Label révolution: comment les étiquettes de vin se sont transformées

Étiquette de Michel Tolmer. © SDP

Alors qu’elles guident parfois l’achat de manière totalement subjective, les étiquettes des flacons ont connu un bouleversement sous l’impulsion des vins nature. Après l’iconoclasme des débuts, cette mue prend désormais la direction d’une sobriété apaisée.

Un château, des armoiries… Longtemps, les étiquettes de vin ont été une démonstration de force tranquille. A travers ce classicisme visuel subliminal, il était question d’exprimer la mainmise sur le sol mais également une permanence rassurante. Peu importe les remous de l’histoire, le vin resterait ce qu’il était, une sorte de sang noble, issu d’un système ultranormé et plein de certitudes. Et puis les «sans-culottes» du jus de la treille sont arrivés. Des pionniers comme Jules Chauvet ou Marcel Lapierre sont venus gâché l’aristocratique entre-soi en invoquant levures indigènes, naturalité et vins sans intrants, là où il était question de rentabilité et de foncier sacralisé.

Une création de Michel Tolmer.
Une création de Michel Tolmer. © Michel Tolmer/ SDP

Il n’en a pas fallu davantage pour que des mesures de rétorsion s’ensuivent: les tenants des vins au naturel ont été priés d’aller vinifier hors des zones d’Appellation d’Origine Contrôlée. Désormais, c’est au cœur de la mention «Vin de France» que les naturistes allaient s’ébrouer. Un véritable défi, comme l’explique Stéphane Lagorce: «Mal vue du grand public car mal comprise, la dénomination «VdF» jouit d’une piètre réputation alors qu’elle est sans doute la plus intéressante et passionnante! Elle correspond à l’ancienne mention «Vin de Table», triste collège où voisinaient toutes les piquettes les plus abominables.» (1)

Qu’à cela ne tienne, les Pierre Overnoy et autres Bernard Plageoles sont entrés en résistance pour faire exister cette autre vision du vin. Ne bénéficiant plus des marqueurs consacrés du genre, ces vignerons ont opéré une véritable révolution copernicienne, qui n’aurait pas été complète si les intéressés ne s’étaient pas inventé une nouvelle image.

Une création de Michel Tolmer.
Une création de Michel Tolmer. © Michel Tolmer/ SDP

Le cas Tolmer

L’étiquette du vin n’est rien de moins que sa vitrine. Pas de chance pour les vignerons, celle-ci est réglementée jusqu’à la moelle. Y figurent huit mentions obligatoires et quatre facultatives. Autant dire un «jargon cabalistique», selon Stéphane Lagorce, qui n’a rien d’attirant pour l’acheteur: «Les étiquettes permettent à l’administration de faire des catégorisations fiscales au mieux de ses intérêts sans aucun égard véritable pour l’information du pauvre consommateur. Les vignerons font avec une législation qui peine à suivre les évolutions en cours.» (2) Il n’y avait donc pas d’autres voies pour les exclus de l’AOC que de miser sur des visuels forts capables d’attirer l’œil.

la fameuse affiche du épaulé jeté
L’affiche Epaulé jeté de Michel Tolmer, qui a ouvert la voie vers un nouveau type d’étiquettes étendards du vin nature. © Michel Tolmer/ SDP

Diplômé d’arts graphiques, Michel Tolmer (Paris, 1960) est l’artiste qui a donné ses lettres de noblesse à cette vision contestataire de la chose vinicole. De Tokyo à New York, en passant par Copenhague, pas un bar à vins naturels où son affiche Epaulé Jeté ne soit punaisée. Réalisé en l’an 2000 à la demande du couple de vignerons Pierre et Catherine Breton, ce poster culte rend hommage à un joyeux rituel consistant à placer un verre de vin sur l’épaule avant de se le «jeter» dans le gosier. Le tout pour une sérigraphie qui sort de l’Atelier Clot, Bramsen & Co, une imprimerie parisienne historique dont les presses centenaires ont vu défiler des œuvres de Degas, Cézanne ou Foujita.

Michel Tolmer
Michel Tolmer © Mylène Pratt

Tirée initialement à 300 exemplaires, l’image a finalement été imprimée en offset sous la pression d’une demande innombrable. «Cette affiche a rempli un vide, poursuit Michel Tolmer. Tous ces vignerons qui avaient renouvelé le vin en regardant à la fois dans le passé et vers l’avenir formaient une galaxie libertaire. Elle a joué par défaut le rôle d’étendard de la mouvance. Les cavistes se sont mis à la brandir pour affirmer le type de vins qu’ils vendaient.» Cela a largement suffi pour que la patte tendre du dessinateur soit adoptée par tout un milieu.

Dès lors, il signe quelque 200 étiquettes de bouteilles de grands noms du vin au naturel – Thierry Germain, Anselme Selosse, Karim Vionnet, Fanny Sabre, Moulin Pey-Labrie ou Marc Penavayre.

Étiquette de Michel Tolmer.
Étiquette de Michel Tolmer. © SDP

Trop, c’est trop

Le vin au naturel n’a pas été épargné par les excès. Certains buveurs ont encore en travers du gosier «On s’en bat les couilles», un «vin de Bagnole» signé Pascal Simonutti dont l’étiquette criarde plagiait le graphisme de la pochette Never Mind The Bollocks des Sex Pistols. Sans parler des «Grololo», «Gros Caca» – un assemblage grolleau, cabernet-franc et cabernet-sauvignon… ce qui livre la clé du nom – et autres «You fuck my wine? !», flacons pourtant pas dénués d’intérêt, qui ont choisi de jouer la carte de la provocation.

«Ce n’est pas mon genre d’approche mais je sais que quand on veut borner un terrain, il est normal d’aller aux limites…», explique Michel Tolmer. Jean-François Basin, importateur basé à Bruxelles, ne cache pas que ce type de cuvées peut poser un problème commercial. «C’est particulièrement vrai dans les restaurants gastronomiques avec un profil conservateur. Même si les sommeliers trouvent ça bon, ils refusent de prendre le risque de se décrédibiliser auprès des clients.»

Même son de cloche pour Baptiste Lardeux de Titulus, importateur et caviste pionnier du vin naturel, qui reconnaît que certaines de ses bouteilles se sont vu refuser les portes d’adresses étoilées pour cause de tenue débraillée.

Excès ou pas, ces flacons ont fait bouger les lignes de l’imagerie viticole collective. Chimères ailées (Rieffel, Alsace), personnages de manga (Domaine Kamm, Alsace), oiseaux (Domaine du Chat Huant, Loir-et-Cher), caricatures amusantes (Gilles Berlioz, Savoie)… le vin naturel ne s’interdit rien pour clamer haut et fort sa liberté et ses distances avec un système jugé rétrograde.

Étiquette de Michel Tolmer.
Étiquette de Michel Tolmer. © SDP

Avec pour effet immédiat de reléguer les étiquettes classiques du côté obscur et poussiéreux de l’histoire viticole. Sommelière en charge du nouveau caviste Jéroboam, Alessia Persechillo avertit: «Les vignerons du nature ont défini un style qui peut obliger à montrer patte blanche pour tout qui veut se démarquer et affirmer une démarche respectueuse des sols et de la vigne. Ils sont parvenus à ce qu’une étiquette traditionnelle inspire la méfiance d’un certain public d’amateurs influents.»

Dans sa boutique uccloise, la jeune femme pointe du doigt des exemples frappants dénichés du côté des appellations les plus frileuses. Ainsi, en Champagne, d’Elise Dechannes, vigneronne qui a effectué un total make-over de ses flacons. Exit les dorures et le papier glacé, désormais ce sont des jolis dessins imprimés sur une étiquette avec du grain qui rendent compte d’une approche biodynamique.

Il y a aussi Virgine Aubrion dont le Château de Piote se situe dans le Bordelais. Reconvertie dans le vin en 1998, l’intéressée se trouvait dans une situation inconfortable, à savoir des étiquettes «modernes» pour Bordeaux, soit un papier glacé avec des couleurs flashy, mais jugées «trop traditionnelles» dans le camp des naturistes. Pas question de rester dans cet entre-deux inconfortable, la viticultrice a donc fait le choix de visuels stylisés, le château évoqué en quelques traits, au moment de sa conversion à la biodynamie.

Du côté de Chablis, où là aussi la tradition est de mise, c’est le Domaine 47°N 3°E qui s’affranchit des usages par le biais d’une belle étiquette texturée évoquant de manière abstraite les multiples dimensions du célèbre climat bourguignon.

Bien sûr, cette vogue a aussi engendré des stratégies de communication opportunistes, de nombreuses bouteilles faisant le choix d’une étiquette de rupture sans que cela soit relié à une quelconque démarche d’engagement vis-à-vis de la culture et de la vinification. Le marketing ne s’est pas privé de digérer les audaces et les codes du mouvement pour redorer l’image de vins sans histoire et sans relief. Pour en prendre la mesure, il suffit de se promener dans le rayon vin d’une enseigne de la grande distribution.

Vers la sobriété

Conséquence logique de ce mouvement de balancier, la tendance est aujourd’hui à la sobriété. En ce sens, il marche sur les pas du vin espagnol qui, en raison de son histoire relativement courte – sa «movida» s’est opérée à partir des années 80 –, a pu aborder la question de l’étiquette avec davantage de recul. S’il ne fallait en citer qu’une, ce serait Maduresa, un «Monastrell», mourvèdre en VF, du Celler del Roure en D.O. Valencia.

Les raisins stylisés de Maduresa.
Les raisins stylisés de Maduresa. © SDP

Avec son étiquette figurant une grappe de raisins dessinée en creux, il est difficile de faire plus iconique. «C’est une étiquette simple mais fantastique, qui a été beaucoup copiée depuis», explique Wim Vanleuven de La Buena Vida, un importateur basé à Mol.

Dans la foulée de cette justesse esthétique, les vignerons ibériques ont poussé la démarche plus loin. Vanleuven d’expliquer: «L’absence de repères viticoles modernes pousse les vignerons espagnols à se trouver des modèles, leur principale source d’inspiration est la Bourgogne dont ils répliquent le travail parcellaire. Ce choix assumé a un impact au niveau des étiquettes qui s’affichent avec le même caractère intemporel que les crus bourguignons.»

Étiquette de Michel Tolmer.
Étiquette de Michel Tolmer. © SDP

On notera également qu’une nouvelle génération de graphistes bercée par le vin naturel a vu le jour. A Bruxelles, c’est Jocasta Allwood qui l’incarne le mieux. Passée par feu In de Wulf de Kobe Desramaults et le bar à vins Magma à Malines, la jeune Britannique est désormais aux manettes de Nightshop, une enseigne en vue de la capitale.

Les créations visuelles qu’elle signe sous le nom A la main et qui s’inspirent notamment de L’Atelier Populaire de mai 68 sont d’une justesse absolue – en particulier son travail pour Bernard et Benoît Landron qui suggère la féminité sans aucune vulgarité ou encore la sobre cuvée Honolulu, un champagne de macération iconoclaste.

L’une de ses créations pour Landron de Jocasta Allwood.
L’une de ses créations pour Landron de Jocasta Allwood. © SDP

Enfin, évoquons Giovanni Aiello, talent représenté en exclusivité par Jéroboam. Ce vigneron des Pouilles a opté pour des étiquettes reconnaissables au premier regard – des points de couleurs travaillés selon différents tons en fonction du type de vin – renvoyant à l’art aborigène. Particularité? Aiello les réalise toutes à la main. Soit une maîtrise complète du processus de fabrication qui pourrait être la voie à suivre pour demain.

Giovanni Aiello, qui crée toutes ses étiquettes à la main.
Giovanni Aiello, qui crée toutes ses étiquettes à la main. © SDP

(1) et (2) Le Grand précis des vins au naturel, par Stéphane Lagorce, Homo Habilis.

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