Kimchi, kéfir, kombucha… Ce que votre goût pour la nourriture fermentée dit de vous

Du kimchi au kombucha, ce que votre goût pour la nourriture fermentée dit de vous - Getty Images
Du kimchi au kombucha, ce que votre goût pour la nourriture fermentée dit de vous - Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

La lecture n’est pas un passe-temps, c’est une promesse, celle de voyager dans le temps et l’espace au gré des ouvrages. Ivre de livres, Kathleen Wuyard vous emmène page à page dans ses périples papivores. Le sujet de cette chronique Tête à Textes? L’excellent (ah!) « Fermentations » d’Anne-Sophie Moreau.

C’est fou, parce qu’il y a deux secondes, j’avais 16 ans et je me passionnais pour le quotidien des habitants fictionnels de Newport Beach, puis j’ai cligné quelques fois des yeux et magie! (ou plutôt, maléfice!) j’étais soudain au mitan de la trentaine. Pour ajouter à la confusion temporelle, Seth Cohen, pardon, Adam Brody, continue d’occuper mon écran et mes pensées, mais dans le rôle de Noah-le-rabbin-sexy de Nobody wants this cette fois. Du reste, je dois admettre que mes goûts ont bien changé.

Ainsi, si on m’avait dit «il y a deux secondes» que je me prendrais un jour de passion pour le kimchi, le kéfir et à peu près toutes les autres fermentations comestibles, j’aurais probablement répondu par une de ces grimaces de dégoût grotesquement exagérées dont les ados ont le secret. Et pourtant, non seulement j’adore, mais à un point tel que je suis prête à affronter le courroux de ma tendre moitié, qui a l’audace de trouver que mon kimchi «empeste le frigo» (sic). Je pourrais m’agacer, mais je ne suis que compassion, car quiconque ne sait pas apprécier cette spécialité coréenne savoureuse et excellente pour la santé souffre déjà bien assez. Et ce n’est certainement pas Anne-Sophie Moreau qui me contredira.

La nourriture fermentée, source d’une résurrection possible?

Avec Fermentations, la philosophe et journaliste française est partie du constat que de l’alimentation à la cosmétique en passant par le design et l’architecture, champignons, levures et autres bactéries étaient désormais partout. Et elle a voulu «chercher dans le pourri une éthique de vie». Une proclamation grandiloquente qui peut prêter à sourire, sauf qu’ainsi qu’elle l’expose avec maestria dès les premières pages, il ne faut pas voir dans la fermentation une forme de décrépitude mais bien une formidable force vitale. Le ton est donné, et sous couvert de parler de notre fascination pour le moisi, Anne-Sophie Moreau réussit le pari de développer des concepts philosophiques, anthropologiques et politiques de manière didactique et distrayante.

«Rien ne développe l’intelligence comme les voyages», assurait Emile Zola, qui fait d’ailleurs plusieurs apparitions dans ces pages, et le fait est que ce périple dans les méandres du pourri offre une perspective fascinante sur le monde dans lequel on vit. Et la manière dont le vit la génération de l’autrice, qui est aussi la mienne, dernière à avoir été biberonnée aux promesses de croissance et de paix éternelles est aujourd’hui confrontée à une tout autre réalité.

Tout (au) pourri?

Ce qui est certain, c’est que pour Pasteur, la fermentation «est la vie sans air», ce qui pousse Anne-Sophie Moreau à s’interroger: «Ce retour en grâce de la macération révèle-t-il une envie de nous recentrer sur nous-mêmes, quitte à moisir dans le ressentiment et à sombrer dans l’aigreur d’un réflexe d’autoconservation qui aurait mal tourné?»

Ou bien, plus positivement, cette célébration du pourri est-elle un antidote à notre peur de mourir, en cherchant dans le vivant «la source d’une résurrection possible»?

Tout de suite, on comprend mieux les tarifs exorbitants pratiqués par certains néo-producteurs de kombucha.

49,99 euros les 75 cl, c’est cher pour une alternative au soda, mais si on l’envisage plutôt comme un remède au Weltschmerz ambiant, ça devient carrément bon marché.

Dans Le Ventre de Paris, rappelle Anne-Sophie Moreau, Zola (qui revoilà!) comparait les croûtes de fromage à des «blessures mal fermées». 150 ans plus tard, les plaies sont profondes et on les comble comme on peut, un mets fermenté à la fois. «Parfois, renouer avec le moisi permet de se réconcilier avec la vie», avance la philosophe française, et comme elle, c’est tout ce qu’on souhaite.

Fermentations. Kéfir, compost et bactéries: pourquoi le moisi nous fascine, par Anne-Sophie Moreau, Seuil.

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