizaine de pourcent du PIB – sans assurer le paiement de leurs frais. Ce sont les deux faces d’une même médaille. L’un ne devrait pas pouvoir aller sans l’autre. Si effectivement c’était le cas : le problème des assurances réclamant leur dû, la Sabam, les loyers, les banques qui refusent les demandes de prêts tout en réclamant des indemnités lorsqu’on règle son emprunt prématurément, tout cela serait déjà réglé depuis belle lurette.
Notre position peut être résumée simplement, en une phrase. Tu nous fermes, tu assumes.
En ce qui concerne les espoirs : cette crise nous permettrait-elle d’ouvrir enfin une discussion franche et honnête, cartes sur tables, avec nos dirigeants, sur la réalité du terrain de l’Horeca ? Que l’on puisse enfin et sans langue de bois, discuter des conditions de travail, de la difficulté d’une comptabilité saine dans un contexte fiscal défavorable (à titre d’exemple : s’il fallait vraiment appliquer toutes les taxes, déclarer 100% des prestations de tous les travailleurs : un soda coûterait bien plus de €3.20 les 25 cl). Jusqu’à présent à ce sujet, c’est un durcissement des contrôles et des restrictions. Cette situation me fait penser à cette petite histoire : un homme trompe sa femme. Elle le découvre en fouillant son téléphone et le met devant le fait accompli. Sa réaction : trouver une meilleure technique de verrouillage de son téléphone, sans adresser aucunement sa tromperie. N’y aurait-il pas une autre manière de faire ? Ou mieux, autre chose à faire ?
D’autre part, un contrôle AFSCA, fiscal ou ONSS ne devrait pas être une menace, qui fonctionnerait notamment sur base de dénonciation et autre copinage. Dans un monde meilleur : on devrait ne pas craindre de recevoir la visite d’une personne dont le travail est de vérifier que nous faisons bien le nôtre. Ce ne sont là que quelques idées, il y en aurait bien d’autres à développer.
Pensez-vous comme certains que les semaines à venir, et la possibilité de réinstaller les terrasses soient propices à un déconfinement de l’horeca ? Si oui, quelles seraient selon vous les mesures envisageables pour que cela soit tenable pour les établissements ?
La réouverture des terrasses n’est plus qu’une question de mois, voire de semaines. C’est, je suppose, l’une des soupapes de sécurité que l’État s’octroie pour empêcher que tout n’explose. Il y aurait, je pense, beaucoup à dire sur qui fréquente les repas clandestins. Une chose est sûre : quelle que soit la condition sociale de laquelle on se revendique, nous avons tous besoin du contact social, humain, relationnel, et ce contact doit pouvoir passer par autre chose que la visioconférence.
On devrait ne pas craindre de recevoir la visite d’une personne dont le travail (à l’Afsca, l’ONSS…) est de vérifier que nous faisons bien le nôtre.
Des mesures devraient être envisagées à court, moyen et long terme pour accompagner la réouverture des bars, restaurants et hôtels.
- À court terme : arriver à coupler sécurité sanitaire, proximité temporelle et pérennité d’ouverture pour l’entièreté du secteur de la nourriture et des endroits de service. Prendre d’urgence en charge tous les frais inhérents à un établissement à l’arrêt pour cas de force majeure (comme un virus par exemple). D’autres revendications peuvent être listées ici : le soutien inconditionnel aux travailleurs à hauteur de 100% de leur salaire déclaré ; idem pour les étudiants (et que ce soutien soit cumulable à d’autres aides telles que le CPAS, l’aide sociale des écoles supérieures et autres universités) et les fournisseurs. Un support de médiation vis-à-vis des probables tensions entre les exploitants et les propriétaires devrait également être mis sur pieds dès que possible.
- À moyen terme : présenter un plan et un calendrier d’accompagnement de cette réouverture. Faire en sorte que cette dernière ne soit pas l’occasion pour les créanciers (dont l’État) de venir réclamer des dus non prioritaires (je pense notamment au cas absurde de cet établissement qui, lors du premier confinement, a été sanctionné pour avoir préféré payer ses fournisseurs plutôt que sa TVA)
- À long terme : permettre de repenser fondamentalement l’organisation du travail du 302, main dans la main avec ses acteurs de terrain, via une assemblée réellement représentative de sa base, et porteuse de ses demandes et recommandations. Fiscalité, prêts, respectabilité : un gros chantier qui en vaut la peine. Sans langue de bois, en travaillant sur les causes, non pas les correctifs utilisés pour pallier ces causes. Et par là un accompagnement non punitif de tous les établissements qui le désirent vers une comptabilité 100% claire, de régularisation.
Quelles sont vos craintes pour les semaines à venir ?
Les craintes sont malheureusement nombreuses : la réouverture prochaine laisserait croire que, puisque les établissements seraient enfin à nouveau capables de travailler, leurs exigences pourraient être présentées comme caduques. Or – au risque de me répéter – ces exigences valent pour la période de fermeture. Une autre crainte serait effectivement que cette période servirait un objectif assez peu louable, d' »éclaircissement du marché ». Raisière parle de « vagues d’assainissement », ce qui reviendrait à reprendre pour acquis l’idée de la sélection naturelle. Intolérable lorsqu’on parle de destins brisés, de vies gâchées. Autre chose : le risque de la « centre-commercialisation » de Bruxelles est bien réel.
Que pensez-vous de l’initiative Growdfunding en soutien aux bars bruxellois
Cette initiative pleine de bonne volonté est une manière de plus de souligner à quel point les politiques actuelles tombent complètement à côté de leur objectif. À l’instar de la prime accordée aux infirmières : communiquer en grande pompe un montant qui semble énorme (un peu moins de 1000 €, pour un budget mensuel moyen à peine plus gros que ça, c’est beaucoup)… pour ensuite venir le taxer à 43% ! À croire que nos chers dirigeants se sentent pris de remords. Curieux de la part de personnes qui ont pourtant refusé de réduire – ne fût-ce que symboliquement – leur salaire, même temporairement. Mais dans l’absolu cette idée est excellente. Loin d’être parfaite, mais excellente.
Trouvez-vous légitime que ce soit au client fidèle de sauver son bar préféré pour espérer y remettre les pieds un jour ?
Cette manière de le présenter est délicate. Ce devrait être plutôt à l’État de prendre en charge les conséquences des décisions induites par sa position. Ou alors – renversement à 180° – on propose l’instauration de la votation à la mode suisse. Je ne suis dès lors pas sûr que l’achat des F35 aurait été accepté, par exemple.
Comment tout à chacun peut-il vous soutenir ?
Nous fonctionnons complètement bénévolement. Il existe par contre une boutique en ligne sur laquelle quiconque le souhaite, peut afficher son soutien en achetant l’un ou l’autre vêtement.
Nous allons encore organiser des événements. Le nerf de la guerre n’est plus tant l’argent que l’exposition. Relayer les infos de nos actions – notamment via les réseaux sociaux – est aussi une excellente manière de nous soutenir.
Cette crise a-t-elle ouvert des opportunités?
Le déséquilibre ou la difficulté permet la possibilité de réagencement. C’est une observation piagétienne qui fonctionne bien dans ce cas-ci. Denis Colombi considère la pauvreté – le spectre du pauvre – comme ayant une utilité systémique, notamment en tant que motivation positive et négative au travail. Négative d’abord: voyez donc à qui/quoi vous ne ressemblez pas grâce au travail. Positive également : grâce à la perspective stigmatisante de la pauvreté, on trouvera toujours des travailleurs prêts à assurer des services dont autrement personne ne s’occuperait. Ainsi aucun besoin de repenser l’organisation de la société ou de ses services.
Taper sur le petit exploitant ne satisfait rien d’autre qu’une certaine soif de chiffres ; pour la justice sociale, on repassera.
Ainsi en est-il du secteur du 302. Depuis un certain nombre d’années, l’écrasante majorité d’entre eux travaillent avec une comptabilité transparente et claire, et pour ce faire, choisissent de vivre chichement. Pour protéger leurs travailleurs, leurs établissements. Fair is fair. Pourtant si tous ne jouent pas nécessairement le jeu (et ils se raréfient), ce n’est pas de facto un aveu de tricherie généralisée. Dans un article à paraître, j’explique qu’il est tout à fait entendable que l’on choisisse de ne plus travailler pour des cacahuètes, quitte à rogner sur l’une ou l’autre dimension qui pouvait servir de repère. Par ailleurs : les contrôles fiscaux donnant systématiquement lieu à des sanctions permettent de communiquer par l’exemple. « On vous tient à l’oeil ».
Pareil pour les travailleurs : étudiants comme travailleurs au noir ont une fonction indéniable de régulation du marché de l’emploi, que ça soit sur les prix affichés (donc l’accessibilité desdits bars et restaurants, donc de leur survie) ou la diversité de leur offre. Derrière les restrictions du travail étudiant se trouve un autre problème, pour moi plus important : la fiscalité du travail. De grosses entreprises sont sues pour payer moins de taxes et d’impôts que de toutes petites structures. Deux choses là derrière : ces grosses entités ont les moyens de payer des personnes dont le métier est précisément d’organiser des montages financiers qui leur permettent de ne pas payer d’impôts ; ces montages sont pourtant tout à fait légaux. Vous voulez régler ce problème du travail au noir ? penchez-vous là-dessus, et facilitez la régularisation des travailleurs sans-papiers. Taper sur le petit exploitant ne satisfait rien d’autre qu’une certaine soif de chiffres ; pour la justice sociale, on repassera.
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