Les chefs belges étoilés font recette

© Frédéric Raevens
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Signe des temps, lors du dernier  » 50 Best  » – comme on surnomme ce classement annuel établi par un jury de 900 membres et dont l’ambition est d’établir la liste des 50 meilleurs restaurants au monde -, la Belgique a inscrit le Hof van Cleve de Peter Goossens à la 25e position, flirtant ainsi avec  » la crème de la crème  » au niveau mondial.

Le palmarès fait également valoir un classement élargi – le top 100 – au sein duquel notre pays a fait figurer pour la première fois deux adresses supplémentaires : In De Wulf de Kobe Desramaults, au 72e rang, ainsi que, six place plus loin, Hertog Jan, une table brugeoise emmenée par Gert De Mangeleer et Joachim Boudens.

La nouvelle est d’autant plus significative que le World’s 50 Best Restaurants est loin d’être un hit-parade calibré pour notre petit pays. Cette  » chambre d’enregistrement du buzz médiatique « , comme la qualifie notre confrère de L’Express Styles François-Régis Gaudry, n’est pas en mesure de capter les subtiles vibrations d’une terre que son caractère profond incite à se tenir éloignée des projecteurs.

Partage de savoir-faire

Notre gastronomie s’accommode mieux des enquêtes et des analyses de fond. Pour preuve, M, le magazine du Monde s’est penché sur le sujet, en mars dernier, par le biais d’un article signé Camille Labro et titré Le terroir, roi des Belges. On pouvait y lire que la cuisine y est en pleine  » effervescence  » et que le pays possède désormais  » une carte de visite gastronomique  » à agiter à la face des foodies du monde entier.

Autre élément à ajouter au dossier, Sang-Hoon Degeimbre, au piano de l’Air du temps, a eu droit à sa pleine page  » Portrait  » dans Libération au début de cette année. Une performance appréciable quand on sait le peu d’empressement qu’ont les journalistes français à sacrer une tambouille autre que celle qui sort des marmites de l’Hexagone. Il ne faudrait pas pour autant oublier un autre type de reconnaissance, celle des guides, baromètres sérieux du bien manger à travers le monde. Avec ses 120 étoiles Michelin pour 30 528 km2, la Belgique affiche une densité serrée d’excellence gourmande.

Pour expliquer cet engouement, de nombreux critiques inscrivent notre petite nation au coeur d’une sensibilité septentrionale qui l’apparenterait au Danemark de René Redzepi. Souligner cette grande  » vague nordique  » est certes tentant mais prend des allures de tarte à la crème pour un territoire qui cultive le goût du terroir et de la proximité depuis plus de vingt ans.

Philippe Limbourg, actuel directeur Gault&Millau Belgique, confirme :  » cette tendance locavore existe depuis longtemps chez nous. Sans doute s’est-elle amplifiée face au succès d’une démarche comme celle du Noma, le restaurant de René Redzepi. Aujourd’hui, on mesure toute l’importance de notre patrimoine gourmand. Le chocolat, la bière, le vin… tout cela se développe à vitesse grand V. Ce qui a changé, c’est l’attitude des chefs entre eux : à la suite des grandes messes culinaires internationales telles que Madrid Fusion, ils ont noué des contacts. Il est bien fini le temps où on gardait ses recettes pour soi. L’évolution passe aussi par le partage des fournisseurs et des savoir-faire. « 

Une démarche intéressante pour expliquer le phénomène consiste à pointer l’apparition d’un nouveau genre d’adresses qui  » fouettent  » la haute gastronomie en l’obligeant à se repenser et à se dépasser. Alexandre Cammas, fondateur du Fooding, possède son avis sur la question :  » Un type d’enseignes qui n’existait pas quand on a organisé notre évènement belge en 2008 a fait son apparition. Je songe à Neptune ou à la Buvette, à Bruxelles. Ces endroits proposent une bistronomie dépouillée, valorisant le produit, mais sachant rester plus gourmande que cérébrale. Il s’agit de lieux éclaireurs qui laissent présager le meilleur pour l’avenir.  »

Modestes et géniaux

Ce qui explique peut-être le mieux l’enthousiasme autour de la gastronomie belge est la qualité de ses chefs. Loin de succomber à la folie médiatique qui s’est emparée du secteur, la grande majorité de ceux-ci gardent les pieds sur terre… et beaucoup d’humilité.

L’un des meilleurs exemples de cette modeste attitude est fourni par Christophe Hardiquest, artisan cuisinier de 37 ans qui officie au Bon-Bon, dans notre capitale. L’homme est connu pour sa dévotion totale à son restaurant. Jamais il ne manque un service, n’hésitant pas à se qualifier lui-même  » d’aubergiste « , et refuse toutes les missions de consulting –  » j’ai la chance d’être complet midi et soir, je ne veux pas gâcher ça. « .

Christophe Hardiquest n’a pas voulu de frontière fixe entre son restaurant et sa maison, « j’habite au-dessus, quand on vient ici, on est vraiment chez moi ». La cuisine totalement ouverte sur la salle participe du même esprit.  » J’ai besoin de dialoguer avec les clients… Quand j’envoie un maquereau à la gueuze, il est nécessaire que je puisse l’expliquer à celui qui va le déguster.  » Sans oublier les dix-sept membres du personnel qui s’agitent autour de trente-deux couverts,  » ce n’est pas la logique la plus rentable mais c’est celle que je veux offrir quand on vient en mes murs « .

A le voir avec ses trois enfants dans les jambes alors qu’il prépare le service du soir avec son équipe, le visiteur se dit que ce chef originaire de Liège ne doit pas manquer d’énergie pour défendre son credo de  » fidélité à soi « . Quand on l’interroge sur ce qui fait la qualité de notre gastronomie actuelle, il trouve rapidement une explication.  » On doit notre qualité aux gastronomes qui fréquentent nos établissements, pour moi le Belge compte parmi les meilleurs dégustateurs au monde « . Et d’ajouter que nous ne sommes pas une sorte de sous-Danemark.  » Nous avons notre identité propre mais nous sommes trop modestes pour la revendiquer à la face du monde.  »

Preuve de ce qu’il avance, Christophe Hardiquest fait valoir un potager propre depuis six ans du côté de Petit Dour mais n’a jamais communiqué sur ce sujet. Il pointe néanmoins une évolution de la haute gastronomie nationale :  » aujourd’hui le luxe n’est plus dans le produit cher mais dans le produit frais parfaitement cuit, idéalement assaisonné et relevé d’une touche de fantaisie. « 

Pas local à tous prix

Parmi les autres noms emblématiques de ce renouveau, impossible de ne pas pointer Laurent et Vincent Folmer du restaurant Couvert Couvert à Heverlee. A la base, ces deux autodidactes sont originaires de Nancy mais se sentent belges à part entière.  » Il y a un vrai buzz national, on peut le mesurer à l’aune d’un festival comme Omnivore, à Bruxelles… Je pense que cela vient d’une nouvelle garde de chefs qui se rencontre et qui s’échange les bonnes idées. Pour moi, l’incroyable accélérateur qu’est Internet participe aussi de ce développement « , commente Laurent Folmer. Fous de musiques et férus de design ou d’architecture – comme le prouvent les chaises Naoto Fukasawa ou des objets de table signés Piet Stockmans qu’ils vénèrent tant dans leur restaurant qu’à la maison -, les frères Folmer sont des modèles d’ouverture d’esprit.

Côté food, le purisme coule dans leurs veines, depuis le jambon qu’ils font sécher sur place, jusqu’à la limonade qu’ils fabriquent eux-mêmes.  » C’est le résultat d’une éducation aux bonnes choses doublée d’une cohérence « , précise Vincent. La proximité comme clé de voûte du succès de la gastronomie nationale ? Pas pour les deux patrons de Couvert Couvert.  » Bien sûr, nous la favorisons, la viande vient de chez Filip Rondou à Louvain et le miel est déniché à 500 mètres du restaurant… Mais pas question de faire du local pour du local, il ne faut pas oublier que si l’on avait agi dans cet état d’esprit il y a 400 ans, on n’aurait connu ni la pomme de terre, ni la tomate « , souligne Laurent. Quid du luxe à table ?  » Il ne se trouve pas dans le produit en tant que tel, je travaille une bintje avec autant de plaisir qu’une truffe, le véritable luxe aujourd’hui nous le recevons de nos clients qui prennent le temps d’apprécier le repas « , conclut Vincent Folmer.

L’importance de la constance

Pour hisser son drapeau haut, la Belgique qui déguste peut également compter sur Pascal Devalkeneer du Chalet de la Forêt à Bruxelles. Doublement étoilé depuis 2011, l’autodidacte a commencé la cuisine  » parce qu’il fallait bien faire quelque chose « . Entretemps, une passion est née pour le produit et pour l’acte qui consiste à le transformer de la manière la plus respectueuse possible. De la main des uns à la bouche des autres.

A 47 ans, Devalkeneer constate une  » montée en puissance de la gastronomie belge « .  » Aujourd’hui, on ne peut plus se reposer sur ses lauriers, tout change, tout bouge… même un snack ou un foodtruck peut sortir des choses intéressantes. Il s’agit d’un défi permanent pour qui est à la tête d’une grande maison car nous nous devons d’apporter une plus-value, sans esbroufe, mais chargée de sens. C’est la raison pour laquelle le circuit court n’a pas beaucoup de sens chez nous. Bien sûr, il doit être pratiqué mais nous le faisons depuis toujours. Parler de chef locavore est nettement plus intéressant dans une nation comme le Brésil qui peut enrichir la gastronomie au moyen d’un incroyable réservoir de produits ».

Dans la foulée, Pascal Devalkeneer se tient à distance du côté spectaculaire que peut revêtir son métier et loue la  » constance « , le travail sur le long terme.  » Toutes les émissions aujourd’hui soulignent l’instant culinaire, c’est bien… Mais il ne faut pas oublier la durée, la répétition, avec mon équipe nous sommes entre 12 et 14 heures par jour sur le pont pour effectuer un travail d’artisan. La médiatisation actuelle passe à côté de cet aspect quotidien qui est pourtant toute la noblesse de notre métier. Quand je me lève, je ne pense pas aux deux étoiles du restaurant, et quand je me couche, je n’imagine pas une éventuelle troisième, tout ce qui m’importe c’est de résoudre et d’avoir résolu les problèmes concrets auxquels moi et mes confrères devons faire face.  »

Et le luxe ?  » Il existe encore une clientèle qui veut des produits qui en jettent, il faut leur en donner. Cela dit, le luxe se cache également dans les milliers de détails qui font qu’une soirée est extraordinaire au point de se lever de table et de penser déjà à la prochaine fois.  »

3 recettes de nos chefs étoilés Filet de maquereau juste cuit à la rhubarbe, vinaigrette soja (du Chalet de la Forêt)

Recette pour 10 personnes

Pour le maquereau : 5 maquereaux de 300 à 400 g, 10 serviettes alimentaires, huile d’olive, sel, poivre. Pour la rhubarbe : 5 bâtons de rhubarbe, 100 g de coulis de fraise, 2 dl d’eau, 50 g de sucre S2. Pour les graines de moutarde :50 g de graines de moutarde jaune, 125 cl d’eau, 10 g de gros sel de mer, 25 g de vinaigre blanc d’alcool. Pour la vinaigrette soja : 100 g d’huile d’olive extra vierge, 20 g de sauce soja, 1 trait de Tabasco, 3 g de mélasse de grenade, 5 g de jus de yuzu, 3 g de chaponzu. Pour la garniture : 10 radis avec leurs fanes, 20 g de beurre, 1 filet de fond de volaille, fleur de moutarde, pousse de pourpier, pousse de komatsuna (facultatif).

Lever les maquereaux en filet et enlever les arêtes. Les parer et les assaisonner avec le sel, le poivre et l’huile d’olive. Les emballer dans une serviette alimentaire humide afin de donner une forme arrondie. Les cuire au four vapeur à 65 °C pendant 5 minutes. Laisser refroidir complètement avant de les inciser et les dresser sur assiette.

Laver et éplucher les bâtons de rhubarbe. Détailler en tronçons de 12 cm. Dans une casserole, faire bouillir le coulis de fraise, le sucre et l’eau. Puis ajouter la rhubarbe et cuire à frémissement pendant 5 minutes. Rafraîchir avec de l’eau glacée, puis remettre à température ambiante avant de dresser sur assiette.

Rassembler les graines de moutardes, l’eau, le sel de mer et le vinaigre blanc d’alcool dans un poêlon et cuire à ébullition pendant 1 minutes. Puis débarrasser dans un récipient et fermer hermétiquement jusqu’à refroidissement complet. Dresser sur assiette avec une cuillère en éliminant le jus de cuisson.

Réunir les ingrédients de la vinaigrette dans un cul de poule et mettre en pipette pour le dressage. Bien mélanger avant de dresser sur le maquereau.

Laver les fleurs et herbes dans un cul de poule d’eau fraîche et garder sur un linge alimentaire jusqu’au dressage de l’assiette. Laver les radis et les rouler dans un beurre chaud avec un filet de fond de volaille juste avant de servir.


Crevettes grises de Zeebrugge, bouillon fumé (de Couvert Couvert)

Pour 4 personnes

300 g de crevettes grises entières, 750 ml d’eau de source, 2 oignons doux, 1 branche de céleri blanc, une poignée de copeaux de chêne ou de pommier, 50 g de laitue de mer déshydratée ou à défaut de kombu, sel fin, 1 concombre, 1 botte de radis, des herbes sauvages (achillée millefeuille, mouron des oiseaux…).

Décortiquer les crevettes et réserver la chair au frais. Rassembler les deux tiers des carapaces de crevettes dans une casserole avec l’eau de source, les oignons doux et la branche de céleri grossièrement hachés. Porter à ébullition et laisser infuser hors du feu pendant 20 minutes. Pendant ce temps mettre à sécher le tiers restant de carapace pendant 30 minutes dans un four préchauffé à 90 °C. (th.3). Disposer les copeaux de bois dans le fond d’une vieille casserole ou, mieux encore, dans un bac métallique assez profond. Y mettre le feu en s’aidant d’un chalumeau, puis étouffer ce feu. Disposer les carapaces séchées sur une grille au-dessus du feu éteint et fermer le récipient hermétiquement à l’aide de papier aluminium. Laisser fumer pendant environ 15 minutes.

Passer le bouillon de crevettes au travers d’un linge fin et y ajouter les carapaces fumées ainsi que les algues déshydratées. Laisser infuser encore 10 minutes et à nouveau passer au travers d’un linge. Goûter le bouillon et le saler légèrement. Si le bouillon est trop léger en goût il peut être réduit afin de le corser. Dans un bol, disposer quelques lamelles de concombres et radis, les queues de crevettes grises. Verser le bouillon de crevettes chaud mais pas bouillant. Terminer avec les herbes.

Astuce : en été ce bouillon pourra être servi froid avec quelques tomates du jardin.


Chou-fleur à la flamande (de Couvert Couvert)

Pour 4 personnes

4 petits choux-fleurs primeurs ou un gros chou-fleur, 4 oeufs de ferme, 1/2 botte de persil plat, 4 feuilles de menthe, 2 g de macis moulu (ou de noix de muscade), 50 g de beurre demi-sel, 50 g de beurre doux, 10 cl de bouillon de légumes, 80 g de purée de persil, sel et poivre.

Cuire les oeufs 6 minutes dans une eau frémissante. Les écaler, ensuite les concasser grossièrement à l’aide d’une fourchette, incorporer le macis moulu, la demi-botte de persil haché finement et 20 g de beurre doux.

Dans une casserole possédant un couvercle, faire fondre le beurre demi-sel à feu doux et mettre à cuire les choux-fleurs préalablement coupés en deux ou en quatre suivant leur taille. Pendant deux minutes, retourner les morceaux de chou-fleur sans discontinuer afin de bien les enrober de beurre. Ajouter 5 cl d’eau et couvrir. Cuire une dizaine de minutes en rajoutant un peu d’eau de temps à autre si nécessaire. Les choux-fleurs doivent être  » al dente « .

Mettre le bouillon de légumes dans une petite casserole, porter à ébullition et le monter au beurre à l’aide d’un mixeur-plongeur. Puis, hors du feu, ajouter la purée de persil, saler et poivrer.

Tenir au chaud mais ne plus faire bouillir.

Hacher finement les quatre feuilles de menthe et les ajouter au mélange d’oeufs. Saler et poivrer. Disposer les morceaux de chou-fleur sur 4 assiettes chaudes, servir les deux sauces à part en saucière.

Astuce : dérivée des asperges à la flamande, cette préparation convient à merveille comme entrée ou en accompagnement d’un poisson blanc.

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