Fanny Bouvry
La conscience dans l’assiette
Tout commence comme un alléchant roman: un couple passionné de gastronomie s’apprête à vivre une expérience unique, dans un restaurant étoilé sur une île. Mais le banquet tourne au vinaigre, le chef devenant véritablement tyrannique. Peu à peu, les clients se demandent s’ils sortiront de table vivants ou hachés en guise de plat principal… Voilà en quelques mots résumé le teaser du Menu. Une mise en bouche bien acide pour un film qui devrait nous retourner l’estomac, dès le 23 novembre en salle.
Mais si les cinéphiles attendent de juger sur pièce (montée), d’aucuns estiment déjà qu’il s’agit là d’une satire de la gastronomie poussée à son paroxysme. Et plus largement de la société en générale. Le cuisinier cynique avertit d’ailleurs ses convives: «Ce qui se passe dans cette pièce n’est rien en comparaison à ce qu’il se passe en dehors.»
L’assiette fait également partie de la grande prise de conscience collective que nous inspire la situation.
Manger ou être mangé? Un dilemme bien de notre temps qui était également au centre de la pièce Ma jeunesse exaltée, présentée au Festival d’Avignon cet été par Olivier Py et qui mettait en scène un restaurant anthropophage réservé aux élites! Une métaphore, gore là aussi, qui secoue les codes de l’art culinaire, et de notre monde plus largement. Et à juste titre.
Car si l’on reste toujours bouche bée devant les prouesses des maestros des fourneaux, il est légitime de se demander s’il ne faudrait pas davantage raison garder parfois. Et ce encore plus en cette période de crise qui challenge la manière d’assouvir nos besoins vitaux et nous pousse à faire des choix. Et c’est d’ailleurs une pensée qui percole dans les restaurants haut de gamme.
Interrogé sur la question en mai dernier par nos confrères du journal Le Soir, San Degeimbre, le philosophe doublement étoilé de L’Air du Temps, réagissait en ces mots: «La nature même du restaurateur est de s’adapter. Aux goûts, aux allergies du client, à la météo, au confinement. Cette période met en exergue notre capacité d’adaptation. Ici, au milieu de mon potager, la nature me fait voir qu’in fine, rien ne change. Les légumes continuent à pousser. Les produire nous-mêmes nous a permis de gérer les coûts et le fait de travailler local nous met à l’abri de l’inflation. Je n’achète pas mon blé ou ma farine en Ukraine mais dans le sud de la Belgique, mon voisin fait mon agneau et quand on abat un animal, on l’exploite de A à Z, on ne jette rien. Le seul impact de la crise se situe principalement au niveau énergétique. Mais là aussi, on pense à ce qu’on peut faire.»
Malgré tout, il faut continuer à pouvoir se faire plaisir. Probablement moins souvent, mais plus intelligemment
C’est pourquoi, tout en portant un regard attentif sur ce qui se fait de mieux dans les hautes sphères du goût, ce numéro s’attèle surtout à valoriser le local et l’accessible. Et ce au travers de notre guide des 100 meilleures tables de l’année, testées et approuvées, et d’un dossier consacré à la viande, celle qui provient de nos élevages et est consommée avec modération. Dans le respect des bêtes et de la terre. Parce que l’assiette fait également partie de la grande prise de conscience collective que nous inspire la situation. Et parce que malgré tout, il faut continuer à pouvoir se faire plaisir. Probablement moins souvent, mais plus intelligemment.
Le Vif Weekend BLACK FOOD est en kiosque dès ce 29 septembre 2022.
Vous y découvrirez notre sélection de 100 adresses préférées en Belgique.
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