Les ghost kitchens, avenir de la gastronomie ou idée hantée?

Pour les chefs, le concept diminue grandement les coûts © Unsplash - Lasse Bergqvist
Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste

Ces derniers mois, pandémie et mesures sanitaires obligent, le secteur culinaire a été forcé de se réinventer. Notamment, en adoptant la tendance des « ghost kitchens », des cuisines qui n’ont de fantomatique que le nom et qui se spécialisent dans la livraison et le « à emporter ». Une formule dont la recette n’est pas parfaite.

Quelques mois seulement après son arrivée dans le pays, Casper est déjà présent dans toute la Belgique. Pas le petit fantôme du dessin animé, mais bien la start-up gantoise éponyme, pionnière du concept de ghost kitchen en Belgique, et désormais active à Gand, Anvers, Louvain et Bruxelles. Le principe? Plusieurs adresses gourmandes rassemblées dans la même cuisine, entre lasagnes, burgers, créations de chefs renommés ou encore desserts, le tout préparé pour être emporté et livré. Une version moderne du « food court » qui permet de réduire les coûts de production et rentabiliser l’espace, offrant une solution en apparence idéale aux problèmes rencontrés par la restaurateurs ces derniers mois. Sauf qu’ils ne voient pas tous d’un bon oeil ces fantômes venus hanter leurs cuisines.

Les ghost kitchens, avenir de la gastronomie ou idée hantée?
© Unsplash – Clem Onojeghuo

Bénéfices alléchants

Parmi eux, Nicolas Alary, co-fondateur des restaurants français Holybelle, qui a récemment fait part de son mécontentement dans un entretien accordé à Skello, une plate-forme qui rassemble des news « business », où il qualifie ces cuisines 2.0 de « grande tristesse ». « J’espère que ce n’est pas du tout le futur de la restauration. Pour moi, ça n’a rien à voir avec la restauration, c’est du service, de l’industrie de service. C’est à la même enseigne que le sandwich en triangle d’autoroute, c’est de la nourriture mais c’est un concept basé sur l’économie d’échelle. À mon avis, il s’agit de production la moins chère possible pour faire de l’économie de masse, et ça me rend profondément triste », confie-t-il.

Les ghost kitchens, avenir de la gastronomie ou idée hantée?
© © Unsplash – Clem Onojeghuo

Alors même que les chiffres affichés par ces cuisines-fantômes ont de quoi rendre le sourire à un secteur malmené par des mois de pandémie et de fermeture obligée: déjà culte, la gastronomie italienne signée Big Mamma est devenue incontournable depuis le lancement de sa marque virtuelle, Napoli Gang – 133.000 pizzas vendues en un mois, contre 15.000 dans leurs restaurants. Ainsi que l’explique Jean Valfort, fondateur de la société Dark Kitchen, l’investissement de base est en outre six à dix fois moindre que pour un restaurant classique, et avec un concept qui permet la préparation de plusieurs centaines de commandes quotidiennes, pour un ticket moyen de 20 euros, l’addition a de quoi faire tourner la tête. Sans séduire tous les acteurs du secteur pour autant.

Après le train fantôme, place à la cuisine
Après le train fantôme, place à la cuisine© Unsplash Lasse Bergqvist

Une formule indigeste

Ainsi, sur Instagram, le journaliste gastronomique Stéohane Méjanès est à l’origine du cri de ralliement #lacuisinepaslusine, qui a pour objectif de remettre en question le modèle des ghost kitchens, et plus largement, de l’uberisation de la gastronomie, qualifiant ces nouvelles plates-formes « d’ennemis intimes » de la gastronomie française, rien de moins. Le credo du collectif rassemblé sous le hashtag ainsi que sur une page Instagram éponyme: « Dis-moi comment tu manges, je te dirai dans quel monde tu veux vivre. » Et d’assurer que le modèle est « l’avenir du restaurant tel que nous l’aimons, mais aussi du bien-manger », soulignant ironiquement qu’avec la multiplication des préparations dans le même espace, « attention à ne pas retrouver un sushi dans son burger ».

Adieu, serveurs, bonjour livreurs!
Adieu, serveurs, bonjour livreurs!© Unsplash Eggbank

Indigestes, les dark kitchens? Tout dépend à qui on demande, le PDG de Casper, Matthias Laga, ne tarissant pour sa part pas d’enthousiasme. On le comprend: en quelques mois d’existence seulement, aidé par le contexte compliqué des mois écoulés, il a vu son concept faire des petits dans tout le pays. La recette du succès selon lui? Proposer quelque chose pour tous les goûts. Soit des lasagnes préparées à base des sauces Bavet, la cuisine flamande « comme chez moeke » de Bertha, les desserts chocolatés du Sweet Lab, les créations de la cheffe Pascale Naessens, ou encore les plats asiatiques de Tuktuk ainsi que des classiques revisités version végétarienne par Hacked.

Les ghost kitchens prennent d'assaut les villes belges
Les ghost kitchens prennent d’assaut les villes belges© Unsplash – Patrick Tomasso

Repousser les limites du secteur

La proposition séduit les clients mais aussi des professionnels, comme l’hôtel Hubert, l’établissement bruxellois ayant récemment décidé de s’associer à l’entreprise gantoise pour régaler ses clients. « La collaboration avec Casper nous permet de proposer un grand choix de repas aux clients de notre hôtel », se réjouit Tassia Coelho, maître de maison de l’établissement. « Les clients auront directement accès à un ‘food hub’ proposant plusieurs types de cuisines disponibles sur place. Cette collaboration est innovante et audacieuse. Elle repousse les limites d’un secteur qui a longtemps eu des difficultés à se renouveler et s’est trop longtemps limité aux normes. »

Ghost kitchen
Ghost kitchen© Unsplash – Rohan G

Hors-normes, la progression du phénomène l’est: on ne parle d’ailleurs désormais plus uniquement de ghost kitchens mais aussi de « super dark kitchens », des espaces de restauration polyvalents pensés pour assembler en quelques minutes seulement des préparations uniquement disponibles sur les plates-formes de livraison. De véritables hubs logistiques, qui rassemblent parfois plusieurs ghost kitchens sur le même lieu. Et tant pis si pour Hervé Marro, coprésident de la communauté Ecotable, interviewé par Vanity Fair, « on en arrive à s’alimenter en niant à l’autre des droits fondamentaux: protection sociale et revenus décents. Ça en dit long sur ce qu’on est prêts à accepter pour se faire plaisir. » Quand on aime manger, on ne compterait donc pas le coût caché de plats aux prix alléchants?

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