Carte blanche

« Le circuit court peut également jouer un rôle crucial dans la transition vers un autre système d’alimentation »

Ne serait-il pas plus sain de choisir des aliments de qualité accessibles à tous?

Suite à l’épidémie de coronavirus, de plus en plus de personnes achètent leurs aliments chez des fermiers « en circuit court ». De cette manière, ils paient directement le fermier ou producteur, ce qui permet à ces derniers de déterminer eux-mêmes le prix et d’ainsi gérer l’offre et la demande. Si les consommateurs s’approvisionnent à nouveau directement chez les fermiers, c’est probablement parce qu’ils ont la volonté de manger plus sainement pendant cette crise sanitaire, qu’ils ont le temps de réfléchir sur la provenance de leurs aliments et souhaitent soutenir l’économie locale en ces temps difficiles. Le circuit court ne présente que des aspects positifs : vous mangez de saison en diminuant votre impact sur la nature, vous faites du bien à votre santé car les fruits et légumes de saison vous procurent les vitamines dont vous avez besoin à ce moment-là, vous payez un prix équitable en supprimant les marges bénéficiaires pour les intermédiaires, vous profitez de produits encore plus savoureux et vous apprenez à connaître votre fermier !

Moi-même, je profite par exemple chaque semaine de l’offre très variée de légumes cultivés par Matthias, 30 ans et représentant la quatrième génération de cultivateurs de la ferme Seizoensmaak. Il y a quelques années, il a complètement revu sa manière de faire les choses en optant pour une production à petite échelle et en vendant directement au client. Il avait avant tout envie de déterminer lui-même ses prix. Ce qui, comme Matthias l’explique, n’était pas possible lorsqu’il n’avait qu’un nombre limité de cultures et qu’il vendait ses produits par le biais de la criée. « À la criée, vous donnez vos produits sans connaître le prix à l’avance. Le juge de la criée détermine la catégorie de prix en fonction des exigences esthétiques. La salle des ventes applique la loi de l’offre et de la demande. Le prix démarre dans la catégorie de prix définie et diminue jusqu’à ce que l’un des acheteurs du supermarché l’accepte. Les acheteurs doivent donc maintenir ce prix le plus bas possible pour les supermarchés. Par exemple, il arrive souvent qu’en raison d’une offre excédentaire, les enchères soient inférieures au prix de production. Malheureusement, les consommateurs ne remarquent pas ces fluctuations de prix. Ils n’ont donc souvent pas conscience de la réalité qui se cache derrière le prix affiché sur leur ticket. Ils paient probablement comme toujours le même prix mais ne savent pas que les agriculteurs ont reçu un prix beaucoup plus bas pour ces produits. En tant que fermier, vous essayez de réduire le prix de revient en produisant davantage. Mais comme vous le savez maintenant, l’offre excédentaire fait chuter le prix. C’est un cercle vicieux. » Matthias est heureux d’avoir fait le choix de sortir de ce système, et je suis convaincu que cela se voit. Il a choisi plus de sécurité et de stabilité économiques. Il a choisi la qualité plutôt que la quantité. Il a choisi la liberté.

Aujourd’hui, son chiffre d’affaires a augmenté de 200 % au cours de cette période que nous vivons actuellement. Un beau résultat, n’est-ce pas ? Pourtant, je vois encore Matthias se gratter la tête chaque semaine pendant cette période « dorée » du coronavirus. Doubler les chiffres de vente d’un agriculteur ne revient malheureusement pas simplement à faire 1 + 1= 2. De nombreux facteurs entrent en jeu. Regardons un peu dans le jardin de Matthias. Il s’occupe de tout de A à Z : l’administration, l’emballage, les ressources humaines, les ventes, la logistique, la récolte et les semences comprises. Soit la structure d’une grande entreprise comprimée dans une profession artisanale. Quand on est un petit acteur et que l’on doit assumer autant de choses, on ne peut pas aller deux fois plus vite. L’augmentation du chiffre d’affaires, vous la sentez passer. Et que signifie ce chiffre d’affaires de 200 % si vous pouvez à peine couvrir vos frais ? Matthias a éliminé les intermédiaires, comme la vente à la criée et les supermarchés, afin de garder plus de marge pour lui. Mais ses frais ont aussi augmenté parce qu’il gère tout lui-même. Supposons que son coût réel pour produire un poireau est de 1 euro mais qu’il le vende à 80 centimes, il perd ainsi déjà 20 centimes par poireau. Vous pensez peut-être qu’il lui suffit de le vendre à 1,50 euro. Mais hausser le prix de vente n’est pas une option, car ce serait revenir à cette loi de l’offre et de la demande. Et Matthias ne veut pas trop s’écarter des prix des supermarchés, de peur d’être considéré comme cher. Il paie donc un prix pour la liberté limitée qu’il a achetée en s’éloignant de la vente à la criée. Son entreprise a du mal à rivaliser avec la quantité et l’efficacité. Matthias est comme David contre Goliath.

Entrer en concurrence avec des multinationales comptant des milliers d’employés, où les modèles mathématiques déterminent les politiques d’achat et de vente, est un combat inégal pour le petit modèle économique de Matthias. L’économie d’échelle dicte la loi dans cette société. Cette influence se manifeste dans les mesures liées au coronavirus qui interdisent les petits marchés de producteurs mais autorisent les grands supermarchés accueillant 1 000 à 3 000 visiteurs par jour. Deux poids, deux mesures.

Ne vous méprenez pas, je comprends bien sûr qu’il y a de plus en plus de bouches à nourrir. Et cela doit être abordable pour tout le monde. Les supermarchés et la révolution industrielle dans l’agriculture ont été des solutions innovantes pour répondre à cette demande. Cependant, avec cette évolution, de nombreux vices cachés se sont glissés dans le processus. L’impact des pesticides sur notre santé et sur la nature n’en sont que deux exemples parmi d’autres. Imaginez que nous puissions calculer cet impact sur notre santé et la perte de ressources naturelles et ajouter ces facteurs au prix des produits conventionnels. Notre nourriture deviendrait impayable. Ne serait-il pas plus sain (financièrement) de choisir une alimentation de qualité et accessible à tous ?

Le « circuit court » peut également jouer un rôle crucial dans la transition vers un autre système d’alimentation. Pour y arriver, ces fermiers pionniers ont besoin de soutien dans leur développement. Le gouvernement, les instituts de recherche, les citoyens, les entreprises peuvent tous accompagner Matthias dans sa réflexion et ainsi l’aider à nous proposer des aliments locaux savoureux et sains de manière durable pour lui, notre société, notre nature et notre argent.

Nos efforts doivent également se prolonger au-delà de la crise du coronavirus. Commencez déjà à chercher votre (ou vos) fermier(s) saisonnier(s). Aidez-les si vous pouvez. Appréciez leur fierté et leur passion. Après tout, ils exercent après tout l’un des plus vieux métiers du monde, co-créent la biodiversité d’une région, stimulent le tourisme et la restauration à travers les produits régionaux typiques et contribuent à définir l’identité d’une région. Pensez par exemple aux crevettes de la mer du Nord, aux fraises de Wépion, aux pommes de Boechout, aux asperges de Malines, aux matons de Geraardsbergen, aux chicons de terre du Brabant… Il est temps de donner à ces héros sous-payés, ces Don Quichote des temps modernes, le podium qu’ils méritent.

Laissons à Matthias le soin de donner le mot de la fin : « En tant qu’entreprise, nous ne voulons pas utiliser plus de terres à l’avenir, mais en faire un meilleur usage, tirer un profit optimal des saisons et des propriétés naturelles des plantes. En fin de compte, l’objectif est que nous, les petits producteurs, puissions nourrir les grandes villes. Mais pour cela, nous avons également besoin du soutien du consommateur, mais aussi du gouvernement et des municipalités. C’est une condition indispensable pour que notre façon de cultiver puisse être incluse dans les plans de développement urbain, dans la politique gouvernementale. J’espère qu’à l’avenir, les gens seront plus conscients de la provenance de leurs aliments, de la manière dont ils sont cultivés et pourquoi cela est si important. »

Bon appétit.

Une carte blanche de Steven Desair, entrepreneur social passionné par l’alimentation et l’écologie.Fondateur e.a. de Eatmosphere, Mary Pop-in et Terroir. Ce texte a été écrit dans le cadre du lancement de #DagBoer #JourFermier

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