La « soup joumou » haïtienne, plat historique au goût de liberté

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Mêlant viande, légumes, pâtes et la courge giraumon dont elle tire son nom, la « soup joumou », autrefois interdite aux esclaves, est savourée chaque année le 1er janvier par les Haïtiens pour qui elle symbolise l’indépendance de leur pays.

Cette soupe, qui vient d’être inscrite au patrimoine mondial de l’Humanité, fut longtemps synonyme d’oppression sur l’île des Caraïbes: les très nombreux esclaves, qui cultivaient pourtant la courge essentielle à sa préparation, en étaient privés, sa dégustation étant réservée aux maîtres de plantation français. Mais le 1er janvier 1804, alors que la première république noire naît, Marie-Claire Heureuse Félicité, femme du premier dirigeant haïtien Jean-Jacques Dessalines, choisit de servir ce plat en quantité.

Cuisiner la « soup joumou », « c’était une façon de marquer ces années de privation, d’oppression et de crier victoire face aux colonisateurs », raconte Nathalie Cardichon, en achetant au marché tous les ingrédients pour concocter le plat national. « C’est là tout le poids de cette soupe », ajoute-t-elle avec sérieux.

Traditionnellement, ce mets est aussi un moment de réunion pour les familles. Pour beaucoup, ces retrouvailles sont toutefois compliquées cette année.

– Insécurité –

En 2021, après avoir vu son président assassiné, Haïti a subi un séisme dévastateur. Les troubles politiques et la pauvreté se sont intensifiés, tout comme les enlèvements crapuleux, oeuvre de gangs devenus tout-puissants. L’insécurité et l’impossibilité d’emprunter des routes gardées par des bandes armées forcent nombre d’Haïtiens à passer la nouvelle année loin de leurs proches. « J’ai des amis à l’université dont les parents ne vivent pas à Port-au-Prince et qui ne peuvent pas les rejoindre en province, à cause de la situation sécuritaire », explique ainsi Stéphanie Smith, étudiante dans la capitale. « Alors je les invite! »

Sa mère, Rosemène Dorséus, prépare souvent la « soup joumou » pour sa famille mais à chaque fête nationale, elle en prépare des marmites entières. De quoi nourrir « une vingtaine de personnes », estime modestement cette Haïtienne de 54 ans, tandis que sa fille pense que les quantités peuvent sustenter une trentaine de convives. « Nous sommes huit dans ma famille mais malheureusement, dans le quartier, il y a des gens qui n’ont pas les moyens de préparer la soupe, donc on pense à eux », explique la jeune femme de 27 ans.

Le travail en cuisine débute la veille et, avant même le lever du soleil, le 1er janvier, les femmes de la famille s’activent autour du fourneau. Rosemène Dorséus se remémore le temps où, les enfants étant petits, son mari et elle préparaient la soupe ensemble. « Maintenant que mes filles sont grandes, ce sont elles qui m’aident », dit-elle. Ravie de partager ces préparatifs en famille, Stéphanie Smith dit être un peu aidée par ses jeunes frères, même s' »ils passent surtout pour goûter, et surtout la viande », sourit la jeune femme.

– « Tradition de nos ancêtres » –

La soupe à la riche histoire vient d’obtenir une reconnaissance internationale, en étant élevée au rang de patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. « Le combat d’Haïti et sa voix ont été invisibilisés et c’est aujourd’hui une façon de l’inscrire au registre » considère Dominique Dupuy, ambassadrice d’Haïti à l’Unesco, qui rappelle le « rôle si fondamental et si crucial dans l’histoire de l’humanité » d’Haïti, premier pays à avoir aboli l’esclavage. La consécration de la « soup joumou » constitue, selon elle, une « juste rectification historique ».

Sa délégation a tout mis en oeuvre pour obtenir son inscription au registre, sollicitant une accélération du traitement du dossier en août. Le 16 décembre, il obtient finalement une note parfaite. 2021 ayant été une « année exceptionnellement douloureuse », il fallait « des mécanismes pour nous aider à garder la tête haute », plaide la native du Cap-Haïtien, ville endeuillée le 14 décembre par l’explosion d’un camion-citerne qui a fait 90 morts.

En Haïti, cuisiner la « soup joumou », coutume vieille de plus de deux siècles, est une façon d’honorer son pays et son passé. Pour Nathalie Cardichon, c’est une façon d’inviter le monde à « découvrir l’histoire d’Haïti », et un moyen de montrer « combien on est un peuple fier, qu’on s’approprie et perpétue la tradition de nos ancêtres ».

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