Le thé kenyan se diversifie

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Dans une usine bourdonnante d’activité, sur les hautes terres kényanes, le thé cueilli à la main est séché et broyé pour donner les délicates feuilles qui depuis des générations comblent de bonheur ses adeptes, de Londres à Lahore.

Mais le fameux thé noir kényan n’atteint plus les prix d’autrefois. Et le Kenya, premier fournisseur mondial de la boisson la plus bue au monde, se retrouve contraint de diversifier son offre. Sur les bucoliques collines entourant la ville de Nyeri (centre), les ouvriers de l’entreprise Gitugi expérimentent désormais différents thés, oubliant des décennies de tradition pour s’ouvrir à une nouvelle clientèle et se prémunir contre l’instabilité des prix.

Pendant longtemps, comme la plupart des producteurs kényans, Gitugi a utilisé le procédé industriel dit CTC, pour broyage, déchiquetage, bouclage, parfait pour les sachets de thé du monde entier. Mais maintenant, non loin des tapis roulants transportant à toute allure de lourds sacs issus de thé CTC, ses ouvriers tout juste formés à la méthode dite « orthodoxe » regardent de gros cylindres malaxer avec précaution des feuilles vertes.

L’usine de Gitugi, située à Nyeri, à 85 km au nord de Nairobi, s’essaie depuis juin à cette technique qui produit une feuille entière, aux saveurs plus complexes et à la fabrication plus lente.

Le basculement vers cette méthode a été une révolution culturelle et a aussi coûté cher, reconnaît Antony Naftali, le directeur des opérations de Gitugi.

Mais la société n’avait guère d’autre choix. Les prix aux enchères du thé CTC ont chuté de 21% en 2018-2019 par rapport au précédent exercice financier, mettant en évidence la nécessité de se diversifier et de tirer plus de chaque arbuste.

« Pendant tant d’années, nous avons compté sur la méthode traditionnelle CTC. Mais les prix ont baissé. Nous voulons faire baisser la pression (…), mais aussi explorer ce nouveau marché », déclare M. Naftali à l’AFP.

– Des marchés « dans la tourmente » –

Depuis, les prix se sont plus ou moins rétablis, mais les fluctuations se font fortement ressentir au Kenya, le premier exportateur au monde de thé CTC.

Le thé, qui occupe une place centrale dans la culture kényane, est un pilier de l’économie du pays. Un habitant sur 10 dépend de l’industrie du thé, selon l’Agence de développement du thé kényan (KTDA), qui représente 650.000 petits producteurs.

Le thé kenyan se diversifie
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Les maigres revenus obtenus cette année par ces petits exploitants ont déclenché la colère sur les fermes de thé et les compagnies ont enregistré des pertes.

La surproduction est pour partie la cause du problème. Les prix élevés des dernières années avaient entraîné une hausse des investissements. En 2018, le Kenya a ainsi produit 493 millions de kilos, un record pour le pays.

Le pays a aussi longtemps dépendu de trop peu d’acheteurs, exportant 70% de sa production vers seulement quatre marchés.

Or, ses trois principaux clients, le Pakistan, l’Égypte et le Royaume-Uni, ont chacun récemment connu une forte dépréciation de leur monnaie, qui a rendu les importations de thé plus onéreuses.

D’autres gros importateurs, notamment l’Iran, le Soudan et le Yémen, ont connu des problèmes de solvabilité.

« Nos principaux marchés sont dans la tourmente », admet Lerionka Tiampati, le directeur général de la KTDA. « Quand vous ne pouvez pas contrôler le prix, il n’y a pas grand-chose que vous puissiez faire. Mais ce que nous essayons de faire, c’est de diversifier le produit ».

La méthode orthodoxe ouvre la porte de marchés où les prix de ces thés plus travaillés et ciblant mieux les consommateurs sont plus élevés, note Grace Mogambi, chargée des produits spéciaux à la KTDA et qui a voyagé dans le monde entier pour comprendre ce qui plaît aux amateurs de thé.

– « Les goûts changent » –

Étudiant des échantillons dans la salle de dégustation de Gitugi, Mme Mogambi égrène ce que chaque nation attend de son thé: les Russes aiment les feuilles entières, les Allemands préfèrent les pointes, les Saoudiens réclament du thé noir intense et les Sri-lankais détestent les tiges.

« Les goûts des consommateurs changent. Ils savent mieux quel type de thé ils préfèrent », observe Mme Mogambi, vêtue d’une blouse blanche de laboratoire, avant de déguster une gorgée de thé puis de la recracher.

« Si je dépense plus d’argent pour une tasse de thé, je préfère que certaines caractéristiques soient présentes », explique-t-elle.

Mais la méthode orthodoxe et les produits spéciaux ne représentent qu’une infime fraction des exportations kényanes et des voix critiques estiment que la KTDA, qui compte pour 60% de la production de thé du pays, a tardé à s’adapter.

Le thé kenyan se diversifie
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Dès 2000, son comité directeur avait décidé de lancer une gamme orthodoxe, mais à la fin 2019, seules 11 de ses 69 usines étaient en mesure de produire autre chose que du thé CTC.

Certaines comme Kangaita, une manufacture posée sur le flanc sud du mont Kenya, fabriquent du thé violet, une spécialité de la région. D’autres variétés cultivées avec soin incluent le thé blanc premium, fait de feuilles simplement flétries et desséchées, emballées dans de luxueux sachets de thé pyramidaux.

Ces produits plaisent à un public plus jeune, qui forme un marché en expansion réclamant autre chose que le très commun thé noir.

« Les jeunes buveurs de thé sont assurément en quête de bien-être et de bienfaits pour la santé », considère Gideon Mugo, président de l’Association du commerce de thé d’Afrique de l’Est (EATTA).

D’autres grandes marques n’appartenant pas à la KTDA ciblent aussi ce segment jeunesse. Kericho Gold propose une gamme de « thés attitude », commercialisée dans des boîtes aux teintes vives, qui incluent un thé dénommé « Amour » et un autre, présenté comme susceptible de guérir une gueule de bois.

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