Le Nigeria se tourne vers « l’or blanc »

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Courbés en avant, Hamisu Haruna et ses hommes tournent et retournent la terre sous un soleil écrasant: le travail est pénible dans cette région pauvre du nord du Nigeria, mais la récolte de riz sera bonne.

« Ces deux dernières années, mon rendement a atteint 35 sacs contre 20 les années précédentes », explique le quadragénaire aux traits burinés, une houe en bois suspendue à l’épaule, propriétaire d’une petite ferme à Dawakin Tofa, dans les environs de Kano.

« La riziculture s’est considérablement améliorée. J’ai un meilleur rendement et un meilleur prix sur le marché », assure-t-il avec enthousiasme.

C’est sans doute un des rares aspects positifs de la récession économique qui frappe le Nigeria: la production de riz connaît aujourd’hui un véritable boom, avec environ 5,7 millions de tonnes de riz annuelles, soit presque trois fois plus qu’il y a dix ans.

« Nous vivons aujourd’hui une révolution de l’or blanc, les gens ont compris qu’on ne pouvait plus dépendre du pétrole », qui assure 70% des recettes de l’Etat, s’enthousiasme le Dr Francis Nwilene, directeur pour le Nigeria du centre de recherche AfricaRice.

Le potentiel est indéniable: premier consommateur de riz africain, le Nigeria en est aussi un des principaux importateurs au monde malgré de vastes terres fertiles sous-exploitées.

Toujours dans la région de Kano, l’usine GreenPro, spécialisée dans la farine et l’alimentation pour poulet, s’est reconvertie dans la céréale blanche il y a quatre ans.

« La transformation du riz est beaucoup plus rentable », tranche le directeur de production, Salisu Saleh. « Le riz est un aliment majeur dans notre société, peu de Nigérians peuvent s’en passer ».

Un « indice des prix Jollof », du nom du plat à base de riz frit le plus populaire du pays, a même été lancé en juin pour mesurer l’inflation des denrées alimentaires.

Peu compétitifs

Toutefois, avec une demande nationale avoisinant les 7,8 millions de tonnes par an, près du quart du riz consommé dans le pays arrive encore de l’étranger (Inde, Thaïlande…) via le port de Lagos ou par la route depuis le Bénin, avec qui le Nigeria partage près de 800 km de frontière poreuse.

« La contrebande est un problème majeur qui décourage la production locale » dans la mesure où le riz asiatique coûte beaucoup moins cher, affirme le Dr Nwilene.

« Le gouvernement essaie de combler l’écart », estime-t-il, persuadé que le pays peut atteindre l’autosuffisance « d’ici un ou deux ans ».

Les défis sont nombreux pour les petits paysans, qui dominent le secteur agricole mais peinent à être compétitifs: l’accès à la terre reste difficile, les moyens de production peu performants et leurs coûts élevés, les circuits de commercialisation insuffisants.

Avec des engrais et des engins agricoles mécanisés, « je pourrais cultiver quatre fois la surface actuelle », souligne le riziculteur Hamisu Haruna. « J’ai une grande ferme mais je ne peux en cultiver qu’une fraction à cause de mes ressources limitées ».

Pour booster la production, Abuja a interdit en 2015 les importations de riz par voie terrestre et lancé un ambitieux programme d’aide piloté par la Banque centrale ciblant quelque 600.000 agriculteurs.

Dans le nord aride, les nouveaux systèmes d’irrigation mis en place permettent enfin d’obtenir deux récoltes par an au lieu d’une en saison des pluies.

Aliko Dangote investit

La crise économique a servi d’accélérateur. Dès l’été 2016, la croissance du géant ouest-africain s’est contractée pour la première fois en 25 ans sous le coup de la chute des cours mondiaux du brut et des attaques rebelles sur ses infrastructures pétrolières.

Confronté à une grave pénurie de devises étrangères, Abuja a fortement restreint l’accès aux dollars – nécessaires pour payer les importations – et ne cesse de vanter les mérites de l’agriculture locale, qui représente 24% du PIB nigérian.

Cette ruée vers l »or blanc » du Nigeria attire désormais les gros bonnets de l’agro-industrie, capables d’offrir de nouveaux débouchés aux agriculteurs en achetant leur riz pour le transformer.

L’homme d’affaire nigérian Aliko Dangote, qui a fait fortune dans le ciment, a annoncé en début d’année vouloir investir plusieurs milliards de dollars dans trois Etats du nord (Jigawa, Zamfara, Sokoto) pour cultiver d’immenses rizières et construire une dizaine d’usines.

Le géant singapourien Olam, qui détient une des plus grandes exploitations du pays dans l’Etat de Nasarawa, possède une unité de transformation qui tourne déjà à pleine capacité (105.000 tonnes/an).

« Nous produisons environ 40.000 tonnes de riz paddy actuellement. Le reste provient de ce que nous achetons aux agriculteurs et sur les marchés partout dans le pays », affirme à l’AFP Ade Adefeko, vice-président des Relations avec le secteur privé et le gouvernement.

« La demande est grande. Le riz représente une réelle opportunité de business pour les Nigérians et va créer des milliers d’emplois ».

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