La grande maison du « Comme chez Soi » fête ses 90 ans
L’histoire familiale du « Comme chez Soi » commence le 19 juin 1926, lorsque Georges Cuvelier, originaire du Borinage, décide de se lancer dans l’Horeca pour échapper à la mine. Il fonde « Chez Georges », un petit restaurant de quartier situé sur le boulevard Lemonnier où une cliente habituée ne cesse de répéter: « Georges, chez vous, on mange comme chez soi », expression qui donnera rapidement naissance au nouveau nom de l’établissement.
En 1937, le restaurant déménage place Rouppe. Une année plus tard, la fille de Georges Cuvelier épouse Louis Wynants qui va rapidement faire évoluer la cuisine vers une offre gastronomique. L’établissement obtient sa première étoile en 1953.
Entre-temps, Pierre Wynants naît le 5 mars 1939. Faisant preuve d’une aversion manifeste pour le programme scolaire, notamment à l’athénée de Soignies, il rejoint l’école hôtelière mais son directeur écrit rapidement à Louis Wynants précisant que « son fils ne fera jamais rien de bon en cuisine et qu’il le condamne à ne plus encombrer les bancs de son école ».
Il commence donc à la plonge au « Comme chez Soi » et passe ensuite en salle « surveillé du coin de l’oeil par son père qui ne lui passe aucune faute », rapporte le journaliste belge Léon Léonard dans un ouvrage célébrant les 50 ans de l’établissement en 1976. Il effectue par après plusieurs stages dans des grandes maisons gastronomiques (le « Savoy » à Bruxelles auprès de Maixent Coudroy, le « Moulin Hideux » à Noirefontaine chez Raymond Henrion, le « Grand Véfour » du Palais Royal à Paris aux cotés de Raymond Olivier et « La Tour d’Argent » à Paris avec Claude Terrail) avant de revenir définitivement place Rouppe en 1961.
Du 1er août 1958 à fin septembre 1959, il accomplit également son service militaire dans la marine. En 1964, soit à 25 ans, Pierre Wynants devient le meilleur cuisinier de Belgique en remportant le prix Prosper Montagné tandis qu’en 1966, le restaurant décroche sa deuxième étoile.
Le 24 mai 1969, le cuisinier épouse Marie-Thérèse Dossche, avec qui il a deux filles, Laurence et Véronique. Peu après, le 20 février 1973, Louis Wynants décède, ce qui constitue un véritable drame. Mais l’épouse et la mère de Pierrot le soutiennent et ce dernier ne coule pas le restaurant de son père comme le veut l’adage qui le hante (« le premier crée l’affaire, le deuxième la développe, le troisième la coule »), mais en améliore encore l’attrait en créant des plats nouveaux, tous conçus dans la tradition de la maison, tels que la recette emblématique des « Filets de sole et mousseline au riesling ». Le restaurant est sacré d’une troisième étoile en 1979.
« Comme chez Soi » reste aujourd’hui encore le plus ancien restaurant en activité à avoir été triplement étoilé hors de France. En 1994, Laurence Wynants épouse Lionel Rigolet, qui prendra petit à petit le contrôle des cuisines, épaulé et formé par son beau-père. « Après mes études, pendant deux ans et demi, je suis venu tous les jours avec Laurence à 7H00 du matin pour qu’il nous apprenne ce qu’il faisait ici. La confiance s’est construite petit à petit. Il nous a tout montré, ne nous a jamais rien caché », se souvient l’héritier de la maison.
En 2004, Pierre Wynants est fait chevalier de la Légion d’honneur tandis qu’en 2006, le cuisinier de renommée reçoit un « Zinneke de bronze », une récompense pour les personnalités qui ont promu la Région bruxelloise au-delà de ses frontières.
Fin 2006, le « Comme chez soi », alors triplement étoilé depuis plus d’un quart de siècle, perd un macaron alors que Pierre Wynants lâche entièrement les rennes au profit de son beau-fils.
L’établissement, dont les cuisines venaient d’être restaurées, avait toutefois obtenu quelques jours auparavant un 19/20 dans l’édition Benelux 2007 du Gault&Millau qui avait également accordé le titre de « chef de l’année » à Lionel Rigolet.
Le Wavrien d’origine est aujourd’hui à la tête de onze cuisiniers qui accumulent des journées de travail de onze à douze heures, tandis que son épouse gère une équipe de douze personnes en salle.
Celui qui rêvait d’être mécanicien-voiture, a commencé à travailler chez son oncle, traiteur, à l’âge de 15 ans, pendant les vacances. Ensuite, il a fait l’école hôtelière de Namur, où il a rencontré son épouse. « J’avais dit à mes parents: si je ne réussis pas l’examen d’entrée, tant pis! », confie-t-il.
Lionel Rigolet, qui est encore l’un des rares à arpenter de temps en temps les allées du marché matinal de Bruxelles afin d’élaborer de nouvelles recettes, prend en permanence le soin de varier les coloris dans l’assiette, toujours à la recherche de compositions alliant goût et esthétique.
La relève de Lionel est quasi assurée puisque son fils de 17 ans, Loïc, qui a déjà effectué un stage chez « Philippe Meyers »*, vient souvent en cuisine donner un coup de main et se prédestine à continuer sur cette lancée en s’inscrivant à l’école hôtelière de Coxyde. « C’est pourtant un métier difficile. On n’a pas beaucoup de vie de famille; c’est ce qu’on n’arrête pas de répéter à nos deux enfants », souligne Lionel.
Le « Comme chez soi » fait en outre partie des onze restaurants belges qui figurent dans la liste des « Grandes tables du monde ». Il affiche une cote de 18,5/20 au Gault&Millau après avoir atteint les 19,5/20 de 1988 à 1996. Pierre Wynants était d’ailleurs le premier Belge à obtenir cette note.
« Georges a créé « Comme chez Soi », Louis l’a développé et lui a donné un style. Pierre le conduit vers les sommets de la gastronomie », peut-on lire à propos des trois premiers chefs de la grande maison dans l’ouvrage célébrant les 50 ans du restaurant. Lionel le modernise à son tour, revenant dans le même temps aux sources de la cuisine de produits, tout en peaufinant la beauté de ses assiettes.
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