La tête de lapin, le mets qui régale les gourmets

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Les petits crânes, aux larges orbites et incisives saillantes, craquent sous les doigts des convives qui en sucent le contenu: omniprésente dans les restaurants du Sichuan, la tête de lapin est là-bas si populaire que la province chinoise en importe désormais de France.

« Si un Sichuanais passe un jour sans manger de plat pimenté, il est malheureux. Or la tête de lapin, c’est épicé comme il faut. On en raffole! », sourit Mlle Ma, une jeune femme attablée avec des amis. « Le meilleur, c’est la langue: tendre, savoureuse! »

Au « Shuangliu Laoma Tutou » (« Têtes de lapin façon maman »), enseigne réputée de Chengdu, capitale de la grande province du sud-ouest de la Chine, des dizaines de clients ouvrent de leurs mains gantées les crânes imprégnés de sauce, en aspirent avidement la cervelle et en grignotent les joues, avec des grognements de plaisir.

La gastronomie chinoise ne répugne pas à mettre en valeur ces parties –cous et becs de canard, pattes de poulet, têtes et tripes de tous animaux– que les Occidentaux jettent volontiers au rebut.

Selon la fédération chinoise de cuniculture, la Chine consomme chaque année environ 500 millions de têtes de lapin –dont 200 à 300 millions au Sichuan.

L’animal est particulièrement prisé dans cette province longtemps isolée derrière ses massifs montagneux, où la tête du lagomorphe est une spécialité emblématique.

« Mes amis d’autres provinces ne comprennent pas qu’on en mange. De toute façon, ils ne supportent pas le piment. Pas comme nous! », souligne la directrice du restaurant, Wang Min. Il est vrai que le plat s’exporte difficilement: même si des restaurants spécialisés ont récemment ouvert à Pékin et d’autres grandes villes, ils y font figure de curiosité.

« Beaucoup de gens en-dehors de notre province n’osent pas y goûter, ils sont terrifiés par l’apparence des têtes! », confirme à l’AFP Rong Lipeng, adjoint au président de Hage, numéro un chinois des produits de lapin.

Ronger, mordiller

Dans le paysage de la cuisine sichuanaise, le mets ne dépare pas. « On apprécie beaucoup au Sichuan les tripes bien pimentées, les têtes de canard très relevées », s’amuse auprès de l’AFP Fuchsia Dunlop, experte en gastronomie chinoise basée à Londres.

Et de souligner le côté ludique des têtes de lapin: « Les Sichuanais aiment se débattre avec leur nourriture, qu’il faille arracher et sucer les os, utiliser doigts et dents pour tirer sur la viande, cela fait partie du plaisir », explique-t-elle.

La tête de lapin, un snack très prisé par les Chinois
La tête de lapin, un snack très prisé par les Chinois© gpparker / Flickr

« C’est vrai! Nous aimons ronger et mordiller », abonde Rong Lipeng. « Une fois les têtes cuites dans la saumure, on peut les grignoter longtemps, le palais envahi par les puissantes saveurs! », s’enthousiasme-t-il.

La préparation des petits crânes se plie à une recette éprouvée pour les charger d’un maximum de goût.

« Il faut vider les lapins de leur sang » avant de laisser « mariner » les têtes dans un bouillon pimenté pendant des heures, indique le chef-cuisinier du « Shuangliu Laoma Tutou », Yin Dingjun. A la nuit tombée, dans les ruelles du centre de Chengdu, d’innombrables échoppes proposent des têtes de lapin sur le pouce, accompagnées de bière ou de ravioles. « C’est une friandise parfaite pour les collations du soir et pour les marchés de nuit qui sont une vraie tradition ici », observe M. Rong.

Son groupe, Hage, assure vendre plus de 8 millions de têtes de lapin chaque année, avec un net décollage ces dernières années.

Savoureux lapin français

Face à une demande locale colossale, les élevages –très dispersés– peinent à suivre. Du coup, près de 20% des têtes commercialisées par Hage sont importées depuis l’Europe, principalement d’Italie et de France, sous forme congelée.

La France a exporté en 2014 vers la Chine 166 tonnes de viandes et abats comestibles de lapins domestiques, évaluées à 487.000 euros, d’après les chiffres du ministère français des Finances. C’est peu par rapport aux 5.600 tonnes écoulées par la France dans le reste de l’Union européenne, mais ce pourrait n’être qu’un début.

Hage a conclu un partenariat avec la société française Hycole, qui lui fournit des reproducteurs pour affiner les races dans ses élevages du Sichuan. « L’élevage de lapins en Chine était traditionnellement tourné vers la production du poil et de la peau, d’où la nécessité de recourir à des races françaises » réputées pour la saveur de leur chair, indique à l’AFP Fabien Coisne, fondateur et gérant de Hycole.

Et « de plus en plus, le lapin en France se consomme en parties découpées. La tête devient donc un sous-produit et un petit marché s’ouvre vers la Chine », note M. Coisne.

Pour autant, les volumes fluctuent et restent limités, très loin du phénomène des pattes de poulet, autre délice ignoré des Occidentaux: les Etats-Unis en ont exporté pour plus de 170 millions de dollars vers la Chine en 2014, selon Washington –une aubaine pour les producteurs américains de volaille.

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