L’ode aux tartes de Jean-François Piège (Top Chef) (+ 3 recettes)

© JAMES BORT

A l’écoute de son temps et des échos de son territoire, le chef originaire de la Drôme signe un livre en forme d’ode aux tartes. Un plaisir sucré-salé, nouvelle étape d’un parcours qui, malgré le succès, n’a toujours pas fini de mijoter.

Le prisme cathodique nous avait révélé de Jean-François Piège un certain sens du risque, puisque le chef s’était jeté dans Top Chef dès la première émission, à l’époque où les invités d’aujourd’hui taillaient le programme en brunoise. Les caméras ont également zoomé sur une obsession de la technique. Pas étonnant donc que son dernier livre s’ouvre sur 100 pages de bons gestes pour réussir une pâte, de quantités d’oeufs communiquées au gramme près et de conseils tels que celui d’adapter la quantité de liquide en fonction de la température ambiante qui modifie les capacités d’absorption de la farine. Pas d’élitisme, la précision est au contraire livrée telle une arme pour permettre à tous d’exceller. Sous réserve de travail.

Essayer, se tromper, ajuster, chercher encore. Même les icônes de son Grand Restaurant sont sans cesse remises en question, à l’image du blanc manger, plat signature du chef élaboré, il y a plus de trois décennies, sur un souvenir d’île flottante venu de l’enfance. « Les ingrédients sont du sucre, du lait, de la vanille et des oeufs. Je pense qu’il y a de grandes étapes dans ces trente ans et nous en avons franchi une l’année dernière, quand nous sommes allés chercher, en Bretagne, quelqu’un qui cultivait ses céréales pour élever ses poules. La recette est exactement la même, mais elle a totalement changé parce qu’on a changé les oeufs. » Le juste choix du bon produit se lit aussi dans la répartition des préparations en fonction du calendrier, entre tarte aux tomates cerises d’été et version à la mandarine pour les frimas. « On ne peut pas être le décideur de ce qu’il y a sur la carte, je suis à l’écoute de la nature. Il faut avoir cette fragilité-là », explique celui qui discute avec les pêcheurs et maraîchers pour inviter la saisonnalité à ses tables.

Cette écoute vient tout droit de son éducation, qui lui a aussi transmis une passion pour les cuissons. Des heures à surveiller la coloration de pâtes dans le four, la cuisson braisée d’endives ou la réduction d’une compotée pour aboutir à la conceptualisation de son célèbre mijoté moderne: « J’ai vu cuisiner toute ma vie. J’ai vu mijoter. J’ai réalisé qu’en fait, j’aimais cuire. Je me suis dit que ce qui était valable pour élaborer un plat pouvait l’être pour créer une cuisson. Ce sont les mêmes leviers. Alors je me suis mis à chercher, en imaginant un environnement pour mitonner. Par exemple, je fais un ris de veau sur des coques de noix. Sans abîmer le produit qui est au coeur, on atteint ainsi une saveur nouvelle, différente de celle des ingrédients de départ. »

Amoureux du territoire

La cuisson mijotée, un amarrage dans la culture gastronomique hexagonale qui fait écho au choix, dans l’ouvrage, de la tarte Tatin ou de la tropézienne: « Je veux être très français. Pas cocardier, mais ancré dans mon territoire. » Le territoire, et non le terroir, insiste-t-il. « Le terroir, dans son sens premier, c’est ce qui se passe sous la terre. C’est important, mais je suis plus attentif à ce qui se passe au-dessus. Le territoire, c’est la conjonction du temps et des hommes et des femmes, car sans eux, il n’y a rien qui se passe. »

Respectueux de ceux qui cultivent, Jean-François Piège ne cesse de créditer ceux qui l’ont fait grandir. Grand-mère et mère s’invitent dans le livre, ainsi qu’Elodie, son épouse et associée: « Ce qu’on fait n’existe que parce que je l’ai rencontrée. Elle m’a donné le courage de construire ce petit environnement de restaurants, cette maison qui est la nôtre aujourd’hui. Elle ne vient pas du monde de la cuisine, elle a fait une école de commerce, elle a apporté son talent et s’occupe de la partie immergée qui est extrêmement importante. »

Dans les jours à venir, le couple inaugurera un nouvel établissement de sa marque Clover dont le logo, un trèfle fait de coeurs, est un symbole à lui seul. Avec cette table dans La Bastide de Gordes, célèbre palace lubéronnais, le chef déploie son univers au-delà de Paris. Les idées pour la suite ne manquent pas. Un indice avec « l’intrus » qui s’est glissé page 150, entre tartes et tartelettes: une pizza soufflée. Après l’expression du végétal du Clover Green, le saignant et la braise du Clover Grill, la cuisine bourgeoise de la Poule au Pot et le labo gastronomique Le Grand Restaurant, Jean-François Piège n’exclut pas d’allumer le four à bois d’une pizzeria. Oublions l’idée de tout comprendre en un recueil, c’est une bibliothèque complète qu’il mitonne.

Les tartes de Jean-François Piège pour tous, par Jean-François Piège, photos de Nicolas Lobbestaël, stylisme de Chae Rin Vincent, Hachette Cuisine.
Les tartes de Jean-François Piège pour tous, par Jean-François Piège, photos de Nicolas Lobbestaël, stylisme de Chae Rin Vincent, Hachette Cuisine.© NICOLAS LOBBESTAËL

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